Terralaboris asbl

Licéité d’éléments de preuve tirés d’un rapport dressé par un détective privé

Commentaire de C. trav. Mons, 4 novembre 2013, R.G. 2011/AM/397

Mis en ligne le mardi 13 mai 2014


Cour du travail de Mons, 4 novembre 2013, R.G. n° 2011/AM/397

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 novembre 2013, la Cour du travail de Mons examine la licéité d’éléments de preuve récoltés par l’employeur, qui a mandaté un détective privé aux fins de vérifier le comportement du travailleur.

Les faits

Un ouvrier d’un atelier de carrosserie tombe en incapacité de travail en février 2010.

L’employeur fait procéder à un constat d’huissier, aux fins d’établir qu’il exerce une activité de mécanicien pendant l’incapacité de travail. Ayant eu vent de l’exercice de cette activité concurrente, un détective privé a également été mandaté aux fins de surveiller l’intéressé à son domicile. Ceci a permis de constater, aux dires de l’employeur, que l’ouvrier travaillait régulièrement sur divers véhicules.

L’intéressé est dès lors licencié pour motif grave. Un échange de correspondance intervient avec l’organisation syndicale, qui ne permet cependant pas de régler le litige.

Une citation est lancée devant le tribunal du travail en paiement d’une indemnité de rupture et d’une indemnité pour licenciement abusif, en sus d’autres montants liés à la fin du contrat.

L’ouvrier demande en outre condamnation de son ex-employeur, et ce par conclusions déposées dans le cours de la procédure, à une indemnité de 2.000 € pour violation de sa vie privée.

La décision du tribunal

Par jugement du 9 septembre 2011, le Tribunal du travail de Mons (section La Louvière) considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter le rapport du détective privé et qu’il n’y a pas eu atteinte à la vie privée, les photos ayant été prises sur la voie publique. L’intéressé faisant, pendant une incapacité de travail, des tâches similaires à celles de son contrat, il y a motif grave.

Appel est interjeté par celui-ci.

La décision de la cour

La cour rappelle qu’elle a rendu un premier arrêt, le 17 décembre 2012, sur la question du respect des délais de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978. Elle a, dans cet arrêt, ordonné une réouverture des débats aux fins d’être davantage éclairée, notamment sur la date de la connaissance des faits.

Dans l’arrêt annoté, la cour constate, eu égard aux éléments produits, que le congé a été notifié légalement, et ce même si plusieurs dates sont retenues pour la connaissance des faits. Le congé n’est dès lors pas tardif.

Elle en vient ensuite à l’examen de la licéité de la preuve recueillie eu égard à l’intervention du détective privé, mandaté par l’employeur. La cour rappelle que cette profession est régie par la loi du 19 juillet 1991 et que le rapport d’un détective peut dès lors être un moyen de preuve admissible. Avant l’entrée en vigueur de cette loi, les éléments dégagés par ce type de rapport étaient en général retenus au titre de présomption ou de commencement de preuve par écrit. Depuis la modification législative, la force probante des rapports rédigés par les détectives privés a, comme le rappelle la cour, été renforcée. L’employeur est tenu, lorsqu’il fait appel à un détective privé, de respecter les conditions de la loi et, notamment, de conclure une convention préalable, qui va notamment préciser la mission confiée au détective (et indiquer également sa durée). La cour constate que les choses ont été faites correctement et que le détective est en possession de l’autorisation ministérielle permettant l’exercice de sa profession. Pour la cour, il y a dès lors respect du principe de légalité.

Elle examine, ensuite, les critères de finalité et de proportionnalité, s’agissant d’une ingérence dans la vie privée (filature et surveillance). Elle rappelle que, dans une société démocratique, en vertu de l’article 8, § 2 de la C.E.D.H., une ingérence doit également répondre au principe de finalité, c’est-à-dire être nécessaire au but poursuivi et, en outre, elle doit respecter le principe de proportionnalité, étant que le but recherché doit être suffisant par rapport à la limitation du droit et que les moyens mis en œuvre ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour y parvenir. Elle rappelle à cet égard la doctrine (B. DOCQUIR, Droit à la vie privée, Larcier, 2008, p. 109). Examinant les éléments de fait à la lumière de ces deux critères, la cour constate qu’ayant mis en balance, dans le cadre du critère de proportionnalité, les intérêts en présence (droit au respect de la vie privée et intérêt de l’employeur, en ce compris les intérêts patrimoniaux ou économiques de l’entreprise), il n’y a pas de violation du droit au respect de la vie privée. Par ailleurs, il n’y a pas davantage disproportion dans les moyens mis en œuvre, la surveillance ayant eu lieu dans l’espace de quelques jours et pendant des plages horaires bien circonscrites.

Enfin, elle relève que le détective n’a pas violé l’article 7 de la loi, qui interdit de faire porter la surveillance sur les éléments permettant de recueillir des informations relatives à la santé.

La cour confirme dès lors qu’il n’y a pas lieu d’écarter ses constatations.

Elle en vient ensuite à la gravité de la faute et conclut que les tâches exécutées étaient similaires à celles convenues dans le contrat et que ceci est constitutif d’un motif grave. Rappelant notamment la doctrine de M. DAVAGLE (M. DAVAGLE, L’incapacité de droit commun et les obligations qui en découlent pour l’employeur et le travailleur, Kluwer, 2006, p. 75), elle considère que l’exercice de prestations similaires pendant l’incapacité de travail peut soit par nature être révélateur de la fausseté de l’incapacité, soit être susceptible de retarder l’échéance de la guérison, violant ainsi le principe général d’exécution de bonne foi des conventions.

Le motif grave est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les limites de la surveillance autorisée par un détective privé dans l’exercice des fonctions tel qu’autorisé par la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé. L’examen de la licéité de la preuve recueillie à partir des constatations de celui-ci se fait eu égard aux trois critères habituels, étant la légalité, la finalité et la proportionnalité du moyen de preuve.

Un intérêt particulier de l’arrêt est d’avoir, sur la base des éléments de fait recueillis, rappelé que les constatations ne peuvent en aucune manière porter sur l’état de santé du travailleur en incapacité de travail.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be