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L’O.N.S.S. est-il tenu aux obligations de la Charte de l’assuré social ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 novembre 2023, R.G. 2018/AB/934

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2024


Cour du travail de Bruxelles, 9 novembre 2023, R.G. 2018/AB/934

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 novembre 2023, la cour du travail de Bruxelles reprend l’enseignement de la Cour constitutionnelle sur le point de savoir si l’O.N.S.S. est visé par les obligations de la Charte de l’assuré social et s’il est une institution de sécurité sociale au sens de cette loi.

Les faits

L’O.N.S.S. a procédé en 2015 au désassujettissement d’office d’une travailleuse du régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés pour des prestations relatives à cinq trimestres (2013 – 2014).

Pour prendre sa décision, l’O.N.S.S. s’est fondé sur une série d’éléments. Ceux-ci ont notamment trait à l’absence de respect des obligations de la société sur le plan fiscal et TVA. Celle-ci ayant fait faillite, le gérant a fait des déclarations selon lesquelles, notamment, il n’avait pas engagé de personnel. Par ailleurs des éléments suspects avaient été relevés, dont une rotation du personnel à partir d’autres entreprises ou une occupation fictive.

L’intéressée fut auditionnée par l’O.N.S.S. mais ne put apporter la preuve que des prestations de travail avaient été effectuées pour le compte de l’employeur (ou pour le compte d’un autre).

Cette décision de l’O.N.S.S. en entraîna d’autres, dont une de son organisme assureur AMI, qui demanda le remboursement d’indemnités perçues dans le cadre d’une incapacité de travail.

L’organisation syndicale de l’intéressée intervint et apporta des éléments nouveaux, qui entraînèrent un réexamen du dossier. Suite à celui-ci, l’O.N.S.S. maintint cependant sa décision.

L’O.N.V.A. se manifesta également, aux fins de réclamer des sommes perçues dans le régime des vacances des ouvriers.

Rétroactes de procédure

Une requête fut déposée devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles aux fins de faire mettre à néant la décision de l’O.N.S.S.

Par jugement du 17 octobre 2018, la demande fut déclarée irrecevable, au motif du non-respect du délai de recours de trois mois. Le tribunal précisa qu’il appartenait à la demanderesse de se renseigner quant à ses droits et obligations, le pli recommandé ayant été envoyé à son adresse. Il a précisé que l’O.N.S.S. n’était pas visé par la Charte de l’assuré social, qui ne concerne que les rapports entre les assurés sociaux d’une part et les organismes chargés d’assurer le paiement des prestations sociales de l’autre. Or, l’Office n’est chargé que de percevoir les cotisations de sécurité sociale et de les répartir entre lesdits organismes.

La demanderesse originaire interjette appel.

La contestation en appel

La cour constate en premier lieu que la question principale à trancher est celle de la recevabilité de la demande introduite devant le tribunal.

L’appelante ayant sollicité avant-dire droit dans sa requête d’appel qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle, portant sur l’article 2, 2° de la Charte de l’assuré social (l’intéressée demandant à la Cour si cette disposition, interprétée en ce sens que l’O.N.S.S. n’est pas une institution de sécurité sociale ne viole pas les articles 10,11 et 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, dès lors qu’un assuré social peut se prévaloir des dispositions de la Charte en cas de refus d’octroi ou de remboursement de prestations sociales émanant d’une institution de sécurité sociale au sens de la Charte alors que ceci n’est pas le cas pour une décision de l’O.N.S.S. décidant de le désassujettir du régime général de la sécurité sociale), la Cour répond d’abord à ce point.

Elle rappelle qu’une question similaire a déjà été posée à la Cour constitutionnelle par une autre juridiction, s’agissant du tribunal du travail de Liège, qui a interrogé celle-ci par jugement du 28 janvier 2019.

La Cour a répondu dans un arrêt du 25 mars 2021 (C. Const., 25 mars 2021, arrêt n° 49/2021), dans lequel elle a conclu à la non-violation des articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, elle a déclaré la question irrecevable pour ce qui est de la compatibilité des mêmes dispositions avec l’article 23, alinéa 3, 2° de la Constitution.

