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Licenciement pendant une période d’incapacité de travail et nécessités de l’entreprise

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 avril 2023, R.G. 2019/AB/781

Mis en ligne le vendredi 9 février 2024


C. trav. Bruxelles, 5 avril 2023, R.G. 2019/AB/781

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 avril 2023, la Cour du travail de Bruxelles, statuant dans le cadre de la loi du 10 mai 2007 avant sa modification par celle du 20 juillet 2022, conclut que, même si des difficultés sont consécutives à l’absence pour longue durée d’un responsable pour cause d’incapacité de travail, ceci n’implique pas nécessairement que le licenciement ne soit pas discriminatoire, l’employeur restant en l’espèce en défaut d’établir que lesdites difficultés devaient entraîner le licenciement.

Les faits

Un employé est engagé en qualité de commercial polyvalent par une société de la Région bruxelloise en 2008. Les fonctions évoluent, de même que les conditions contractuelles. Il devient, en 2013, responsable d’un site d’exploitation de la société.

En juillet 2016, la veille de son départ en vacances, il est victime d’un accident du travail, ayant voulu aider un client à mettre une machine dans le coffre de sa voiture. L’accident entraîne une déchirure du muscle de l’avant-bras droit. La blessure évolue ensuite en épicondylite invalidante et l’incapacité de travail imposée par une intervention chirurgicale est prolongée jusqu’au 31 août 2017.

L’intéressé informe régulièrement les représentants de la société de l’évolution des soins. Le 1er août 2017, il leur adresse encore un courriel, mentionnant notamment qu’il fait tout pour récupérer sa mobilité et pouvoir reprendre le travail.

Trois semaines plus tard, soit pratiquement à la fin de la période couverte par certificat, il est licencié, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, le C4 mentionnant comme motif du chômage « nécessités de fonctionnement ». Les motifs concrets du licenciement, demandés par l’employé, sont exposés par la société dans un long courrier du 14 novembre. Il est essentiellement fait état des dysfonctionnements ayant résulté de ses absences prolongées. La société reprend l’historique de celles-ci depuis l’année 2012, exposant que les absences avaient impacté la gestion du magasin où il prestait, dans la mesure où l’équipe n’était plus encadrée de manière quotidienne par un manager de terrain. Elle expose qu’aux fins d’assurer un encadrement régulier, les membres du comité de direction allaient à l’avenir se partager cette tâche de manager, l’assumant à tour de rôle.

Une procédure est alors engagée, l’intéressé considérant le licenciement manifestement déraisonnable et postulant également une indemnité pour discrimination fondée sur un handicap, montants auxquels il ajoute une demande d’indemnisation pour abus de droit, s’agissant de la réparation d’un dommage moral consécutif à son licenciement, évalué à 25.000 euros

Par jugement du 17 septembre 2019, le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre) le déboute de la totalité de ses demandes.

Appel est interjeté, l’appelant reprenant l’ensemble des chefs de demande tels que soumis au tribunal.

La décision de la cour

Dans son rappel des principes relatifs à l’interdiction de discrimination, la cour rappelle la modification intervenue dans la loi du 10 mai 2007 par celle du 20 juillet 2022, le texte actuel ayant remplacé les mots « état de santé actuel ou futur » par « état de santé ». La cour, qui expose brièvement les motifs de cette modification de texte (s’agissant de couvrir le passé médical, vu que, par exemple, une personne qui aurait eu un cancer dans le passé risquerait de se voir refuser un emploi par crainte d’une rechute), souligne que c’est l’ancien texte qui doit trouver à s’appliquer.

Aucune définition légale n’a été donnée dans la loi (ni dans celle du 25 février 2003 ni dans celle du 10 mai 2007) de la notion d’« état de santé actuel ou futur ». Renvoi est fait à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (autrement composée) du 9 janvier 2019 (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2019, R.G. 2016/AB/380), qui s’est notamment penché sur la question des examens prédictifs et sur l’interdiction de discrimination sur la base d’une caractéristique physique ou génétique. Pour la cour, dans l’arrêt commenté, l’acception à donner à l’état de santé actuel ou futur, à savoir tous les éléments relatifs à l’état de santé du travailleur au moment de la mesure litigieuse et dans le futur par rapport à ce moment, n’implique pas que tout licenciement pour force majeure médicale ou pour incapacité de travail définitive, ou encore moyennant indemnité compensatoire de préavis, serait automatiquement discriminatoire, l’employeur pouvant démontrer que la distinction directe fondée sur ce critère est objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser celui-ci sont appropriés et nécessaires.

La cour reprend ensuite la notion de « handicap » dans la jurisprudence de la Cour de Justice, ainsi que celle d’« aménagements raisonnables », s’attardant longuement à un arrêt du 10 février 2022 (C.J.U.E., 10 février 2022, n° C-485/20, XXX c/ HR RAIL, EU:C:2022:85), hypothèse concernant un agent de maintenance spécialisée sur les voies ferrées ayant été déclaré définitivement inapte à la fonction. Celui-ci fut réaffecté à un poste de magasinier et, en fin de compte, licencié. La Cour de Justice fut saisie par le Conseil d’Etat (C.E., 30 juin 2020, n° 247.959) et a répondu que la notion d’« aménagements raisonnables » au sens de l’article 5 de la Directive n° 2000/78/CE implique que, dans une telle situation, l’agent, même lorsqu’il s’agit d’un agent accomplissant un stage consécutif à son recrutement, doit être affecté à un autre poste pour lequel il dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises, et ce sous réserve qu’une telle mesure n’impose pas à l’employeur une charge disproportionnée. Elle reprend à cet égard les propos développés par M. l’Avocat général RANTOS sur ce point précis.

