Terralaboris asbl

Conditions d’octroi de l’allocation de transition au conjoint survivant

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 17 octobre 2023, R.G. 2023/AN/32

Mis en ligne le mardi 28 mai 2024


C. trav. Liège (div. Namur), 17 octobre 2023, R.G. 2023/AN/32

Dans un arrêt du 17 octobre 2023, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend les conditions d’octroi de l’allocation de transition au conjoint survivant, eu égard à la modification intervenue par la loi-programme du 27 décembre 2021, entrée en vigueur rétroactivement au 1er octobre 2021.

Les faits

Après le décès de son épouse survenu le 24 septembre 2018, un assuré social sollicite l’octroi d’une allocation de transition en date du 23 novembre 2021.

Le SFP lui répond que la demande d’allocation de transition de travailleur salarié sur la base de l’occupation du conjoint décédé ayant eu la qualité de travailleur salarié ne peut être accordée, au motif de tardiveté, la demande ayant été introduite plus de 12 mois après le décès.

Rétroactes de procédure

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Liège (division Dinant).

Le requérant fait valoir qu’il était dans l’ignorance de l’existence d’un délai, que sa vie a été bouleversée, d’autant que leur dernier enfant a été diagnostiqué autiste en mars 2018 et que l’ensemble de ces circonstances difficiles explique qu’il ne se soit pas informé en temps utile.

Par jugement du 10 juin 2022, le tribunal du travail considère que l’intéressé ne remplissait pas la condition d’âge pour prétendre à une pension de survie, qu’il remplissait par contre les conditions de l’allocation de transition et qu’il ne rentrait pas dans une des situations qui obligeaient le SFP à examiner d’office son droit à celle-ci.

Il relève en outre que la demande a été introduite plus de 12 mois après le décès et qu’il ne peut tout au plus prétendre qu’au solde de cette allocation, sans effet rétroactif.

La durée d’octroi étant cependant limitée à 24 mois (devenue 48 mois à partir du 1er octobre 2021), le tribunal ordonne la réouverture des débats sur la question de l’application immédiate de la modification légale.

Le tribunal vide sa saisine par jugement du 27 janvier 2023, dans lequel il annule la décision administrative de refus de l’allocation pour défaut de motivation et se substitue à celle-ci. Il condamne le SFP à verser l’allocation pour la période de décembre 2021 à septembre 2022. Il admet ainsi que la durée de l’allocation est de 48 mois, la demande ayant été introduite après l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, de telle sorte que la loi nouvelle doit s’appliquer.

Le SFP interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour le SFP, la décision administrative ne doit pas être annulée, car elle respecte l’obligation de motivation formelle. Il précise notamment que la décision ne pouvait expliquer la raison pour laquelle il n’était pas fait application de la modification légale intervenue avec effet au 1er octobre 2021, dans la mesure où elle a été prévue par la loi-programme du 27 décembre 2021, postérieure à la décision administrative. Au moment où la demande a été adressée, l’intéressé n’avait pas droit à une allocation de transition. Le SFP fait également d’autres griefs au jugement, étant notamment de ne pas avoir respecté l’article 111 de la loi-programme, qui prévoit un régime transitoire.

Quant à l’intimé, il fait défaut et la cour constate que par un courrier adressé au greffe, il semble solliciter la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour reprend la question de la motivation de la décision administrative, considérant que celle-ci n’est pas parfaite mais qu’elle ne peut être qualifiée d’inexistante. Elle conclut qu’il n’y a pas lieu de l’annuler.

Elle examine ensuite le droit de l’intéressé au paiement de l’allocation de transition.

Celle-ci figure à l’article 21bis de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés. Le droit à cette allocation se substitue à la pension du conjoint survivant si celui-ci au moment du décès n’a pas atteint un certain âge et à la condition qu’il ait été marié depuis au moins un an avec le travailleur décédé. En l’espèce, la condition d’âge est remplie ainsi que celle de la durée du mariage.

L’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés dispose que cette allocation de transition doit faire l’objet d’une demande. Pour autant qu’elle soit introduite dans les 12 mois après le décès, elle prendra cours le premier jour du mois au cours duquel celui-ci est intervenu si le conjoint décédé ne bénéficiait pas encore à son décès d’une pension et le premier jour du mois suivant si tel était le cas.

Dans les autres hypothèses, elle prend cours au plus tôt le premier jour du mois qui suit la demande et sera versée pour la durée prévue par la loi, celle-ci étant calculée à partir de la date à laquelle l’allocation aurait pris cours si la demande avait été introduite dans les 12 mois. Si, au moment du décès, un enfant était à charge et que l’épouse percevait les allocations familiales pour lui, cette durée est de 24 mois (article 21ter, § 1er, 2°, de l’arrêté royal n° 50).