La cour du travail reprend de très larges extraits de cet arrêt de la Cour constitutionnelle, qui a considéré que l’O.N.S.S. doit être considéré comme une autorité administrative fédérale au sens de l’article 2 de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration et que lorsqu’il annule l’assujettissement d’une personne à la sécurité sociale des travailleurs salariés il prend une décision qui doit satisfaire aux obligations de l’article 2, 3° et 4° de cette loi. La différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est interrogée a dès lors été considérée comme inexistante pour ce qui est de l’indication obligatoire des possibilités de recours, ainsi que des délais et modalités.

En ce qui concerne les mentions énumérées à l’article 14 de la Charte, elle a également conclu qu’il ne s’agit pas d’une obligation qui diffère fondamentalement de celles reprises à l’article 2, 3°, de la loi du 11 avril 1994.

Elle a cependant retenu qu’une différence pouvait être constatée sur le plan de la motivation formelle relative aux décisions d’octroi ou de refus des prestations, et ce sur le mode de calcul de sommes d’argent. Elle a cependant conclu ici que le législateur a pu raisonnablement juger que dans le cadre de telles décisions il est particulièrement important d’attirer explicitement l’attention de l’intéressé sur la possibilité d’obtenir des explications et des informations supplémentaires. La question posée relative à la différence de traitement aboutit dès lors à une réponse négative, cette différence étant considérée inexistante.

Suite à l’examen de cette première question, la cour du travail en vient à celui de la recevabilité de la demande originaire, n’étant pas contesté que la requête a été introduite plus de trois mois après la notification de la décision de l’O.N.S.S.

L’appelante persiste dans sa contestation, maintenant d’une part que l’arrêt de la Cour constitutionnelle ci-dessus ne se prononce pas sur la question de savoir si la Charte de l’assuré social ne s’applique aux décisions de l’O.N.S.S. et que la Cour de cassation semble pour sa part admettre que l’Office fait partie des institutions de sécurité sociale au sens de l’article 2, 2° de la Charte, ce qui se déduit également de la ratio legis de la loi, qui vise à la protection des assurés sociaux. Elle fait également valoir l’absence des mentions requises, précisant que la décision ne mentionne pas la possibilité de déposer la requête devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles, ne faisant référence qu’au tribunal néerlandophone, qu’aucune explication n’est fournie concernant la forme du recours (requête ou citation) et que la décision de l’O.N.S.S. n’est pas datée ni signée. Elle déduit de ceci que la décision ne peut avoir aucun effet juridique et que le délai de recours ne peut pas avoir pris cours.

La cour du travail examine dès lors chacun de ces points.

Elle procède en premier lieu à celui relatif à l’application de la Charte de l’assuré social.

Pour la cour l’article 2, 2° de la Charte est clair, visant tout organisme, toute autorité ou toute personne morale de droit public qui accorde des prestations de sécurité sociale, ce que ne fait pas l’O.N.S.S. Pour ce qui est de l’article 14, celui-ci mentionne expressément qu’il s’applique aux décisions d’octroi ou de refus de prestations.

L’appelante se référant à un arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 2014, la cour du travail rejette que celui-ci puisse modifier la conclusion ci-dessus, la Cour de cassation n’ayant pas dit que la Charte de l’assuré social s’applique à l’O.N.S.S. , celle-ci ayant statué en matière de dépens de l’instance, à propos de l’alinéa 2 de l’article 1017 du Code judiciaire (dont elle la jugé qu’il s’applique aux actions introduites par un assuré social au sens de la Charte dans une procédure visée à l’article 580, 2°, du Code judiciaire).

Elle précise, à propos de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 mars 2021, que si son considérant B.6.1. laisse supposer qu’elle n’a pas souhaité se positionner sur l’application des dispositions de la Charte à l’O.N.S.S., elle n’a cependant pas remis en cause la position généralement admise selon laquelle l’Office n’est pas visé à l’article 2, 2° de la Charte. La cour du travail rappelle que la Cour constitutionnelle a procédé dans cet arrêt à une comparaison entre les dispositions de la loi du 11 avril 1994 et celles de la Charte aux fins de vérifier si les deux textes contiennent des garanties similaires.

Il faut, en conséquence, vérifier si la décision litigieuse est conforme à l’article 2, 4°, de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration et non au regard de l’article 14 de la Charte de l’assuré social.

La cour rejette l’argument tiré de l’absence de motivation, et ce vu que cette obligation ne figure pas à l’article 14 de la Charte mais à son article 13, celui-ci ne prévoyant pas que le défaut de motivation entraîne l’absence de prise de cours du délai de recours.

