Terralaboris asbl

Notion d’artiste au sens de la réglementation chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 juin 2014, R.G. 2013/AB/872

Mis en ligne le lundi 17 novembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 27 juin 2014, R.G. n° 2013/AB/872

Terra Laboris asbl

Dans plusieurs arrêts du 27 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles a examiné la situation des travailleurs du spectacle eu égard à la réglementation du chômage, et plus précisément eu égard à la règle dite du ‘cachet’.

Les faits

Monsieur R. est actif dans le secteur du spectacle, où il a occupé diverses fonctions, telles qu’assistant-caméra et électricien de théâtre notamment.

Se pose, en janvier 2012, la question de son droit au chômage. Ayant présenté un ensemble de documents relatifs à l’activité qu’il a exercée sur la base de la règle du cachet, il se voit notifier une décision de refus au motif qu’il n’a pas un nombre suffisant de journées de travail ou de journées assimilées.

La motivation de la décision de l’ONEm

L’ONEm se fonde sur l’article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage. Cette disposition prévoit que, pour le travailleur qui a effectué des activités artistiques dans la période de référence qui est d’application et lorsque ces activités ont été rémunérées par une rémunération à la tâche, le nombre de journées de travail pris en compte est obtenu en divisant la rémunération brute perçue pour ces occupations par 1/26e du salaire mensuel de référence (l’arrêté ministériel renvoyant au revenu minimum mensuel moyen garanti pour les travailleurs âgés de 21 ans sans ancienneté – article 5). La disposition précise qu’il faut entendre par « rémunération à la tâche » le salaire versé par un employeur au travailleur qui a effectué une activité artistique lorsqu’il n’y a pas de lien direct entre ce salaire et le nombre d’heures de travail comprises dans cette activité.

L’ONEm précise dans sa motivation que, pour l’artiste-musicien et l’artiste du spectacle, une prestation journalière de travail de moins de 5,77 heures est prise en compte comme journée de travail si la rémunération brute perçue est au moins égale à 1/26e du salaire de référence ci-dessus. Cette méthode spécifique de calcul est appliquée aux prestations de travail de certains artistes (artistes de spectacle et musiciens) en cas de contrat avec une rémunération à la tâche (appelée communément « cachet »), s’agissant de prestations couvrant une période déterminée pendant laquelle sont prévues des répétitions et des représentations. Pour l’ONEm, cette règle spécifique de calcul ne s’applique pas à deux catégories de travailleurs, étant (i) les non-artistes, mêmes s’ils sont occupés dans le secteur du spectacle et payés à la prestation (techniciens travaillant au cachet, électriciens, ingénieurs du son, etc.) et (ii) les autres artistes qui ne sont pas artistes de spectacle, et ce même s’ils sont payés à la prestation (l’exemple étant donné de la plupart des artistes-créateurs).

Un recours est introduit et, par jugement du 28 juin 2013, le Tribunal du travail de Bruxelles dit pour droit que l’intéressé entre dans le champ de l’article 10. Il rouvre les débats, sur les conditions d’application de cette disposition à la cause. Le jugement relève que, parmi les travailleurs du secteur du spectacle, l’article 10 concerne les artistes eux-mêmes et non les techniciens. Cependant, il s’agit de deux catégories comparables et, dans la mesure où le régime du cachet n’est pas appliqué par l’arrêté ministériel aux deux catégories, il y a une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable. C’est donc une violation des principes d’égalité et de non-discrimination.

L’ONEm interjette appel.

La décision de la cour

La cour rappelle en premier lieu les articles 30 et 37, § 1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 relatifs, le premier, au stage de travail et, le second, aux journées pouvant être prises en compte comme prestations de travail. Les modalités de calcul de ces journées de travail sont reprises à l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 (essentiellement à l’article 7). Le litige devant être réglé dans le cadre de la réglementation applicable avant la modification introduite à l’article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 par l’arrêté ministériel du 7 février 2014, la cour reprend la règle plus spécifiquement arrêtée pour l’artiste-musicien et l’artiste de spectacle, étant la prise en compte d’une prestation journalière de travail de moins de 5,77 heures, si la rémunération brute perçue est égale à 1/26e du RMMMG.

Elle se penche, ensuite, sur la notion d’artiste dans la réglementation de la sécurité sociale et relève qu’il n’y a pas de définition uniforme, non plus que pour ce qui est de l’activité artistique. Dans la matière du chômage, la définition est contenue à l’article 27, 10° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et celle-ci – qui visait initialement la création et l’interprétation d’œuvres artistiques, notamment dans le domaine des arts audio-visuels et plastiques, de la musique, de l’écriture littéraire, du spectacle, de la scénographie et de la chorégraphie – a été modifiée par l’arrêté royal du 7 février 2014. Il s’agit actuellement de la création et/ou de l’exécution ou l’interprétation d’œuvres artistiques dans le secteur de l’audio-visuel et des arts plastiques, de la musique, de la littérature, du spectacle, du théâtre ou de la chorégraphie. La cour relève que l’activité artistique a ainsi une définition large quant au contenu de la fonction, puisqu’elle concerne indifféremment la création, l’exécution et l’interprétation.