Renvoi est également fait à la jurisprudence européenne pour ce qui est du mécanisme probatoire, et ce pour chacune des deux formes de discrimination, directe et indirecte. La cour rappelle encore l’apport de la Cour constitutionnelle (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009) : le demandeur doit démontrer que le défendeur a commis des actes ou a donné des instructions qui pourraient, de prime abord, être discriminatoires. La charge de la preuve incombe dès lors en premier lieu à la victime.

En l’espèce, la cour ne retient pas l’existence d’un handicap. Même si l’intéressé a présenté une limitation résultant d’atteintes physiques pouvant faire obstacle à sa pleine et effective participation à la vie professionnelle, le caractère durable de cette limitation n’est pas démontré à suffisance. Par contre, elle retient une discrimination liée à l’état de santé actuel ou futur, le licenciement étant intervenu quelques semaines après la dernière prolongation de l’incapacité de travail et le dernier courriel de l’intéressé. Pour la cour, quand bien même les motifs invoqués seraient les dysfonctionnements engendrés par des absences prolongées du travailleur, la cause du licenciement paraît avoir un lien avec l’état de santé et les conséquences de celui-ci sur la capacité de travailler. Elle retient dès lors la présomption de lien entre le licenciement et l’état de santé actuel, constatant en premier lieu que d’autres motifs que ceux donnés initialement (et ce de manière très circonstanciée) doivent être rejetés, pour tardiveté, ainsi un motif tiré de l’inaptitude du travailleur à la fonction. La question doit être examinée eu égard aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, étant les motifs donnés initialement.

Pour ce qui est des incapacités anciennes, la cour considère qu’elles sont trop éloignées pour avoir pu jouer un rôle dans la rupture. La vérification doit être faite de l’existence effective de nécessités de fonctionnement au moment du licenciement, ce qui l’amène à examiner les chiffres d’affaires, ceux-ci étant présentés par la société aux fins de conforter son argument de moindre rentabilité liée aux absences du responsable. Pour la cour, cette démonstration n’est pas faite, d’autres motifs pouvant influencer les fluctuations de ce chiffre d’affaires.

Examinant les diverses attestations déposées par chacune des parties, la cour relève en outre que l’intéressé était à charge de la mutuelle pendant son incapacité de travail et que son salaire n’était pas un coût pour l’entreprise, son absence pouvant par ailleurs être palliée par des visites plus régulières des membres du comité de direction. La cour voit également dans l’absence d’un autre responsable un indice du fait qu’il n’y avait pas de problème inquiétant de rentabilité du magasin, ce remplacement n’étant intervenu que plus tard.

En fin de compte, la société n’établit pas, pour la cour, les nécessités vantées et la conclusion qu’elle retient est un lien avec l’état de santé. Elle accorde dès lors l’indemnité pour discrimination.

Elle rejette cependant l’indemnité sollicitée pour licenciement manifestement déraisonnable, au motif que l’article 9, § 3, de la C.C.T. n° 109 interdit le cumul de cette indemnité avec toute autre indemnité due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail (sauf exceptions non rencontrées).

Elle rejette enfin la demande de réparation d’un dommage moral, au motif que l’employé ne démontre pas que la faute de la société aurait occasionné un préjudice non réparé par l’indemnité compensatoire de préavis d’une part et par l’indemnité de protection de l’article 18 de la loi du 10 mai 2007 de l’autre.

Intérêt de la décision

La cour du travail se livre, dans l’arrêt commenté, à un examen particulièrement circonstancié des éléments déposés en vue d’établir les nécessités de fonctionnement de l’entreprise. L’on notera que ces difficultés – même si elles ont existé – n’ont pas été retenues comme suffisamment importantes pour justifier le licenciement de l’intéressé, celui-ci coïncidant par ailleurs avec d’autres éléments étroitement liés à l’incapacité de travail (communication d’un nouveau certificat de prolongation, annonce d’une obligation de mise au repos pendant plusieurs semaines, etc.). L’appréciation du lien avec le motif est effectuée en fait par la cour sur la base de l’ensemble des éléments soumis.

L’on notera par ailleurs qu’une fois les motifs concrets du licenciement donnés, et détaillés d’ailleurs longuement dans le courrier ad hoc, l’ajout d’autres motifs, ultérieurement, est périlleux. La cour retient en l’espèce que ceux-ci s’écartent des motifs concrets donnés conformément aux exigences de la C.C.T. n° 109 et elle les rejette très rapidement.

Par ailleurs, la cour a statué dans le cadre de la loi du 10 mai 2007 avant sa modification par celle du 20 juillet 2022. Est actuellement visé l’état de santé de manière générale, étant actuellement admises les hypothèses où un refus d’engagement (ou un licenciement) interviendrait eu égard à des craintes suscitées par un état de santé passé.

Enfin, sur la question du cumul entre l’indemnité pour licenciement discriminatoire et pour licenciement manifestement déraisonnable, rappelons que la question est débattue en jurisprudence. Dans l’arrêt commenté, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’absence de cumul, contrairement à la Cour du travail de Mons, qui, dans un arrêt du 23 septembre 2022 (C. trav. Mons, 23 septembre 2022, R.G. 2021/AM/102 – précédemment commenté), avait admis celui-ci.


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