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Accident du travail : rappel de la condition de l’exécution des fonctions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mars 2022, R.G. 2020/AB/766

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Bruxelles, 21 mars 2022, R.G. 2020/AB/766

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 mars 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’exécution des fonctions au sens de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail (notion identique dans celle du 3 juillet 1967) vise toute situation où le travailleur se trouve sous l’autorité (réelle ou virtuelle) de l’employeur, c’est-à-dire lorsque sa liberté personnelle est limitée.

Les faits

Une concierge, occupée par la Régie Foncière de la Ville de Bruxelles, occupe un logement de fonction dans l’immeuble dont elle a la charge. Lors d’un week-end de garde (la garde impliquant d’assumer en outre la surveillance d’autres immeubles, l’intéressée pouvant être contactée d’urgence par les occupants), elle est victime d’un accident. Celui-ci lui a causé un choc psychologique. Elle rentre une déclaration d’accident du travail à la Ville, précisant qu’elle est sortie le samedi faire des courses urgentes aux environs de 16h45, vu la fermeture des magasins le lendemain. Elle expose avoir laissé sa plus jeune fille seule devant la télévision, avoir pris grand soin de tout sécuriser et avoir fermé les portes. A son retour, vers environ 20h00, elle a vu depuis la rue un intrus dans sa chambre, mettant tout sens dessus dessous. Elle expose avoir « hurlé » pour le faire fuir, l’intéressé la menaçant, ainsi que sa plus grande fille, avec un gros marteau. La police étant passée par hasard, l’incident s’est clôturé. Une plainte a été déposée auprès des services de police.

Les faits ont été refusés comme constitutifs d’un accident du travail. Ni la survenance de l’événement soudain ni l’existence de lésions n’étaient contestées, mais bien le critère de l’exécution. La motivation de la décision porte sur le fait que la concierge avait quitté son poste de travail pour des motifs d’ordre privé, les faits n’étant pas liés à la fonction et ayant pu avoir lieu en-dehors de ses heures de garde ainsi qu’à un autre domicile.

FEDRIS a adressé un courrier à la Ville, signalant qu’elle ne partageait son analyse, et lui a demandé de revoir sa position. L’organisation syndicale dont l’intéressée est membre a également contesté la décision de la Ville. Celle-ci a été maintenue, précisant que les faits avaient eu lieu alors que l’intéressée se trouvait à son domicile, dans son appartement privé, et non dans les parties communes de l’immeuble, où elle était censée effectuer ses prestations habituelles, et la Ville de citer un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du… 22 mars 1985 (sans références), qui avait décidé qu’un concierge qui tombe dans son appartement vers 20h30 en voulant aller se laver les mains après avoir sorti les poubelles n’était plus, une fois le seuil de son appartement franchi, dans un lien de subordination avec son employeur. Pour la Ville, une fois le seuil de l’appartement franchi, le travailleur n’est plus sous son autorité, même virtuelle, et l’intéressée n’accomplissait pas une tâche liée à sa fonction, s’occupant de surveiller ses enfants, préparer le repas, etc., soit des tâches de la vie privée. Les faits n’ont dès lors pas eu lieu durant l’exécution des fonctions ni par le fait de celles-ci.

Une procédure a été introduite et, par jugement du 30 juin 2017, le tribunal a admis l’existence de l’autorité patronale et a désigné un expert. Celui-ci a déposé son rapport le 5 février 2019. Ses conclusions ont été entérinées par jugement du 29 juillet 2020 (fixation de l’I.T.T. et de la date de consolidation, ainsi qu’évaluation de l’I.P.P. à 12%).

La Ville a interjeté appel des deux décisions.

La décision de la cour

La cour trace en premier lieu le cadre légal et fait un rappel des principes, dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967.

Après les règles de preuve et la présomption d’imputabilité de la lésion à l’événement soudain, elle examine plus particulièrement la condition que l’accident soit survenu dans le cours de l’exécution des fonctions, critère qui renvoie à la notion d’autorité de l’employeur. Celle-ci a ici une définition spécifique, étant que le travailleur se trouve sous l’autorité de l’employeur pendant le temps où sa liberté personnelle est limitée en raison de l’exécution du contrat (avec renvoi à Cass., 22 février 1993, n° 9.578). Cette autorité peut être effective ou virtuelle, étant, pour ce second cas, « ce qui est à l’état de simple possibilité », l’adjectif pouvant également viser « ce qui est possible » (avec renvoi à la doctrine de M. J-Fr. LECLERCQ, « La notion d’accident survenu dans le cours de l’exécution du contrat de travail, dans la doctrine des arrêts de la Cour », discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée le 9 septembre 2002 et publié au J.T.T., 2002, p. 350).

