Terralaboris asbl

Sanction du non-respect de stabilité d’emploi figurant dans le règlement de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 septembre 2014, R.G. 2013/AB/805

Mis en ligne le mercredi 17 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 19 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/805

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles examine les effets d’une clause du règlement de travail imposant à l’employeur une procédure préalable au licenciement : il s’agit d’une clause de stabilité d’emploi qui, dans la mesure où elle n’empêche pas le licenciement mais en limite l’exercice, lie l’employeur, qui doit en respecter toutes les exigences.

Les faits

Un employé d’une société distributrice de carburant est licencié en 2010, après plus de 3 ans de prestations. La société verse une indemnité compensatoire de préavis de 5 mois de rémunération.

L’intéressé ne se satisfait pas de celle-ci, considérant qu’il aurait dû bénéficier d’une indemnité spécifique, visée au règlement de travail de la société, dès lors qu’une procédure interne fixée à celui-ci n’avait pas été respectée.

Il introduit dès lors une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles, demandant paiement de cette indemnité, de l’ordre de 15.600 €.

Par jugement du 25 avril 2013, le tribunal fait droit à sa demande, en son principe et en son montant.

La société interjette appel.

La décision de la cour

La cour procède, dans un premier temps, à l’analyse de la disposition du règlement de travail, qu’elle reproduit dans son intégralité. Cette clause prévoit notamment que les travailleurs ne peuvent pas être licenciés pour des raisons qui n’ont aucun lien avec leur aptitude ou leur conduite, ou qui ne sont pas fondées sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Le règlement prévoit qu’un licenciement peut intervenir en cas de faute professionnelle répétée, une telle faute suffisamment sérieuse ou en cas de conduite non professionnelle ou inadéquate pouvant être identifiée à suffisance ou qui perturbe sérieusement le fonctionnement de l’entreprise ou le mette en danger. Est également admis le licenciement intervenant pour motif grave et, dans toutes les hypothèses (sauf dans cette dernière), il est précisé que le licenciement ne peut intervenir que si le membre du personnel a reçu au moins trois avertissements écrits et motivés et qu’un entretien a eu lieu entre le membre du personnel, son chef de service et un membre de la direction. D’autres garanties sont prévues, touchant à la fois aux conditions de l’entretien, ainsi qu’à la teneur des avertissements eux-mêmes. Il s’agit de permettre, dans ceux-ci, au membre du personnel de corriger sa conduite, si les circonstances reprochées le permettent. Il est également prévu que les faits qui ont donné lieu à un avertissement écrit ne pourront plus être retenus à charge de l’intéressé après une période d’un an.

Des dispositions spécifiques sont prévues en cas de licenciement pour motif grave.

S’il y a non-respect des procédures ci-dessus, le règlement de travail prévoit que l’employeur est tenu de payer une indemnité complémentaire dont le montant brut est égal à 3 mois de rémunération, sans déduction des retenues légales ou conventionnelles.

La cour constate, ensuite, que la société n’a pas respecté cette procédure. Elle reprend longuement les éléments de fait et circonstances ayant entouré le licenciement, dont il ressort que l’employeur n’a pas, notamment, envoyé les avertissements requis et n’a pas davantage auditionné le travailleur, ainsi qu’il y était tenu.

La cour constate que la clause lui soumise est une clause de stabilité d’emploi par laquelle le droit de licenciement de l’employeur n’est pas exclu, mais est limité, celui-ci ne pouvant intervenir que pour des motifs bien déterminés et après le respect d’une procédure préalable.

La cour constate la légalité d’une telle clause du règlement de travail, renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 22 janvier 2001, n° S.00.0037.Nt).

Repartant alors du motif apporté sur le document C4 quant au licenciement, motif selon lequel il y aurait eu des modifications à l’intérieur du département, faisant que le travailleur ne correspondrait plus aux exigences de la fonction, la cour constate qu’il y a ici un problème d’aptitude du travailleur, puisqu’il lui est fait grief de ne plus avoir le profil exigé. Outre que la société n’établit pas les nécessités de fonctionnement de l’entreprise ou du service, la cour constate que le travailleur n’a pas été remplacé. Elle considère dès lors qu’il y a eu manquement à la procédure particulière de licenciement prévue au règlement de travail, puisque celui-ci vise les hypothèses de « dysfonctionnement individuel » d’un travailleur.

La procédure était, pour la cour, précisément destinée à éviter les licenciements intervenant avec légèreté, l’employeur étant précisément tenu de motiver ce qu’il reprochait au travailleur et devant lui donner la chance d’adapter sa conduite professionnelle. Le travailleur avait le droit, éventuellement assisté par un représentant de son organisation syndicale, de faire valoir ses droits de défense au cours d’un entretien.

La société est dès lors condamnée à payer l’indemnité de 3 mois.

Sur le quantum, elle renvoie à divers arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 18 novembre 2013, n° S.12.0008.F), qui considère que, par rémunération au sens de telles dispositions, il n’y a pas lieu de ne retenir que la rémunération mensuelle, mais celle-ci accompagnée de l’ensemble des avantages alloués en tant que contrepartie du travail presté.

C’est dès lors le montant alloué par le premier juge qui est correct et non celui avancé par la société (étant 3 mois de salaire mensuel uniquement). La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, où la cour du travail examine les effets d’une clause d’un règlement de travail qui peut être comprise comme une clause de stabilité d’emploi, il est réaffirmé à juste titre que de telles clauses ne sont pas contraires au pouvoir de rupture de l’employeur, pouvoir limité mais non empêché par les limitations qui y sont contenues.

En l’occurrence, il s’agit à la fois d’une obligation d’adresser des avertissements motivés au travailleur et de l’auditionner, en présence s’il le souhaite d’un délégué syndical. L’ensemble de ces garanties, qui ne figurent pas dans un texte légal mais sont dès lors soumises, dans l’hypothèse d’un travailleur au service d’un employeur privé, à des clauses spécifiques, font partie de l’exercice des droits de défense du travailleur.

En l’espèce, la clause n’est pas sectorielle, mais liée à l’entreprise.

Il faut relever que, dans d’autres secteurs (secteur des assurances et secteur des banques notamment), de telles clauses sont prévues par convention collective. L’arrêt du 18 novembre 2013 rendu par la Cour de cassation et auquel la cour du travail fait référence vise précisément le secteur bancaire. La convention collective du 2 juillet 2007 portant des dispositions relatives à l’emploi dans ce secteur, prévoit que, si l’employeur envisage de licencier un travailleur pour carence disciplinaire ou faute professionnelle, ce travailleur est invité à un entretien au cours duquel il est informé des raisons qui ont abouti à ce que l’employeur envisage son licenciement. Pour la Cour de cassation, une telle clause, qui a pour objet d’assurer une sécurité d’emploi au travailleur auquel elle s’applique, impose que l’invitation du travailleur à l’entretien précède la décision de l’employeur de le licencier. Il ne suffit dès lors pas qu’elle se produise avant le congé, étant l’acte par lequel l’employeur notifie au travailleur qu’il entend que le contrat de travail prenne fin.


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