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Pluralité de recours judiciaires en AMI et examen de la question de la capacité de gain

Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 15 mars 2021, R.G. 18/1.605/A

Mis en ligne le jeudi 14 octobre 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 15 mars 2021, R.G. 18/1.605/A

Terra Laboris

Par jugement du 15 mars 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle l’étendue de la saisine du juge en cas de pluralité de décisions administratives et de recours judiciaires, le tribunal abordant également l’importante problématique de la contestation de l’existence d’une capacité de gain par l’organisme assureur, alors qu’il a déjà indemnisé l’assuré social pendant de longues années.

Les faits

Une assurée sociale, née en 1978, a bénéficié d’allocations de chômage jusqu’à une période d’incapacité de travail survenue en juin 2011. L’intéressée n’a jamais travaillé, depuis la fin de ses études. L’indemnisation dans le secteur AMI a été acceptée pendant près de deux ans. L’organisme assureur a, alors, notifié une fin d’incapacité de travail. Un recours ayant été introduit, un expert a été désigné et son rapport a été entériné, étant qu’elle ne présentait plus le degré d’incapacité de travail requis pour continuer à bénéficier des indemnités.

Dans le cours de cette procédure, qui va durer quatre ans environ, la situation a évolué, l’intéressée ayant été réadmise et indemnisée pendant une période d’un an (incapacité primaire) et pendant près de trois ans ensuite dans le cadre de l’invalidité. Une nouvelle décision fut alors prise par la mutualité (la procédure ci-dessus ayant été clôturée entre-temps), décision selon laquelle il n’y avait plus réduction de capacité de gain des deux tiers. L’organisme assureur ajoute cependant qu’elle n’a pas « démontré par une période de travail d’intensité et de durée suffisantes (qu’elle possédait) une véritable capacité de travail ».

Aucun recours ne fut introduit contre cette décision. L’intéressée ayant assez vite dû être hospitalisée, elle fut réadmise pendant une quinzaine de jours. Une nouvelle décision fut alors prise, toujours sur pied de l’article 100 de la loi coordonnée du 14 juin 1994, dont la mutuelle constatait une nouvelle fois que les conditions n’étaient plus réunies.

Un recours fut introduit contre cette décision.

Une dernière décision intervint, refusant de reconnaître la nouvelle incapacité de travail survenue dans les trois mois suivant la fin de l’état d’invalidité. Cette dernière décision vise également la circonstance que l’intéressée n’avait pas démontré posséder une véritable capacité de gain, et ce par une période de travail d’intensité et de durée suffisantes.

La décision du tribunal

Le tribunal aborde en premier lieu la question des décisions administratives successives, dans la mesure où, en l’espèce, la première décision n’a pas été contestée, seules les deux suivantes l’étant.

Aussi rappelle-t-il la doctrine en matière d’aide sociale (H. MORMONT et K. STANGHERLIN, « La procédure judiciaire », Aide sociale – intégration sociale. Le droit en pratique, (dir. H. MORMONT et K. STANGHERLIN), Bruxelles, La Charte, 2011, pp. 743 et s.).

Celle-ci a distingué trois hypothèses, selon que (i) les deux décisions qui se sont succédé ont le même objet (même aide ponctuelle, même aide périodique, pour une période identique, etc.), (ii) elles ont statué sur une même aide périodique mais pour une période distincte et (iii) elles ont des objets totalement différents (aide ponctuelle distincte, etc.).

Dans la première hypothèse (objet identique et période identique), si seule la première décision a été contestée et que sa recevabilité est admise, la seconde décision est sans effet sur les pouvoirs du juge. Si, par contre, seule la seconde décision a fait l’objet d’un recours, pour que celui-ci soit recevable, il faut qu’il s’agisse d’une seconde décision nouvelle, étant qu’elle doit être consécutive à un nouvel examen de la demande. Il ne peut s’agir d’une décision purement confirmative.

Dans la deuxième hypothèse (aide identique mais périodes distinctes), si la première décision a été contestée, la saisine du juge vise la date d’ouverture du litige jusqu’au jour où il statue (et non jusqu’à la seconde décision). Si seule la seconde décision a fait l’objet d’un recours, elle est cependant recevable, même si aucun recours n’a été introduit contre la première. Le juge n’est cependant pas saisi de la période visée par celle-ci.

Enfin, dans la troisième hypothèse (objet totalement différent), la saisine du juge est limitée à l’objet de chacune des décisions contestées, et ce sans que d’autres décisions ne puissent influencer le cadre de sa saisine. Il y a cependant lieu ici de rappeler que la demande peut être étendue dans les conditions de l’article 807 du Code judiciaire.