La cour du travail précise que le lieu de l’accident n’est pas totalement déterminant, puisqu’un employeur pourrait exercer son autorité et restreindre la liberté d’un travailleur aussi bien dans les murs de l’entreprise qu’en-dehors. Si un accident survient pendant une pause ou un temps de repos, il peut être considéré comme accident du travail lorsque le travailleur passe cette pause ou ce temps de repos sur le lieu du travail ou dans les environs immédiats, « à moins [qu’il] ne soit la conséquence d’occupations personnelles étrangères à un emploi normal du temps de repos » (avec renvoi ici également à J.-Fr. LECLERCQ). Elle rappelle également que le législateur a voulu favoriser une interprétation extensive de la notion d’accident survenant dans le cours de l’exécution du contrat.

Il convient dès lors de savoir si, en s’absentant de 16h45 à 20h00 pour des motifs privés et sans aucune autorisation préalable, l’intéressée a pu être victime d’un accident du travail lors du retour à son domicile.

Pour la Ville, il y a eu non-respect dans son chef de l’article 7, § 2, du règlement communal des ouvriers auxiliaires. Cette interruption de travail fait que l’événement que l’intéressée a constaté depuis la voie publique (ayant aperçu l’intrus de l’extérieur) lorsqu’elle est rentrée d’avoir fait ses courses ne s’est produit ni dans le cours de l’exercice des fonctions ni par le fait de celui-ci.

La cour examine dès lors ce règlement, constatant que, selon son article 6, le membre du personnel (concierge) exerce sa fonction 24 heures sur 24. L’article 7, § 2, stipule que le membre du personnel occupant un logement mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions doit être présent même en-dehors de ses prestations effectives. Cependant, il peut s’absenter à partir de 18h00 jusque 22h00, en fonction des possibilités et de la structure découlant de la gestion du bâtiment. En outre, durant les week-ends, un tour de rôle est fait afin de permettre au membre du personnel concerné de se décharger de son rôle de surveillance. La mission de surveillance est également décrite, s’agissant des locaux communs, des façades extérieures ainsi que des parkings et des abords.

La cour rappelle l’appréciation du tribunal du travail, celui-ci s’étant fondé sur l’article 6 (fonctions de 24 heures sur 24), sur la nature de la surveillance, concluant sur ce point que l’intéressée avait observé la façade et constaté la présence d’un cambrioleur dans l’immeuble, étant indifférent que celui-ci se trouve dans son propre appartement, et écarté la circonstance qu’elle avait quitté l’immeuble de 16h45 à 20h00, ceci étant sans incidence, puisqu’elle se trouvait sur les lieux du travail au moment de l’accident.

La cour considère que ces motifs justifient dûment la décision rendue et les reprend : au moment de l’accident, la concierge se trouvait bien sous l’autorité de l’employeur. L’accident doit dès lors être considéré comme survenu dans le cours de l’exécution des fonctions. La Ville ne renverse pas la présomption légale.

Intérêt de la décision

La condition de l’exécution des fonctions est moins souvent rappelée que celle des caractéristiques de l’événement soudain.

La notion d’autorité de l’employeur est tout à fait spécifique à la matière, la Cour de cassation ayant rappelé dans divers arrêts que celle-ci s’identifie avec la limitation de la liberté du travailleur.

Rappelons l’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2015 (Cass., 9 novembre 2015, S.15.0039.N – précédemment commenté), selon lequel il y a existence de l’autorité de l’employeur au sens de l’article 7, 1er et 3e alinéas, de la loi du 10 avril 1971 si le travailleur a, en conséquence de son contrat de travail, eu sa liberté personnelle limitée. L’exécution du contrat de travail couvre en effet les circonstances où le travailleur se trouve sous l’autorité de l’employeur au moment de l’accident. Ainsi, en cas de participation à une compétition sportive, il faut vérifier si le travailleur était limité dans sa liberté personnelle.

Par ailleurs, dans un arrêt du 8 mai 2015 (C. trav. Liège, div. Liège, 8 mai 2015, R.G. 2014/AL/524 – également précédemment commenté), la Cour du travail de Liège a fait un rappel complet des éléments de la définition, s’agissant en l’espèce d’un accident survenu dans la cuisine de l’habitation de l’employeur.


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