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La qualité de chômeur ayant charge de famille octroyée en cas de paiement d’une pension alimentaire suppose que ce paiement intervienne à bon droit

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 25 juillet 2023, R.G. 2023/AL/91

Mis en ligne le lundi 1er avril 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 25 juillet 2023, R.G. 2023/AL/91

Dans un arrêt du 25 juin 2023, la cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que pour l’octroi du taux majoré, le chômeur doit justifier d’une situation particulière, étant la situation concrète de l’enfant bénéficiaire et qu’il a l’obligation de s’enquérir de celle-ci.

Les faits

Un travailleur salarié, née en 1960, a quatre enfants.

Il a été condamné à verser une contribution alimentaire par un jugement du juge de paix rendu en 2001. Cette contribution alimentaire concerne sa dernière fille, née en 1990.

Un second jugement est rendu le 18 juin 2015, la part contributive étant réduite, l’enfant ayant alors 25 ans.

Dans un C1 du 26 février 2018, l’intéressé déclare vivre seul mais payer une pension alimentaire. Il est dès lors indemnisé en tant que chômeur avec famille à charge.

Sur le plan civil, vu les retards de paiement des contributions alimentaires, un huissier intervient et adresse un ultime rappel avant poursuites le 2 juillet 2019. Celui-ci concerne des arriérés de janvier 2015 à février 2016.

Des voies d’exécution ont par ailleurs été entreprises.

L’intéressé paye les arriérés par mensualités de juillet 2019 à avril 2020 et s’est par ailleurs acquitté régulièrement des parts contributives récentes jusqu’en juillet 2019.

En octobre 2019, sa fille, pour qui les contributions alimentaires étaient dues, à ce moment âgée de 29 ans, commence à travailler.

Le paiement des pensions pour celle-ci se poursuit néanmoins.

Entendu, l’intéressé déclarera en mai 2022 avoir payé la part contributive jusqu’au 31 mars 2021, dans l’ignorance que sa fille travaillait depuis près d’un an et demi.

Le 12 mai 2022, l’ONEM lui notifie une décision par laquelle il octroie le taux isolé depuis le 6 octobre 2019 au 31 mars 2021, récupère l’indu et le sanctionne d’une exclusion de 13 semaines.

La décision se fonde sur la circonstance que la condamnation au paiement d’une pension alimentaire est censée ne plus avoir d’effet dès la fin des études si l’enfant n’est pas dans un état de besoin. L’ONEM considère qu’à partir du moment où l’enfant a trouvé du travail, l’état de besoin a cessé.

Par jugement du 17 février 2023, le tribunal du travail de Liège (division Liège) déclare non fondé le recours introduit par l’assuré social.

L’appel

L’appelant plaide essentiellement qu’il ignorait qu’il n’était plus tenu au paiement d’une part contributive, étant sans contact avec sa fille. Il entend faire valoir sa bonne foi et, quant à la sanction, demande sa réduction soit à un simple avertissement soit subsidiairement à un minimum de quatre semaines.

L’avis du ministère public

Pour M. l’Avocat général, le taux de chef de ménage ne peut être reconnu. Il relève également que la dette se rapportait à une période antérieure à la mise en chômage.

Pour ce qui est de la sanction, la fourchette étant de 8 à 13 semaines, il est d’avis que la sanction maximale est excessive, s’agissant d’une première infraction.

La décision de la cour

La cour constate qu’il n’est pas contesté que l’appelant ne pouvait bénéficier du taux chef de ménage, dans la mesure où sa fille avait commencé à travailler.

La réglementation prévoyant que peut avoir la qualité de chômeur ayant charge de famille le travailleur isolé qui paie une pension alimentaire pour ses enfants, la cour souligne d’emblée qu’encore faut-il payer cette pension alimentaire à bon droit.

Pour ce qui est des arriérés de parts contributives pour la période de 2015 à 2016, réclamées par voie d’huissier en juillet 2019, la dette est ancienne. Le chômeur ayant payé celle-ci avec un retard considérable, il ne peut se prévaloir du bénéfice du statut de famille à charge pour la période au cours de laquelle la régularisation est intervenue. Même s’il avait payé, non un arriéré mais une contribution alimentaire en temps réel, il ne pourrait non plus bénéficier du taux chef de famille. La réglementation suppose, en effet, que par l’octroi d’un taux plus élevé le chômeur justifie d’une situation particulière, étant la situation concrète de l’enfant bénéficiaire. Il a l’obligation de s’enquérir de celle-ci.

