Commentaire de C. trav. Mons, 19 mars 2008, R.G. 20.690
Mis en ligne le lundi 25 août 2008
Cour du travail de Mons, 19 mars 2008, R.G. n° 20.690
TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala
Dans un arrêt du 19 mars 2008, la Cour du travail de Mons reprend, dans un arrêt très structuré, les règles applicables en cas d’erreur d’une institution de sécurité sociale, ayant abouti à un indu incontestable.
Les faits
Une demande de revenu d’intégration est introduite par une personne venant s’établir en Belgique en juin 2004 après un séjour en France. Le CPAS de Mons lui accorde le revenu d’intégration au taux cohabitant, au titre d’avance sur ses allocations de chômage, avance assortie d’une obligation de récupération ultérieure auprès de l’organisme de paiement ou de l’intéressée elle-même.
Deux mois pus tard, l’intéressée informe son assistante sociale du fait qu’elle a entamé des études d’infirmière accoucheuse, ayant par ailleurs introduit une demande de dispense auprès de l’ONEm. Quelques jours plus tard, le dossier ONEm est régularisé, ce dont l’intéressée informe le CPAS. Suite à ceci, le CPAS décide de revoir le montant du revenu d’intégration sociale (et de récupérer les avances précédemment octroyées).
En mars 2006, soit près de deux ans plus tard, à l’occasion d’une revision du dossier, le gestionnaire constate que – l’allocation de chômage versée étant plus importante que celle prise en compte -, le complément de revenu d’intégration versé depuis la régularisation de la demande était trop élevé.
Une décision interviendra, quatre mois plus tard, contenant une demande de récupération d’un indu portant sur les 17 mois précédents. Cette décision est intervenue en dehors de toute audition préalable.
L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail de Mons.
La position du tribunal
Le tribunal condamne l’intéressée à rembourser la somme réclamée.
La position des parties en appel
L’assurée sociale interjette appel du jugement et invoque, en fait, d’une part l’erreur du CPAS et d’autre part l’absence d’audition préalable ; en droit, elle fait valoir tant la Charte de l’assuré social (art. 17 et 18) que les dispositions plus spécifiques de la loi du 26 mai 2002 (art. 20) et de son arrêté royal d’exécution (art. 17) et, également, les articles 1410 et suivants du Code judiciaire.
Le CPAS sollicite la confirmation de la décision administrative ainsi que du jugement. Il fait toutefois valoir que le litige doit être examiné exclusivement au regard de l’article 22 (§1, 3° & §2) de la loi du 26 mai 2002.
La position de la Cour
La Cour examine le dossier tant sous l’angle de la loi du 26 mai 2002 que de la Charte de l’assuré social. Elle consacre les premiers développements de son arrêt à la première.
Après avoir rappelé les dispositions applicables, étant à la fois l’article 20 de la loi et l’article 7 de son arrêté royal, relatifs à l’obligation d’audition et à celle d’information de l’existence du droit, la Cour conclut rapidement que ces obligations n’ont pas été respectées. S’agissant d’un principe général du droit de défense, il implique trois obligations étant celle d’indiquer dans la lettre de convocation adressée à la personne concernée les griefs à propos desquels elle sera entendue, celle de lui donner un délai suffisant pour préparer efficacement sa défense (la Cour rappelant d’ailleurs qu’elle avait estimé dans un arrêt du 16 novembre 1988 (J.T.T. 16 nov. 1989, p. 131) qu’un délai de deux jours par exemple était insuffisant) et enfin, celle d’entendre la personne sur tous les griefs justifiant la décision susceptible de l’atteindre dans ses droits ou dans ses obligations.
Elle rappelle qu’il s’agit d’un principe d’ordre public et qu’il entraîne, au-delà de la nullité de la décision administrative, celle de toute la procédure administrative qui la soutient. La conséquence en est que la personne concernée doit être rétablie dans ses droits pendant la période litigieuse, sans qu’il soit question d’examiner s’il y a pouvoir de substitution du juge ou non, le dossier étant en effet « vidé » par l’effet de la nullité complète.
La Cour rappelle cependant que cette conséquence peut être évitée à certaines conditions, étant, premièrement, qu’il existe des éléments avancés contradictoirement et de manière probante dans le cadre des débats et permettant en l’occurrence de remédier à cette vacuité en total respect des droits de défense dans la phase judiciaire (rappelant ici un arrêt de la même Cour du 4 mai 1990 - J.T.T. 1990, p. 320) et également, si la personne devait, du fait de la nullité complète de la procédure – et ce de manière absurde ou paradoxale – se voir rétablie dans des droits découlant d’une réglementation d’ordre public auxquels elle ne pourrait fondamentalement pas prétendre. Cette deuxième situation aboutirait, pour la Cour, à la perception de revenus de remplacement au préjudice de la collectivité et ce de manière indue.
