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Etranger en séjour illégal : vérification de la condition d‘état de besoin pour l’octroi de l’aide médicale urgente

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 novembre 2014, R.G. 2013/AB/75

Mis en ligne le lundi 5 janvier 2015


Cour du travail de Bruxelles, 5 novembre 2014, R.G. n° 2013/AB/75

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 novembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles, renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mars 2009, rappelle que la vérification de la condition d’état de besoin, pour l’octroi de l’aide médicale urgente à un étranger en séjour illégal doit se faire comme requis à l’article 1er de la loi : le CPAS doit intervenir dès lors que sans cette aide le demandeur ne pourrait une mener une vie conforme à la dignité humaine.

Les faits

Un citoyen tunisien, en séjour illégal, se voit accorder en 2010 une carte santé par le CPAS. Il a, en 2011, un malaise cardiaque et doit être hospitalisé, en urgence.

Un litige survient relativement aux factures d’hôpital, le Comité spécial du service social refusant la prise en charge, au motif qu’il ne lui appartient pas de payer des dettes vis-à-vis de tiers mais d’aider les personnes afin qu’elles puissent mener une vie conforme à la dignité humaine. Le CPAS considère également qu’il n’est pas démontré que le paiement de cette facture améliorerait la situation de l’intéressé dès lors que les cliniques ne poursuivent pas le recouvrement et que, par ailleurs, il n’est pas établi que la personne ne pourrait pas payer avec ses ressources propres.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui, par jugement du 13 décembre 2012, accueille celui-ci. Le CPAS est dès lors condamné à prendre ces frais d’hospitalisation en charge.

Il fait appel.

Décision de la cour du travail

Dans un bref arrêt, la cour rappelle le principe contenu à l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976, étant que toute personne a droit à l’aide sociale et que celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Une condition de l’aide sociale est la constatation de l’état de besoin, la cour rappelant que l’aide sociale ne peut être allouée que si elle est nécessaire pour vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine.

La question se posant, en l’occurrence, de l’octroi de l’aide médicale urgente à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume, la cour renvoie à l’article 57, § 2, 1° de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS, confirmant avec le CPAS que, même pour ce type d’aide, il y a lieu de constater l’état de besoin exigé par la loi.

La cour renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mars 2009 (C. const., 11 mars 2009, arrêt n° 50/2009), qui a confirmé la règle.

Appliquant le principe au cas qui lui est soumis, elle constate que le caractère urgent des soins est indiscutable, étant qu’il s’agit de répondre à un besoin au sens de l’article 1er de la loi. La fragilité de la santé et le risque de ne pas pouvoir continuer à être soigné eu égard à l’existence des factures impayées constituent un tel besoin.

La cour constate également que l’établissement hospitalier s’est retourné contre le CPAS pour les factures d’hospitalisation et que celles-ci ont été acquittées vu le caractère exécutoire du jugement. Ceci ne met cependant pas l’intéressé à l’abri de toute poursuite.

Elle conclut dès lors qu’il y a un risque de restreindre les possibilités d’accès pour l’intéressé aux soins de santé, ce qui limite celles de mener une vie conforme à la dignité humaine. La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Ce bref arrêt reprend quelques principes importants, en matière d’aide sociale, étant qu’il y a lieu de vérifier si celle-ci est nécessaire pour vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine. C’est la vérification de la condition d’état de besoin. Cette règle vise également l’aide médicale urgente.

La cour adopte une approche réaliste de la notion d’état de besoin, étant, que la fragilité de la santé et la nécessité inévitable de devoir encore recourir aux services de soins de santé constituent l’état de besoin requis. Le droit à la santé ne peut être, dans les conditions relevées, mis en péril.

Elle renvoie, par ailleurs, sur le plan des principes, à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mars 2009, également rendu dans le cadre d’une étrangère en séjour illégal. Dans cet arrêt, l’intéressée demandait la prise en charge de frais d’accouchement, au titre d’aide médicale urgente, chose rejetée par le CPAS d’Anvers.

Le tribunal du travail ayant fait droit à la demande, appel fut interjeté et la Cour du travail d’Anvers posa ainsi une question à la Cour constitutionnelle par arrêt du 30 juin 2008. La question concerne l’article 57, § 2 de la loi sur les CPAS et, eu égard à l’obligation (ou non) de vérifier si la personne peut, dans le cadre de l’aide médicale urgente, mener une vie conforme à la dignité humaine au sens de l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976, la cour faisant la distinction entre le séjour illégal et le séjour légal (pour lequel la vérification est prévue dans la loi).

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle relève que, ce faisant, la cour du travail fait une lecture erronée de l’article 57, § 2, étant que celui-ci n’inclurait pas l’application de l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976. Elle rappelle qu’en vertu de cette disposition, la personne qui demande une aide sociale doit démontrer que, sans cette aide, elle ne sera pas à même de mener une vie conforme à la dignité humaine et qu’il appartient dès lors au CPAS de vérifier cet élément.

Elle reprend l’évolution législative de l’article 57, § 2 de la loi, relevant notamment la volonté du législateur, dans le cadre de l’aide médicale urgente, d’intervenir pour toute personne qui réside sur le territoire. L’intervention du CPAS doit, ici, avoir un caractère médical et ne peut prendre d’autre forme, comme l’aide en espèces ou l’aide au logement. Il ressort, comme le relève la Cour constitutionnelle, des travaux préparatoires que l’évolution législative n’entend pas porter atteinte aux principes qui étaient précédemment en vigueur, à savoir qu’une forme d’aide sociale peut être accordée pour autant seulement qu’elle soit nécessaire pour permettre à la personne de mener une vie conforme à la dignité humaine. Dès lors qu’un étranger en séjour illégal sollicite une aide médicale urgente, le CPAS doit vérifier si, sans cette aide, il est en mesure de mener une vie conforme à la dignité humaine. Si tel est le cas, le CPAS ne doit pas intervenir.


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