En l’espèce, le tribunal – qui souligne que ces principes, dégagés dans le cadre du contentieux de l’aide sociale, peuvent également trouver à s’appliquer ici – fixe le point de départ de sa saisine, signalant que celle-ci s’étend jusqu’au prononcé de la décision judiciaire. Elle n’est pas limitée par les décisions subséquentes de l’organisme assureur.

Il aborde ensuite la question de la capacité de gain, puisque l’article 100 de la loi coordonnée suppose un lien de causalité entre l’aggravation des lésions et la cessation de l’activité, ce qui signifie que le législateur a voulu exclure de l’assurance indemnités les titulaires dont la capacité de gain était déjà diminuée d’une manière importante au début de leur mise au travail et dont l’interruption n’est pas la conséquence de l’aggravation de l’état de santé.

Une capacité de gain doit dès lors avoir existé.

Le tribunal nuance les exigences de cette condition, étant qu’il n’est pas exigé que la capacité initiale soit celle sur le marché normal de l’emploi qu’aurait une personne apte à 100% (avec renvoi à C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2006, R.G. 43.978), étant seulement exigé que la capacité initiale ne soit pas inexistante et qu’elle puisse être affectée par une éventuelle aggravation des lésions et troubles fonctionnels déjà présents (renvoi étant ici fait à un arrêt plus récent, étant C. trav. Bruxelles, 6 février 2013, R.G. 2011/AB/814).

Reprenant les termes d’un jugement rendu par le Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Liège, 19 février 2018, R.G. 15/2.584/A), le tribunal ajoute que stigmatiser en matière d’assurance maladie-invalidité une situation de non-capacité de gain antérieure à l’entrée sur le marché du travail a des conséquences extrêmement graves en matière de sécurité sociale. Il convient donc de ne statuer en ce sens que dans le cas de situations claires ne présentant aucun doute ou ambiguïté (6e feuillet).

Dès lors, en conséquence, que l’assuré social a été admis pendant plusieurs années dans le cadre de l’AMI, la preuve de l’absence d’une réelle capacité de gain appartient à l’organisme qui a mis fin à cette reconnaissance. Après autant d’années, il ne peut être exigé que l’assuré social établisse son aptitude sur le marché du travail antérieurement. Si des problèmes médicaux ont été constatés, ceci ne signifie pas qu’il n’était pas apte pour le marché du travail (avec renvoi à C. trav. Bruxelles, 1er février 2018, R.G. 2017/AB/345).

Le tribunal constate que, en l’espèce, l’intéressée a été indemnisée pendant plusieurs années dans le secteur AMI et qu’une procédure avait déjà été diligentée précédemment, l’absence de capacité de gain n’ayant pas été soulevée à ce moment.

Il souligne encore les contradictions dans les décisions administratives, qui ont constaté d’une part que l’intéressée était apte au travail et que, de l’autre, elle ne justifiait pas d’une capacité de gain initiale. La preuve de l’absence de celle-ci n’est dès lors pas rapportée et le tribunal désigne un expert aux fins de statuer sur l’effet des lésions sur la réduction de la capacité de travail de deux tiers, et ce conformément à l’article 100, § 1er, de la loi.

Intérêt de la décision

La décision annotée comporte deux points de droit, développés eu égard à la doctrine et la jurisprudence récentes en la matière. La première question est celle de l’étendue de la saisine du juge et, à cet égard, la doctrine reprise, doctrine la plus autorisée, est appliquée, mutatis mutandis, aux recours AMI. L’absence de recours contre la première décision (ceux-ci ayant été introduits contre les deux décisions suivantes uniquement) emporte que la saisine du juge ne débute qu’au début de la période contestée en justice, s’agissant en l’occurrence de décisions portant sur le même objet mais pour des périodes différentes.

Sur le fond, la question de l’absence de capacité de gain a déjà fait couler beaucoup d’encre. Le tribunal renvoie à des décisions de jurisprudence récentes, qui ont fortement nuancé la portée de cette condition. L’intérêt du jugement sur ce point est de rappeler que stigmatiser la situation de non-capacité de gain antérieure à l’entrée du marché du travail a des conséquences extrêmement graves. Il en résulte que, dans la mesure où, comme en l’espèce, l’assuré social a été admis pendant une période importante dans le cadre de l’AMI (six ans en l’occurrence), c’est à l’organisme assureur d’établir l’absence de capacité de gain et non l’inverse.


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