Pour la cour, qui relève à ce sujet le libellé de l’article 1bis de la loi du 27 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs, il y a une tendance à circonscrire de manière exhaustive les secteurs concernés, ceux-ci étant repris ci-dessus. L’article 10 de l’arrêté ministériel ne retient quant à lui que l’artiste-musicien et l’artiste de spectacle, soit deux secteurs particuliers. Il y a ici exclusion à tout le moins des arts plastiques et de la littérature, mais, sur le plan des activités exercées dans ces secteurs, le texte ne comporte aucune restriction et doit donc être entendu largement. En conséquence, tout ce qui touche dans ces secteurs à la création, l’exécution ou l’interprétation d’une œuvre d’art est susceptible de rentrer dans le champ d’application de l’article 10.

La distinction opérée par l’ONEm n’apparaît pas pertinente aux yeux de la cour et l’intéressé a dès lors bien la qualité d’artiste de spectacle au sens de l’article 10 de l’arrêté ministériel.

La cour se penche, ensuite, sur une deuxième question, étant de savoir si la règle du cachet est inscrite à l’article 10. Elle en rappelle la définition, étant celle en vertu de laquelle le calcul du nombre de journées de travail nécessaire à l’admissibilité aux allocations de chômage consiste à multiplier la rémunération brute par 26 et à la diviser par la rémunération de référence de l’article 10. L’intéressé demande en effet que cette règle soit appliquée à toutes les rémunérations qu’il a perçues, et ce même lorsque, dans les documents sociaux, référence semble avoir été faite à la durée du travail. L’intéressé fait valoir à ce sujet qu’il n’y a pas de case spécifique permettant de mentionner une rémunération au cachet.

L’ONEm ne conteste pas pour sa part avoir, pendant de longues années, appliqué cette règle aux artistes admis comme tels au sens de l’article 10. La cour relève cependant que la réglementation du chômage est d’ordre public et que, dans son libellé applicable à l’époque des faits, l’article 10 vise uniquement l’hypothèse dans laquelle un artiste exécute une prestation de moins de 5,77 heures et qu’en dehors de cette hypothèse, il y a lieu de comptabiliser les jours prestés selon les règles ordinaires. La disposition ne prévoit en effet pas qu’elle s’applique quel que soit le mode de rémunération, non plus qu’une prestation journalière pourrait compter pour plusieurs journées de travail, ou encore que le maximum des 78 journées comptabilisées par trimestre serait inapplicable. Dès lors que l’ONEm avait donné une interprétation plus favorable par le passé, la cour constate qu’avant l’entrée en vigueur des arrêtés du 7 février 2014, la règle n’était qu’une simple pratique administrative et qu’elle n’avait pas de fondement légal. Elle conclut que l’intéressé ne justifie dès lors pas d’un nombre suffisant de journées de travail.

Celui-ci ayant encore fait valoir qu’il y avait lieu, à titre subsidiaire, de condamner l’ONEm à des dommages et intérêts, la cour examine la question de la faute, pouvant être mise en relation avec le principe de confiance légitime. Cette faute est établie, l’ONEm ne s’étant pas comporté comme une administration normalement prudente et diligente. Cependant, en ce qui concerne le dommage, elle renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 25 mars 1997, n° P.96.1075.F), selon laquelle le lien de causalité doit être écarté lorsque le dommage, tel qu’il s’est produit concrètement, se serait également réalisé avec certitude en l’absence de cette faute.

Intérêt de la décision

La cour du travail a rendu plusieurs arrêts, le même jour, sur cette problématique. L’arrêt annoté concerne un assistant-caméra et électricien. Les autres affaires visent l’activité d’assistant-réalisateur, l’assistant de casting, le chargé de repérages (R.G. 2013/AB/932), le comédien et le metteur en scène (R.G. 2013/AB/870), le graphiste (R.G. 2013/AB/908), le costumier, le maquilleur, le décorateur (R.G. 2013/AB/868) et l’éclairagiste (R.G. 2013/AB/869). Ces affaires visent, bien sûr, la situation avant l’arrêté royal et l’arrêté ministériel du 7 février 2014.

Comme le relève la cour, l’arrêté royal a apporté une modification à la définition d’activité artistique et l’arrêté ministériel a remplacé l’article 10, celui-ci visant actuellement les activités rémunérées à la tâche. Il faut entendre par « rémunération à la tâche » le salaire versé par un employeur au travailleur qui a effectué une activité artistique lorsqu’il n’y a pas de lien direct entre le salaire et le nombre d’heures de travail comprises dans cette activité. La règle dite du « cachet » trouve ainsi à s’appliquer. L’avancée de cet ensemble de décisions de la Cour du travail de Bruxelles, qui confirme en cela les jugements du tribunal du travail, est de mettre sur le même pied les travailleurs prestant dans le même secteur.


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