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Licenciement en représailles et abus de droit

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 septembre 2014, R.G. 2013/AB/488

Mis en ligne le mercredi 17 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 30 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/488

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 30 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’exercice anormal du droit de licenciement peut être révélateur d’un abus de droit, si l’employeur agit en représailles à de justes réclamations du travailleur, ainsi si ce dernier proteste suite au retrait injustifié du véhicule de société mis à sa disposition.

Les faits

Un employé est engagé en 2009 par une société en qualité de représentant de commerce. Il bénéficie, de ce fait, d’avantages rémunératoires liés à la fonction, dont l’utilisation d’une voiture. Quelque temps plus tard, sa fonction est commuée en celle de « account manager ».

Il tombe en incapacité de travail le 6 septembre 2011. Il constate, deux jours plus tard, que sa voiture a disparu et dépose plainte auprès de la Police. Il apprend cependant, à ce moment, que la société est venue rechercher le véhicule. Il reçoit immédiatement un courrier recommandé de son employeur, l’avisant de la nécessité de procéder à une expertise de celui-ci (sale et endommagé). L’intéressé réagit par l’intermédiaire de son conseil, qui rappelle que le véhicule peut être utilisé à des fins privées et que celui-ci doit en tout cas être laissé à disposition pendant la durée couverte par la rémunération garantie. Une dispute intervient entre parties, au cours de divers contacts téléphoniques et par courriels. La société licencie, quelques jours plus tard, l’intéressé avec indemnité compensatoire de préavis de 3 mois.

Celui-ci introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles en paiement, en sus de l’indemnité compensatoire, d’une indemnité d’éviction ainsi que d’une indemnisation pour abus de droit, et d’autres sommes.

Le Tribunal du travail de Bruxelles rend deux jugements, faisant droit à la demande d’indemnité compensatoire, ainsi qu’à la demande d’éviction. Il accorde également une indemnisation pour abus de droit de 1.000 €.

Appel est interjeté par la société.

La décision de la cour

Si divers postes sont examinés, dont le droit à l’indemnité d’éviction (pour lequel la cour rappelle les conditions), c’est la question de l’abus de droit à l’occasion du licenciement qui fait l’objet d’une attention particulière.

La cour rappelle le mécanisme légal, étant que, pour les employés, l’abus de droit découle, comme l’avait rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, n° S.05.0035.F), de l’exercice du droit de licenciement d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal que ferait de ce droit un employeur prudent et diligent. La cour du travail rappelle qu’à plusieurs reprises, il a été admis que constitue un licenciement en représailles celui qui intervient en réaction à des demandes légitimes de l’employé. Si l’indemnité compensatoire de préavis a un caractère forfaitaire et qu’elle couvre ainsi l’ensemble du préjudice découlant du licenciement, étant à la fois le préjudice matériel et moral, une indemnité pour abus de droit de licenciement peut être allouée en réparation d’un autre dommage que celui qui découle de la perte de l’emploi, ainsi pour le dommage qui n’est pas causé par le licenciement lui-même, mais qui a pour origine les circonstances dans lesquelles celui-ci intervient, la cour renvoyant à un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass., 26 septembre 2005, n° S.04.0176.N).

En l’espèce, la cour constate que l’employeur a, dès le début de la période de maladie et sans en avoir avisé l’intéressé, retiré à celui-ci le véhicule mis à sa disposition, le travailleur ayant pensé d’ailleurs qu’il y avait eu vol. La cour constate également que ce n’est qu’à l’occasion des démarches effectuées auprès des autorités de Police qu’il fut informé du fait que l’employeur réclamait d’urgence la restitution du véhicule. Les autres éléments rappelés ci-dessus sont également pointés dans l’arrêt, dont le fait que l’intéressé n’a même pas pu récupérer ses effets personnels laissés dans le véhicule.

La cour voit également un lien entre ces événements et la rupture du contrat de travail, intervenue quelques jours plus tard, alors qu’entre-temps, l’intéressé avait chargé son conseil de poser à l’employeur de justes questions par rapport à ce fait, questions auxquelles la société n’a apporté aucune réponse, sauf à décider du licenciement.

A la lumière de ces éléments, la mention relative au motif précis du chômage apporté sur le C4 (« ne convient plus ») ne peut être acceptée, d’autant que, quelques mois auparavant, l’intéressé avait bénéficié d’une reconnaissance professionnelle spécifique, au sein de l’entreprise, appelée « quality of the year award ».

L’ensemble des éléments retenus ci-dessus constituent un abus de droit, du fait du licenciement intervenu en représailles.

Sur la réparation du préjudice consécutif à celui-ci, la cour confirme le jugement, considérant que c’est à bon droit que le premier juge a ramené le montant réclamé à un forfait fixé en équité à 1.000 €, s’agissant ici de réparer le dommage spécifique lié aux circonstances du licenciement elles-mêmes et non à la perte de l’emploi découlant de celui-ci.

Intérêt de la décision

C’est certes un « grand classique » que de rappeler qu’un licenciement intervenant en représailles à de justes revendications peut être constitutif d’un abus de droit, la Cour de cassation ayant consacré dans son important arrêt du 12 décembre 2005 rappelé ci-dessus, que l’abus de droit entachant le licenciement d’un employé peut, alors même que le licenciement serait fondé sur des motifs liés au comportement, fut-il non fautif, ou aux nécessités du travail, résulter de l’exercice du droit de licenciement d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice anormal que ferait de ce droit un employeur prudent et diligent.

Application est ainsi faite de la règle de base de la théorie de l’abus de droit (exercice du droit d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal), s’agissant de sanctionner un comportement manifestement anormal.

L’on ne peut cependant s’empêcher de relever que, comme en l’espèce, eu égard à la brusquerie et au caractère manifestement injuste du motif (retenu d’ailleurs par la cour elle-même, n’étant nullement établi que l’intéressé ne conviendrait plus), la réparation de l’abus de droit se traduit en des termes financiers peu significatifs.


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