Sur la récupération de l’indu, la cour reprend le texte de l’article 169, al. 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Constatant que l’appelant entend faire valoir sa bonne foi, la cour rappelle que c’est au chômeur qu’il appartient de démontrer celle-ci et reprend la notion de bonne foi au sens de cette disposition réglementaire : c’est l’absence légitime de conscience du caractère indu du paiement sans que le chômeur ne soit tenu de prouver un cas de force majeure. Il y a dès lors lieu de savoir si l’appelant prouve qu’il ne pouvait se rendre compte que les allocations étaient indues.
Les arriérés payés de juillet 2019 à avril 2020 concernent les parts contributives relatives à une période allant de janvier 2015 à février 2016. La cour considère dès lors qu’il est très probable que l’appelant savait entre octobre 2019 et avril 2020 qu’il n’avait fait qu’apurer des arriérés bien antérieurs, ce qui ne pouvait fonder l’octroi des allocations au taux famille à charge.

Elle ajoute qu’il n’est pas légitime de payer une contribution pour un enfant âgé de 29 ans « soit un âge où on peut réalistement espérer que sa progéniture vole de ses propres ailes », sans s’enquérir de la nécessité de cette aide. La bonne foi n’est nullement établie et la demande de limitation de la récupération est dès lors rejetée.

Sur la sanction, la cour relève avec le ministère public l’absence d’antécédents spécifiques et une longue carrière de travail. La sanction de 13 semaines est dès lors jugée excessive et elle est ramené à huit semaines.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Liège (division Liège) est une nouvelle fois l’occasion d’attirer l’attention sur ce qu’un jugement qui condamne un parent au paiement d’une part contributive, même s’il ne limite pas ses effets dans le temps, ne permet pas nécessairement à ce parent de se prévaloir de ses paiements pour ce qui concerne la qualité de travailleur ayant charge de famille au sens de l’article 110, § 1er, 3°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 lorsque cet enfant devient majeur.

La question a fait l’objet d’un examen approfondi dans un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 24 novembre 2022 (C. trav. Bruxelles, 24 novembre 2022, R.G. 2021/AB/113 - précédemment commenté). La Cour du travail de Bruxelles y avait relevé qu’il existe deux types d’obligation alimentaire dans le chef d’un parent. La première est prévue par l’article 203, § 1er, de l’ancien Code civil, qui instaure une obligation alimentaire pour les enfants mineurs, obligation qui dure en principe tant que la formation n’est pas achevée. La seconde, qui figure à l’article 205 du même Code, n’existe qu’à la condition que les enfants soient dans le besoin et que les parents aient des ressources et dans la mesure de celles-ci.

Dans l’espèce tranchée par la Cour du travail de Bruxelles, tous les enfants étaient mineurs lors du jugement ayant fixé les contributions alimentaires et c’est donc l’article 203 de l’ancien Code civil qui trouver à s’appliquer, de même que dans la présente affaire.

La particularité de l’espèce soumise à la Cour du travail de Liège et ayant donné lieu à cet arrêt du 25 juillet 2023 concerne l’exigence de la concomitance entre le statut de chômeur avec famille à charge et le paiement effectif d’une pension alimentaire pour la période correspondante.

Le fondement de la mesure est en effet de permettre au travailleur débiteur d’une obligation alimentaire de faire face à celle-ci.

Le système pose ainsi une exigence de paiement non seulement effectif mais également en temps réel.

La Cour du travail de Liège souligne dans l’arrêt commenté que dès lors que les pensions alimentaires payées pendant la période de juillet 2019 à avril 2020 ne concernaient pas la période visée, le taux majoré de l’allocation de chômage ne se justifiait pas. Vu la période retenue dans la décision administrative, l’arrêt ne vise cependant que la période à partir du 6 octobre 2019, qui est la date de la survenance d’un élément spécial, étant la mise au travail de l’enfant bénéficiaire.

Enfin, la cour relève un autre point important, étant qu’il appartient au chômeur qui revendique le taux majoré de s’enquérir de la situation concrète du créancier de l’obligation alimentaire et qu’il ne peut se retrancher derrière son ignorance de celle-ci.


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