Dès lors qu’il y a annulation complète de la procédure administrative, qui aura ainsi pour effet de rétablir la personne concernée dans son droit, c’est qu’il y a reconnaissance à tout le moins implicite que ce droit n’était pas discutable. Appliquant cette condition en l’espèce, la Cour rappelle que l’article 14 § 2 de la loi du 26 mai 2002 prévoit qu’il y a lieu de faire venir en déduction du revenu d’intégration sociale les prestations allouées en vertu de la législation sociale belge. En l’occurrence il faut déduire les allocations de chômage perçues. Sur le plan strictement légal et théorique, la Cour constate donc un indu correspondant au montant de la condamnation.
L’on se trouve dès lors dans une situation d’indu en sécurité sociale et se pose la question de savoir si l’on peut opposer, en présence d’une demande de récupération d’indu, un principe général dit de « bonne administration ». Pour la Cour, ce principe ne peut être invoqué lorsque son application aboutit à une violation de dispositions légales. Elle rappelle diverses décisions de la Cour de cassation, la dernière étant l’arrêt du 29 novembre 2004 (J.T.T., 2005, p. 104).
Pour qu’il y ait exclusion ou limitation de la récupération, il faut un texte légal, fût-ce, ainsi qu’elle le souligne, un texte interdisant à un acte administratif d’opérer rétroactivement dès lors qu’il est susceptible d’emporter une suppression de droits pour le passé, et par voie de conséquence, une récupération. Mais ce, à la condition que l’indu découle d’une erreur de l’administration. Pour parfaire ce raisonnement, la Cour souligne également le fait que l’erreur doit être examinée au regard de modalités légales précises.
Et c’est à ce stade de son raisonnement que la Cour se penche sur la Charte de l’assuré social, dont l’article 17 vise la question de la décision entachée d’une erreur de droit ou matérielle et dispose que (sans préjudice de l’article 18) la nouvelle décision ne produira ses effets que le premier jour du mois qui suit la notification si le droit à la prestation est inférieur à celui qui avait été reconnu initialement.
Il est également relevé que la loi du 26 mai 2002 contient une décision très similaire, étant un article 22, dont le texte vise spécifiquement l’hypothèse de l’erreur de droit ou matérielle. Celui-ci précise dans son 2e paragraphe que la décision de revision produit ses effets à la date à laquelle le motif qui a donné lieu à la revision est apparu mais que, en dérogation à cette règle, dans l’hypothèse de l’erreur, l’effet de la revision prendra cours le premier jour du mois suivant sa notification. L’article 22 prévoit deux conditions cumulatives étant, d’une part, que le droit à la prestation est inférieur au droit octroyé initialement et que, de l’autre, la personne ne pouvait se rendre compte de l’erreur.
Appliquant ces principes aux données de l’espèce, la Cour relève que la carence du CPAS dans le traitement du dossier doit être qualifiée d’erreur ayant entraîné et ayant fait perdurer la perception indue du revenu d’intégration au taux qui avait été fixé. Elle reprend les divers éléments de fait (correspondance, annotations dans le dossier) pour conclure qu’il a fallu un an au CPAS pour prendre la décision querellée et que la revision n’a été concrétisée que quatre mois plus tard.
La conclusion est que les conditions légales sont réunies : erreur juridique ou matérielle dans le chef du CPAS, respect par la personne concernée de ses obligations (déclaration immédiate de tout élément nouveau), absence d’examen régulier par le CPAS du dossier, impossibilité pour l’intéressée de se rendre compte de l’erreur, puisque des professionnels travaillant pour le compte d’un CPAS et d’une Caisse de paiement d’allocations de chômage (CAPAC) n’ont pas été capables d’identifier cette erreur pendant une période de dix-sept mois.
L’appel est alors fondé.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Mons est exemplaire, sur l’articulation des dispositions de la Charte et de la loi du 26 mai 2002. Il stigmatise, en outre, les carences d’institutions de sécurité sociale, carences qui ne peuvent aboutir à l’obligation de récupération auprès de l’assuré social, qui ne pouvait se rendre compte du caractère indu de la prestation octroyée.