Par ailleurs l’obligation de motiver figure dans la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et la cour rappelle ici la sanction légale, qui est la nullité de la décision, le défaut de motivation n’ayant aucune incidence sur le délai de recours.

Pour ce qui est de l’absence de mention du tribunal compétent, celui-ci figure dans la décision, cette juridiction étant en l’espèce compétente dans la mesure où l’intéressée était domiciliée à Bruxelles, que son employeur avait son siège social à Anvers et que la décision été rédigée en néerlandais.

La cour règle ensuite rapidement la question de l’absence d’explication concernant la forme du recours, celle-ci figurant dans la décision de l’O.N.S.S.

Quant à l’absence de date et de signature, s’agissant d’un acte administratif unilatéral à portée individuelle, la cour renvoie aux règles applicables en la matière, concluant que l’absence de signature et de mention de la date sur le document déposé par l’O.N.S.S. – qui n’est pas la décision originale – n’a pas pour effet de suspendre le délai de recours.

L’appel est dès lors rejeté, le jugement étant confirmé (sauf en ce qui concerne les dépens).

Intérêt de la décision

Dans son arrêt du 25 mars 2021, la Cour constitutionnelle avait été invitée à statuer sur la compatibilité de l’article 2, alinéa 1er, 1°, a), et 7°, de la loi du 11 avril 1995, combiné à l’article 14 de la même loi, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que ces dispositions auraient pour effet que le délai pour introduire un recours contre la décision d’une institution de sécurité sociale ou d’une institution coopérative de droit privé en matière d’octroi ou de refus de prestations ne prend cours, en vertu de l’article 14 de la loi du 11 avril 1995, que si cette décision contient expressément certaines mentions énumérées spécifiquement, alors que le délai pour introduire un recours contre une décision de l’Office national de sécurité sociale (O.N.S.S.) annulant un assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés prend cours même si certains éléments énumérés à l’article 14 de la loi du 11 avril 1995 ne sont pas mentionnés dans la décision.

Soulignons que dans l’arrêt de la cour du travail de Bruxelles ici commenté, Monsieur l’Avocat général avait suivi l’argumentation de l’appelante, précisant que, la décision de l’O.N.S.S. ne contenant pas le texte des articles 728 et 1017 du Code judiciaire, l’absence de ces informations devrait, par analogie avec l’article 14 de la Charte, avoir pour conséquence que le délai de recours contre la décision de l’O.N.S.S. annulant l’assujettissement ne prend pas cours et que le défaut de cet effet devrait être considéré comme rompant l’égalité entre les citoyens ou du moins entre les personnes justiciables des juridictions du travail. Il avait dès lors suggéré qu’à tout le moins une nouvelle question préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle, question dont il précisait les termes dans son avis.

La cour du travail ne l’a pas suivi.

Relevons, également, qu’il a été jugé sur la même question que

  • Dès lors que la notification de l’O.N.S.S. ne comporte pas les mentions imposées par l’article 14 de la Charte de l’assuré social, se pose la question de savoir si le délai de recours de trois mois a pu commencer à courir. La cour du travail rappelle que, même si l’O.N.S.S. peut être considéré comme une institution de sécurité sociale au sens de l’article 2, 2°, de la Charte, l’article 14 ne lui est pas applicable, l’O.N.S.S. n’étant pas une institution qui accorde ou refuse des prestations de sécurité sociale. Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 mars 2021 (n° 49/2021), qui a conclu que les obligations au sens de la Charte et celles de la loi du 11 avril 1994 (respectées en l’espèce) sont similaires. La cour confirme en conséquence que le recours introduit après le délai de trois mois est irrecevable (C. trav. Liège (div. Namur), 13 octobre 2022, R.G. 2018/AN/157 – précédemment commenté) et
  • L’article 2, 2°, de la Charte de l’assuré social, qui définit le champ d’application de celle-ci, vise les ministères, les institutions publiques de sécurité sociale, ainsi que tout organisme, autorité ou toute personne morale de droit public qui accorde des prestations de sécurité sociale. Même à supposer que l’O.N.S.S. puisse être considéré comme une institution de sécurité sociale, il n’est pas une institution qui accorde ou refuse des prestations de sécurité sociale (C. trav. Bruxelles, 1er juin 2017, R.G. 2014/AB/687 – précédemment commenté.

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