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Revenu d’intégration sociale : conditions de prise en compte des revenus des ascendants/descendants majeurs au premier degré

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 décembre 2023, R.G. 2023/AL/106

Mis en ligne le vendredi 26 avril 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 11 décembre 2023, R.G. 2023/AL/106

Dans un arrêt du 11 décembre 2023, la Cour du travail de Liège rappelle que des circonstances particulières peuvent intervenir justifiant la non prise en compte des revenus des ascendants/descendants majeurs au premier degré, posant la question de l’individualisation des droits d’un jeune adulte étudiant demandeur de RIS.

Les faits

Fin 2020, un n’étudiant (suivant des études secondaires) introduit auprès du CPAS une demande d’aide sociale aux fins de financer l’achat d’un ordinateur. Celui-ci rejette la demande, les ressources du ménage étant considérées suffisantes.

En août 2021, l’intéressé réintroduit une demande, sollicitant cette fois le revenu d’intégration sociale au taux isolé. Il est alors domicilié avec sa mère et ses trois frères et sœurs plus jeunes ainsi qu’un autre frère majeur en séjour illégal.

En septembre 2021, il commence des études en premier bac ingénieur en gestion et loue un kot à Louvain-la-Neuve.

Le 19 octobre 2021, le C.P.A.S. refuse le revenu d’intégration, refus confirmé par une nouvelle décision du 7 décembre 2021. Un recours est introduit contre la seconde décision.

Le 30 décembre 2021, une nouvelle demande est introduite. Une nouvelle décision de refus intervient le 18 janvier 2022. Un recours est également formé contre celle-ci.

La situation familiale, restée inchangée jusqu’alors, se modifie à partir de fin juin 2022, le frère en séjour illégal étant inscrit chez le père, un des frères devenant majeur et, enfin, en mars 2023, un autre frère quittant le domicile familial.

Par jugement du 2 février 2023, le tribunal du travail d’Eupen déclara les recours non fondés. Les décisions furent confirmées dans toutes leurs dispositions.

Appel est interjeté, saisissant la cour du travail de Liège (division Liège), qui rend un arrêt en date du 11 décembre 2023.

L’arrêt commenté

Dans son rappel des principes, la cour s’attarde essentiellement sur la question des ressources dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 et de son règlement général du 11 juillet 2002.

En cas de cohabitation avec un ou plusieurs ascendants et/ou descendants majeurs du premier degré, ces dispositions prévoient la possibilité de prise en considération totale ou partielle de la partie des ressources de chacune des personnes dépassant le montant du RIS. Le taux du RIS pris en compte est le taux cohabitant, chacun des membres du ménage devant se voir attribuer celui-ci fictivement, aux fins d’évaluer les ressources disponibles.

Cette disposition ne vaut pas dans les autres cas de cohabitation.

La cour, renvoyant à un arrêt du 12 septembre 2022 (C. trav. Liège (div. Liège), 12 septembre 2022, R.G. 2021/AL/616) rappelle que cette prise en compte n’est pas obligatoire mais qu’il est majoritairement admis que celle-ci doit constituer la règle et la non prise en compte l’exception, et ce eu égard au caractère résiduaire du RIS, manifestation de la solidarité collective, par rapport à la solidarité familiale, qui doit prioritairement être recherchée. Il faut des circonstances particulières pour justifier que les ressources soient ignorées totalement ou partiellement.

Elle souligne également que la Cour de cassation a décidé que quelle que soit la méthode de calcul appliquée pour la mettre en œuvre, les ressources de l’ascendant ou du descendant du demandeur qui ne dépassent pas le montant du revenu d’intégration sociale au taux cohabitant doivent, pour l’octroi fictif de ce revenu à cet ascendant ou descendant, qui n’est pas exclu de pareil octroi, être prises en considération comme le prescrit l’article 16 de la loi (Cass., 18 novembre 2019, S.19.0021.F).

Des dispositions spécifiques existent par ailleurs dans l’arrêté royal du 11 juillet 2002 pour ce qui est des ressources non prises en compte. Il s’agit notamment, pour ce qui intéresse le cas d’espèce, des prestations familiales pour lesquelles l’intéressé a la qualité d’allocataire pour autant qu’il élève les enfants bénéficiaires et en ait la charge totalement ou partiellement ainsi que de la pension alimentaire ou l’avance sur le terme de celle-ci perçu au profit d’enfants célibataires à charge pour autant que le demandeur de RIS les élève.