Elle a été portée à 48 mois mais avec des conditions modifiées, étant précisé que l’enfant à charge ne doit pas avoir atteint l’âge de 13 ans au cours de l’année civile du décès, modification introduite par l’article 109 de la loi-programme du 27 décembre 2021, l’article 21ter de l’arrêté royal n° 50 ayant ainsi été modifié. Des dispositions transitoires ont été prévues.

Dans l’hypothèse où le décès est intervenu avant le 1er octobre 2021 et que la période expire après cette date, la durée est prolongée, selon certaines modalités, diverses hypothèses étant retenues, reprenant essentiellement des conditions liées à la qualité d’enfant à charge.

La cour reprend les travaux préparatoires (Doc. Parl., Ch. Repr., Projet de loi-programme, Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales, de l’emploi et des pensions, doc. 55–2349/0 11), soulignant que les bénéficiaires qui recevaient encore une allocation de transition au 1er octobre 2021 ont également droit à une prolongation.

La cour reprend également l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 29 septembre 2022 (n° 117/2022), qui a dit pour droit que la limitation à 24 mois de la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition temporaire indépendamment de l’âge de l’enfant entraînait une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique. La Cour a relevé que les dispositions affectaient en particulier les femmes ayant un ou plusieurs enfants à charge qui n’étaient pas, préalablement au décès du conjoint, actives sur le marché de l’emploi ou ne l’étaient que de manière partielle.

Pour celles-ci, à défaut d’avoir trouvé un emploi ou un emploi adapté aux charges familiales dans le délai de perception de l’allocation de transition, le seul revenu accessible était les allocations de chômage, et ce indépendamment de l’âge de l’enfant alors que les charges familiales pouvaient avant le décès être également supportées par les revenus du conjoint prédécédé. Elle a conclu que la limitation à 24 mois affectait de manière disproportionnée les personnes se trouvant dans une situation particulièrement vulnérable.

En l’espèce, sur la base des dispositions légales applicables au moment du décès, l’intéressé pouvait prétendre à l’allocation de transition. S’il avait introduit sa demande dans les 12 mois du décès, il aurait pu en bénéficier pendant 24 mois et s’il l’avait fait après 12 mois mais avant la fin de la période de 24 mois, il pouvait prétendre au solde restant à courir. Or, la demande en l’espèce été formée plus de trois ans après le décès et tant la période de 12 mois que celle de 24 mois étaient expirées.

Quant à l’incidence des nouvelles dispositions, la cour constate qu’il y a eu un allongement pour les conjoints survivants ayant au moins un enfant à charge de moins de 13 ans mais que pour des motifs budgétaires, celui-ci a été limité aux décès survenant à partir du 1er octobre 2021, ou, pour ceux intervenus auparavant, uniquement lorsque la période couverte par l’allocation expirait après la date d’entrée en vigueur du nouveau texte. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

La cour note encore la volonté clairement exprimée par le législateur de ne rétroagir que de manière limitée et elle conclut qu’elle ne peut se substituer à celui-ci quant à la durée de l’allocation.

Intérêt de la décision

Les conditions d’octroi de l’allocation de transition instaurée par la loi du 10 août 2015 modifiant les pensions de retraite et de survie et instaurant une allocation de transition ont été revues par la loi-programme du 27 décembre 2021, entrée en vigueur au 1er octobre.

L’affaire examinée par la cour du travail dans cet arrêt du 17 octobre 2023 présente la particularité d’une part que la demande a été introduite plus de trois ans après le décès et de l’autre que la loi nouvelle a une incidence sur la durée pendant laquelle l’allocation de transition aurait pu être payée.

La cour du travail a détaillé les mesures transitoires adoptées par le nouveau texte, visant les hypothèses où le décès est intervenu avant le 1er octobre 2021 et où la période expirait après cette date, pour lesquelles un allongement a été prévu selon certaines modalités, et ce afin de tenir compte de la situation familiale du conjoint survivant.
Dans les travaux préparatoires de la loi-programme, la situation de celui-ci a longuement été examinée, eu égard à la courte période de l’allocation de transition, qui – vu la suppression de la pension de survie –mettait inévitablement celui-ci dans une situation de vulnérabilité particulière.

L’on relèvera encore sur la question l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 29 septembre 2022 (n° 117/2022), rendu à propos du relèvement à 55 ans de l’âge pour bénéficier d’une pension de survie.

Cet arrêt a été rendu dans le débat relatif au respect du principe du standstill, eu égard à la modification du régime des pensions de survie.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be