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Démonstration de ce qu’un chômeur ne doit pas faire lorsqu’il envisage d’exercer une activité accessoire d’indépendant

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 5e ch., 1er septembre 2023, R.G. 20/1.940/A

Mis en ligne le lundi 27 mai 2024


Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 5e ch., 1er septembre 2023, R.G. 20/1.940/A

Dans un jugement du 1er septembre 2023, le tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle quelques règles relatives à la mesure « tremplin indépendant ».

Les faits de la cause

Mme M. a obtenu du FOREm une dispense de disponibilité sur le marché de l’emploi du 2.09.2019 au 31.07.2020 pour suivre une formation professionnelle.

En date du 12.08.2020, elle a déclaré par un formulaire C1.C qu’elle souhaitait exercer une activité accessoire indépendante d’institut de beauté et onglerie à partir du 1.09.2020 et bénéficier de la mesure « Tremplin indépendants ».

Les services de l’ONEm ont alors consulté la page Facebook renseignée sur la demande et ont constaté que le salon de beauté était ouvert depuis le 10.09.2020 et que les horaires mentionnés étaient de 8 à 18H du lundi au vendredi, de 8 à 12H le samedi et de 14 à 18H le dimanche.

Des explications ont alors été demandées à Mme M. sur cette activité indépendante non déclarée.

Mme M. a répondu par courriel qu’elle avait commencé à préparer sa nouvelle activité en vérifiant si elle serait pérenne financièrement. Elle a donc contacté l’ASBL « Je crée mon Job » en septembre 2018. Elle a été prise en stage et a fait diverses formations du 02.12.2018 au 13.02.2019, a passé le jury central en esthétique en juin 2019 puis a été acceptée en couveuse par « Je crée mon Job » le 02.02.2019. Ce contrat de formation s’est terminé le 31.07.2020.

Elle précise que « quelques revenus ont été perçus pour prouver la viabilité de mon activité et l’intégralité de l’argent perçu a été placé sur un compte bloqué au nom de « Je crée mon job ».

L’ONEm a constaté que la formation suivie entre décembre 2018 et février 2019 ne lui avait pas été déclarée.

Par une décision du 18.09.2020, Mme M. a :

  • été exclue du bénéfice des allocations de chômage du 10.09.2018 au 01.09.2019 et du 01.08.2020 au 31.08.2020 sur la base des articles 44, 45 et 71 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 avec récupération des allocations indûment perçues,
  • été exclue du bénéfice des allocations de chômage à partir du 01.09.2020 sur la base des articles 48, § 1bis, et 48, § 3, de cet arrêté et
  • été exclue du bénéfice des allocations pour 18 semaines, sanction administrative justifiée par le défaut de respect des obligations relatives à la carte de contrôle.

Par un courrier du 25.09.2020, Mme M. a demandé à l’ONEm de revoir sa décision.
Elle soutient que le compte Facebook a été créé pour stimuler un intérêt pour de potentiels clients comme demandé par « Je crée mon Job », ce qui explique les horaires mentionnés. Les quelques revenus perçus proviennent de sa mère, sa cousine et son amie, qui servaient de modèles et qui peuvent attester n’avoir rien payé en dehors de la couveuse de « Je crée mon Job ».

Elle précise que sa carte de contrôle était électronique en sorte qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir noirci sa carte de contrôle. Elle indique que le but du plan tremplin est de promouvoir une activité future d’indépendant.

En réponse, l’ONEm précise avoir tenu compte de la dispense pour l’accompagnement via cette structure, ajoutant que la pérennité de l’activité n’est pas un critère pour vérifier la privation de travail. Les mentions de la page Facebook établissent une activité depuis le 18.09.2020. Quant au plan tremplin, il aurait dû être demandé avant le début de l’activité. Pour ces raisons, la décision de l’ONEm est maintenue.

