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Taux du revenu d’intégration sociale en cas d’hébergement partagé des enfants

Commentaire de Cass., 27 juin 2022, n° S.20.0015.F

Mis en ligne le vendredi 9 décembre 2022


Cour de cassation, 27 juin 2022, n° S.20.0015.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 juin 2022, la Cour de cassation rappelle que le taux du revenu d’intégration sociale dépend de la catégorie du bénéficiaire et que la notion de vie avec une famille à charge suppose la présence régulière de cette famille avec le demandeur mais n’exige pas sa présence ininterrompue.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 19 décembre 2019 (R.G. 2018/AB/515 – disponible sur www.terralaboris.be).

Rétroactes

L’affaire concerne le calcul du revenu d’intégration sociale dû à la demanderesse originaire (également demanderesse en cassation). Celle-ci est divorcée et vit avec ses deux enfants, dont elle assume l’hébergement alterné avec le père sur la base d’un accord amiable. Elle perçoit les allocations familiales et une contribution alimentaire (200 euros par mois). Elle loue un appartement qu’elle occupe (loyer de 650 euros). Elle est copropriétaire avec son ex-époux de deux immeubles (un entrepôt et un commerce). Ceux-ci font l’objet d’une saisie mais n’ont pas encore été mis en vente. La liquidation effective de la communauté entre époux est suspendue.

Par décisions prises le 30 novembre 2017, le C.P.A.S. a prolongé le droit de l’intéressée au revenu d’intégration sociale calculé en alternance (un mois sur deux) au taux famille à charge et au taux isolé, ceci eu égard à l’hébergement égalitaire des enfants.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui a condamné le C.P.A.S. au paiement du revenu d’intégration sociale au taux famille à charge, celui-ci étant fixé à un montant de l’ordre de 715 euros. La Cour du travail de Bruxelles a confirmé le jugement, pour les périodes concernées.

L’arrêt de la cour du travail du 19 décembre 2019

L’arrêt a essentiellement porté sur la prise en compte des immeubles. Il a rappelé que, lorsque le demandeur d’aide est propriétaire d’un immeuble, la réglementation impose de tenir compte de la partie du revenu cadastral global qui dépasse le montant exonéré, multiplié par trois. Il s’agit d’un montant de 750 euros, majoré d’un abattement de 125% pour chaque enfant pour lequel le demandeur a la qualité d’allocataire pour les allocations familiales.

S’il y a morcellement du droit de propriété, les exonérations sont affectées d’une fraction exprimant l’importance des droits dont le demandeur est titulaire sur le bien.

En cas d’hypothèque, il y a, sous certaines conditions et limites, diminution du montant annuel des intérêts hypothécaires. Des règles spécifiques concernent les immeubles loués, où il faut tenir compte du montant du loyer (dans la mesure où celui-ci est supérieur au résultat du calcul ci-dessus).

La cour du travail avait rejeté l’argumentation de la demanderesse originaire, selon laquelle il n’y avait pas lieu de prendre en compte, pour l’établissement de ses ressources, les immeubles dont elle était copropriétaire, dans la mesure où elle n’en tirait aucun avantage matériel (ne les occupant pas et n’en percevant pas de revenus locatifs). Pour la cour, il y avait lieu de prendre en compte le revenu cadastral dans tous les cas où le demandeur est propriétaire ou copropriétaire d’un immeuble. Il avait dès lors validé la thèse du C.P.A.S., qui avait tenu compte des ressources liées à la propriété de ces immeubles, même si la demanderesse n’en tirait aucun revenu.

Le pourvoi en cassation

Le pourvoi fait valoir un premier moyen, selon lequel, au regard des dispositions légales applicables (articles 2, 3, 14 et 16 de la loi du 26 mai 2002, ainsi que 25 et 26 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002), le calcul des ressources du bénéficiaire du revenu d’intégration sociale doit prendre en compte les revenus réels et effectifs des parties ainsi que leur faculté à en percevoir, quelle qu’en soit l’origine. La seule propriété indivise d’un bien immeuble, dont, d’après les constatations du juge du fond, le bénéficiaire du revenu d’intégration sociale n’a pas la jouissance et qui demeure improductive, ne satisfait pas au caractère de réalité et d’effectivité à retenir pour garantir in concreto l’intégration sociale du demandeur.

Dès lors qu’il est constaté en l’espèce que la demanderesse ne tire ni jouissance ni revenu de ces immeubles, ceux-ci ne peuvent être intégrés dans le calcul des ressources afin de réduire le montant du revenu d’intégration sociale dû.