Dans le cas particulier où le demandeur est un enfant majeur qui cohabite avec ses parents, les allocations familiales ne sont pas prises en considération en tant que ressources du demandeur mais bien de ressources des ascendants. L’exonération prévue ci-dessus ne trouve pas à s’appliquer dans ce cas de figure.

Existe également une exonération pour les étudiants jobistes. La disposition correspondante (article 35, § 2, de l’arrêté royal du 11 juillet 2002) a connu plusieurs modifications récemment pour ce qui est de la prise en compte des revenus nets produits par l’emploi.

La cour rappelle encore les règles en matière de charge de la preuve ainsi que l’obligation de collaboration dans le chef du demandeur, soulignant sur cette dernière question qu’il appartient au C.P.A.S. d’indiquer clairement les informations qu’il souhaite obtenir et le délai dans lequel celles-ci doivent être fournies. À défaut d’une demande précise de la part du centre, le demandeur ne peut en effet se voir reprocher un manque de collaboration.

Suite à ce rappel, la cour entreprend l’examen des données à sa disposition.

Son premier constat est relatif au taux éventuel du RIS. Dans la mesure où le demandeur revient à la maison familiale pendant les week-ends et les congés et y conserve par conséquent sa résidence principale, il y a cohabitation avec les autres membres de la famille et le RIS ne peut être accordé qu’au taux cohabitant, ce qui n’est plus contesté.

La question à trancher étant celle des ressources, la cour précise que son appréciation doit se faire d’une part vu la disposition au travail et de l’autre les revenus de la mère, qui donneront la situation concrète de la famille. Ainsi, les allocations familiales du demandeur, versées à celle-ci, sont des revenus dans son chef à elle.

La cour note ensuite les changements successifs intervenus dans la situation familiale, revoyant très en détail les montants dont la famille dispose, et ce sur la base de plusieurs rapports sociaux du C.P.A.S.

Elle note que le ménage était initialement composé de la mère, du demandeur - jeune adulte débutant des études universitaires – et de deux grands adolescents de 17 et 15 ans, outre un enfant, la mère ne percevant aucune part contributive de la part du père, lui-même étant également bénéficiaire du C.P.A.S.

Pour la cour, l’application de l’article 34, § 2, de l’arrêté royal risquerait, vu la prise en compte des ressources de la mère, et eu égard à la particularité de la composition familiale, d’entraîner que le demandeur soit privé de l’individualisation des droits des jeunes majeurs et serait ainsi privé – fût-ce partiellement –du revenu d’intégration sociale, de nature à assurer spécifiquement sa scolarité, son insertion sociale et un début d’autonomie de sa vie de jeune adulte.

La cour ordonne dès lors une réouverture des débats aux fins de vérifier, dans le cadre d’une mise en état complémentaire de la cause, la situation précise pendant différentes périodes, dont elle fixe les dates de début et de fin.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, si la cour ne vide pas sa saisine, elle énonce un principe qui va manifestement la guider dans son appréciation, étant la situation spécifique du demandeur, jeune adulte entamant des études universitaires. La cour évoque ici le critère de l’individualisation des droits des jeunes majeurs.

La particularité de la composition familiale (présence de la mère, de deux grands adolescents de 17 et 15 ans, ainsi que d’un enfant, en plus du demandeur, la mère ne percevant par ailleurs aucune part contributive de la part du père mais une aide - indéterminée dans son importance et dans sa durée - de son fils aîné) est en effet susceptible de priver celui-ci du revenu d’intégration sociale – en tout ou en partie - alors que celui-ci serait de nature à permettre sa scolarité, son insertion sociale et un début d’autonomie.

Dans son rappel des principes, la cour a rappelé que selon la jurisprudence majoritaire, la prise en compte des revenus des ascendants/descendants du premier degré serait la règle et la non prise en compte l’exception, précisant que des circonstances particulières doivent être prises en compte pour justifier que les ressources de ceux-ci soient ignorées totalement ou partiellement.

Selon les développements de l’arrêt, l’individualisation des droits des jeunes majeurs, semble devoir intervenir en tant qu’une de ces circonstances particulières, étant un élément relatif au demandeur lui-même et non aux cohabitants (pour lesquels on admet généralement que constituent de telles circonstances l’exigence de dépenses élevées pour des raisons médicales ou impérieuses).

Affaire à suivre, donc.


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