La décision commentée

Le tribunal retient qu’il ressort clairement des pièces produites que Mme M. avait l’intention de créer un institut de beauté qui puisse devenir son activité principale. Les pièces produites témoignent du sérieux de ce projet. Mais c’est « précisément pour permettre aux chômeurs de sortir du chômage pour lancer une activité indépendante qu’a été instauré en 2016 le système du ‘tremplin indépendant’, réglé par l’article 48 § 1bis, permettant le cumul de l’activité avec les allocations de chômage pendant 1 an, tandis que la possibilité de poser des actes préparatoires tout en chômant pendant 6 mois existait déjà en vertu de l’article 45 alinéa 5. Bien entendu, la condition de tout cumul est de déclarer préalablement l’activité à l’ONEm, ce qui n’a été réalisé que deux ans après le début de l’activité ».

Les publications sur Facebook montrent une activité suivie et qui n’est pas accessoire et Mme n’établit pas que l’ASBL lui aurait conseillé de publier des informations exagérées ou mensongères, ce qui ne ressort d’aucun document émanant de cette ASBL.

En outre, les rapports d’entretien font état d’une clientèle certes peu importante. Le jugement considère cependant que : « Les 3 attestations de proches ne peuvent suffire à démontrer que l’activité n’était pas un travail au sens de l’article 45 ».

La décision de l’ONEm d’exclure Mme M. du droit aux allocations est donc justifiée.

Quant à la récupération, Mme M. demandait qu’elle soit limitée aux jours de prestations déterminées par les dates de formation et des publications sur Facebook. Le jugement considère que lesdites publications révèlent une activité nécessitant d’autres journées de travail. Or, Mme M. ne produit ni agenda, ni factures, ni preuves de paiement qui permettraient de faire droit à cette demande.

Elle sollicitait également la limitation de la récupération aux 150 derniers jours d’indemnisation, ce qui impliquait qu’elle soit de bonne foi. Le jugement relève que : « il est consternant de constater que les documents émanant de la ‘couveuse’, qui s’étendent longuement sur les aspects comptables du projet, ne contiennent pas la moindre allusion, mise en garde ou renvoi quelconques concernant l’éventuelle perception d’avantages sociaux par les candidats entrepreneurs ». Le tribunal ne fait toutefois pas droit à cette prétention, estimant qu’un chômeur normalement prudent et diligent aurait pris la peine de rechercher des informations précises sur les conditions d’exercice de l’activité eu égard à la perception d’allocations de chômage « avant de se lancer, avec force publicité, dans une activité présentant toutes les apparences d’un commerce non déclaré ».

Concernant la sanction administrative infligée à Mme M. pour ne pas avoir noirci sa carte de contrôle les jours où une activité était exercée, le tribunal, après avoir relevé que : « Cette directive figure sur les cartes de contrôle » décide de la réduire au minimum de quatre semaines.

Il consacre une note de bas de la page 11 à la question des dépens, décidant notamment qu’il n’y a pas lieu à une indexation négative en mars 2023 et renvoyant à V. DE WULF : « Une première indexation à la baisse des indemnités de procédure ? », J.T.T., 2023/12, pp. 197 et 198.

Intérêt de la décision

Le tribunal expose les possibilités pour un chômeur de se lancer dans une activité accessoire indépendante.

La préparation de cette activité est autorisée par l’article 45, alinéa 5 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La nouveauté, introduite par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, est le système du « tremplin indépendant » visé à l’article 48, § 1bis, de cet arrêté royal (voir les développements de M. SIMON : « Chômage », Répertoire pratique du droit belge, Larcier, 2021, pp.122 à 124) qui, relève l’arrêt, doit faire l’objet d’une demande avant le début de l’activité.

La conviction du tribunal que l’activité indépendante de Mme M. avait commencé le 10.09.2018 se fonde sur les pages Facebook de la chômeuse.

Concernant la carte de contrôle, Mme M. a précisé dans sa demande de révision de sa décision par l’ONEm qu’elle utilisait une carte de contrôle électronique et ne pouvait donc pas la remplir à l’encre indélébile.

Cette carte est visée par l’article 71ter de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, inséré par un arrêté royal du 23 août 2014. Ainsi que le souligne M. SIMON (op.cit., pp.161 et 162), le chômeur qui opte pour cette technique ne doit plus être physiquement en possession d’une carte. Pour le surplus, il doit remplir les obligations visées à l’article 71, al.1er, de l’arrêté royal par voie électronique.


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