Dans un second moyen, le pourvoi critique, sur la base des articles 2, 3, 14 et 16 de la loi du 26 mai 2002, ainsi que 3 et 6, 1°, de l’arrêté royal du 11 juillet 2002, la prise en compte de l’hébergement partagé des enfants. Il estime qu’en vertu de ces dispositions légales, la cohabitation nécessite la présence régulière de deux ou plusieurs personnes sous le même toit, mais n’exige pas que celles-ci y soient présentes de manière ininterrompue. Par analogie, il en va de même de la prise en charge d’un enfant mineur non marié. La circonstance que cet enfant soit en garde alternée auprès de ses deux parents ne l’extrait pas de la seule catégorie pertinente établie par l’article 14, § 1er, 1° et 3°, de la loi dans ce type de situation, à savoir celle de la « famille à charge », sans précision ou discrimination reposant sur la durée de la cohabitation respectivement avec l’un et l’autre de ses parents.

La cour du travail ne pouvait dès lors tenir compte de la ventilation en fonction de l’hébergement alterné, celle-ci n’étant pas prévue par les dispositions légales mais ayant au contraire été supprimée par le législateur. L’arrêt ne pouvait en conséquence confirmer le jugement au sujet du taux à retenir en se fondant sur ces considérations et sans vérifier in concreto si les enfants de la demanderesse constituaient une « famille à charge ».

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour considère que le premier moyen manque en droit, la loi du 26 mai 2002 disposant que le revenu cadastral de l’immeuble bâti est pris en considération également lorsque le demandeur qui en est propriétaire ou usufruitier ne l’occupe pas et n’en retire pas effectivement un revenu.

Le second moyen est par contre jugé fondé, le législateur ayant distingué trois catégories de bénéficiaires, selon qu’ils cohabitent avec une ou plusieurs personnes, sont isoles ou vivent avec une famille à charge. La notion de vie avec d’autres personnes suppose, pour la Cour, la présence régulière de celles-ci avec le demandeur mais n’exige pas leur présence ininterrompue. Il appartient au juge d’apprécier en fait si le demandeur vit avec d’autres personnes, la Cour vérifiant si, à partir des faits qu’il a constatés, le juge a pu légalement déduire cette vie en commun ou son absence.

Les énonciations de l’arrêt selon lesquelles la demanderesse vivrait seule avec ses deux enfants mineurs dont elle assume l’hébergement alterné avec le père sur la base d’un accord amiable mais selon lesquelles elle ne les héberge ni en permanence ni à titre principal mais la moitié du temps ne justifient pas légalement la décision de la cour de fixer le revenu d’intégration sociale au taux famille à charge la moitié du temps et au taux isolé l’autre moitié du temps.

Intérêt de la décision

Les deux points abordés par la Cour de cassation sont importants sur la question du taux du revenu d’intégration sociale.

La propriété (ou copropriété) d’un immeuble est régie par la loi et par son arrêté royal. La prise en compte de l’occupation (ou non) par le demandeur et le profit éventuellement tiré de cet immeuble sont clairement spécifiés. En cas de pleine propriété ou d’usufruit d’un immeuble bâti, est pris en compte le triple de la partie du revenu cadastral global qui dépasse le montant exonéré, déterminé en fonction du nombre d’enfants. Des calculs spécifiques doivent intervenir en cas d’hypothèque ou de rente viagère, ou encore en cas de location du bien lui-même.

La demanderesse en cassation ne pouvait dès lors exciper de l’absence de revenu perçu pour tenter d’obtenir que la prise en compte légale n’intervienne pas.

Par contre, sur la question de l’hébergement partagé, la Cour rappelle à juste titre que cette situation ne doit pas intervenir dans l’appréciation de la catégorie de bénéficiaires, trois situations ayant été envisagées par la loi, étant (i) la cohabitation, (ii) le fait de vivre isolé ou (iii) de vivre avec une famille à charge.

La Cour rappelle explicitement dans son arrêt que la notion de vie avec d’autres personnes suppose la présence régulière de celles-ci avec le demandeur mais n’exige pas leur présence ininterrompue. La question de savoir si cette condition est remplie (présence régulière d’un enfant en l’espèce) est une question de fait et la Cour de cassation pourra, à partir des faits constatés, déduire légalement s’il y a vie en commun ou non.


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