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Abus de droit de licencier : conditions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. 2011/AB/321

Mis en ligne le mardi 30 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. n° 2011/AB/321

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 29 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le droit de licenciement est un droit-fonction et qu’il ne peut être exercé que dans l’intérêt de l’entreprise. Le détournement de ce droit peut constituer un abus de droit, de même que les circonstances du licenciement.

Les faits

Un contrat de formation-insertion en entreprise est conclu entre le FOREm, une société et une travailleuse, afin que celle-ci accomplisse des prestations en qualité de stagiaire pour des fonctions de développement et de coordination (meetings et séminaires d’une société active dans le secteur de l’organisation de voyages ...). Ce contrat, conclu pour une durée de 26 semaines, prend effet le lendemain et contient une clause d’essai d’une période de 8 semaines.

Le premier jour des prestations, la société et la travailleuse concluent un contrat de travail à durée indéterminée, celle-ci étant employée à temps plein. Le contrat contient une clause d’essai de 6 mois.

Deux mois plus tard, l’intéressée prend connaissance d’une offre d’emploi, placée par la société sur son site, concernant son poste de travail. Des discussions interviennent et l’intéressée se voit signifier qu’elle est dispensée de prestation le même jour. Elle prend alors l’initiative d’expédier, à partir de son ordinateur, des documents (mails et autres) vers son domicile.

La chose est confirmée par constat d’huissier et plainte est déposée avec constitution de partie civile. Un courrier de licenciement pour motif grave est adressé, au motif de détournement et de vol de données. En ce qui concerne le contrat de formation-insertion en entreprise, la société signale que celui-ci est suspendu dans l’attente d’une décision du directeur du FOREm. Celui-ci informe l’intéressée le lendemain de sa décision d’y mettre fin au motif d’une « inadéquation fonctionnelle », rendant impossible la poursuite de la formation. La plainte déposée par la société aboutira devant le tribunal correctionnel, qui rendra jugement d’acquittement.

L’intéressée a entretemps introduit une procédure devant les juridictions du travail.

Décision du tribunal

Par jugement du 11 janvier 2011, le Tribunal du travail de Nivelles, saisie de plusieurs chefs de demande (dommages et intérêts en raison de la rupture du contrat de formation-insertion, indemnité compensatoire de préavis et dommages et intérêts vu la délivrance tardive de la feuille de renseignement-indemnités ainsi que pour un abus de droit) fait en très grande partie droit à la demande. Il condamne en substance la société aux dommages et intérêts vu la délivrance tardive de la feuille de renseignement-indemnités, à une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’à des dommages et intérêts en raison de la rupture du contrat PFI.

La société interjette appel de ce jugement.

Décision de la cour du travail

La cour réforme le jugement sur la rupture du contrat de formation-insertion. Elle rappelle que l’arrêté du Gouvernement wallon du 14 novembre 2007 portant exécution du décret du 18 juillet 1997 relatif à l’insertion des demandeurs d’emploi autorise (articles 3 et 9) la rupture de la formation sur décision motivée du FOREm. Pour la cour du travail, la rupture est dès lors régulière. La cour considère qu’il n’est pas établi que cette rupture a été décidée suite à une faute de la société, même si elle a pris l’initiative de contacter le FOREm pour dénoncer les faits reprochés.

Sur l’indemnité compensatoire de préavis, la cour va d’abord confirmer la validité du contrat de travail à durée indéterminée, constatant la superposition des deux contrats mais relevant l’intérêt pour l’employeur de cette formule, puisqu’il pouvait bénéficier d’une intervention des pouvoirs publics dans la rémunération de l’intéressée. La cour va examiner la question du motif grave et considérer que celui-ci n’est pas établi, d’autant que la décision du tribunal correctionnel a conclu qu’il n’y avait pas d’intention frauduleuse, l’intéressée ayant expliqué son geste dans l’optique où elle devrait se défendre contre des reproches de la part de son employeur.

En ce qui concerne l’abus de droit (le poste relatif à la feuille de renseignements ayant été réglé entretemps), la cour rappelle les principes relatifs à l’abus de droit de licencier, étant que si chaque partie au contrat de travail dispose du pouvoir de mettre fin à celui-ci sans avoir à justifier des motifs de sa décision (hors exception) - dans la mesure où le préavis légal est respecté et où il n’y a pas d’obligation de justifier d’un motif de rupture -, les règles du droit civil trouvent cependant à s’appliquer à la rupture et, parmi celles-ci, l’interdiction de l’abus des droits que la loi confère à une partie. La cour rappelle l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, J.T.T., 2006, p. 155) en ce qui concerne l’abus du droit de rupture du contrat de travail et où la Cour suprême a appliqué les principes dégagés en droit civil sur l’existence d’un abus de droit, étant qu’il peut résulter de l’exercice du droit de licencier d’une manière qui dépasse manifestement les limites de cet exercice normal par un employeur prudent et diligent.

Poursuivant que le droit de licencier est un droit-fonction dont la finalité est économique et sociale. C’est l’intérêt de l’entreprise. La cour reprend sa jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 23 mai 2006, J.T.T., p. 343) selon laquelle le contrôle du juge doit viser l’existence d’un motif en rapport avec la finalité légitime et non l’opportunité du licenciement. Elle souligne également que l’abus peut résulter de circonstances manifestement fautives dans l’exercice du droit de rupture.

Enfin, en application des principes en matière de preuve, tels que contenus dans les articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, elle rappelle qu’il faut outre la faute et le lien de causalité un dommage distinct du préjudice moral et matériel couvert par l’indemnité compensatoire de préavis.

C’est dès lors le comportement de l’employeur qui est examiné, à l’aune de ces critères.

Il s’agit en l’espèce d’un motif grave qui n’a pas été reconnu. La cour retient cependant que l’intéressée a envoyé à son adresser personnelle une quantité de documents appartenant à la société et que ceci est susceptible d’engendrer une certaine méfiance dans le chef de son employeur. En outre, elle reprend des éléments de fait dont il ressort que les relations étaient dégradées et admet en conséquence que, vu l’ensemble de ces éléments, la société a pu mettre fin à la relation de travail et qu’il n’y a pas d’abus. Elle rappelle encore que ne peut constituer celui-ci le choix erroné de la modalité de rupture, en l’espèce le licenciement pour motif grave, et ce dans la mesure où l’employeur a pu - même à tort - croire que le comportement constituait une faute grave.

Enfin, elle constate qu’il n’y a pas eu d’acharnement abusif contre l’employée, dans le cadre de la plainte déposée au pénal.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à l’occasion de circonstances conflictuelles lors d’une rupture d’un contrat de travail, que le licenciement pour motif grave non admis par le juge ne rend pas nécessairement celui-ci abusif, le choix de la modalité de rupture n’étant pas en lui-même constitutif d’abus.

Celui-ci pouvant cependant ressortir des circonstances entourant le licenciement, la cour les reprend et rejette qu’il y ait eu un comportement excessif de la part de l’employeur.

Sur le plan des principes, la cour du travail rappelle à juste titre que le licenciement est un droit-fonction et qu’il doit poursuivre une finalité économique et sociale, qui est l’intérêt de l’entreprise.


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