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Aide sociale : vers qui les MENA doivent-ils se tourner : C.P.A.S. ou S.A.J. ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 décembre 2014, R.G. 2013/AB/383

Mis en ligne le lundi 18 mai 2015


Cour du travail de Bruxelles, 17 décembre 2014, R.G. 2013/AB/383

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 décembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le principe général en matière d’aide sociale, étant qu’il s’agit d’une obligation du C.P.A.S. et que la mission de celui-ci est à ce point large qu’aucune forme d’aide ne peut lui échapper, le S.A.J. pouvant, pour ce type de bénéficiaire, octroyer une aide supplémentaire.

Les faits

Une jeune femme de nationalité congolaise arrive en Belgique en 2011, à l’âge de 16 ans. Elle est accompagnée de sa fille, qui a 2 ans.

Après avoir introduit infructueusement une demande d’asile et de protection subsidiaire, elle bénéficie d’un droit au séjour à partir du 10 mai 2012. Une attestation d’immatriculation pour 6 mois lui est délivrée. Elle occupe un logement de transit et sollicite l’aide du C.P.A.S., à savoir une aide sociale, couvrant en sus le premier mois de loyer ainsi que la garantie locative.

Le C.P.A.S. la renvoie au service de l’aide à la jeunesse (S.AJ.), qui refuse toute aide financière.

Le C.P.A.S. fait de même, en ce compris pour l’ensemble des prestations auxquelles elle pouvait prétendre, dont la carte de santé. La motivation de la décision administrative est que, ayant la qualité de MENA (mineur étranger non accompagné), c’est le S.A.J. qui est compétent.

Une procédure est introduite par le tuteur de l’intéressée, devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Celui-ci condamne le C.P.A.S., par jugement du 28 février 2013, au paiement de l’aide sociale financière équivalente au revenu d’intégration (taux pour personne avec charge de famille). Appel est interjeté par le C.P.A.S.

Entre-temps, le séjour devient irrégulier, l’attestation d’immatriculation (prolongée) étant venue à expiration, et le C.P.A.S. notifie une nouvelle décision de refus d’intervention.

L’enfant est, parallèlement, reconnu par son père, de nationalité belge, et il acquiert également la nationalité.

La situation de l’intéressée vis-à-vis du C.P.A.S. va dès lors se régulariser, mais pas pour le passé.

La décision de la cour

Après avoir fixé avec précision la période litigieuse, la cour examine les arguments avancés par le C.P.A.S. pour ne pas être tenu d’intervenir dans ce type de situation, étant essentiellement que les MENA relèvent de la compétence du S.A.J. et non du régime général de l’aide sociale.

La cour reprend le principe contenu à l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976, ainsi qu’à l’article 23, alinéa 3, 2° de la Constitution, étant que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine et que l’aide sociale, qui doit être accordée par le C.P.A.S., a cette finalité. Elle est également due aux mineurs, s’il échet.

Une brève analyse des textes permet à la cour de rappeler que l’aide sociale générale ne relève pas de la compétence des Communautés. En effet, les matières personnalisables, qui sont confiées à ces dernières, doivent être définies par une loi à majorité spéciale, et tel est bien le cas de la loi du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, qui, en son article 5, § 1er, II, 6°, prévoit qu’est une telle matière personnalisable la protection de la jeunesse, en ce compris la protection sociale et judiciaire. Cependant, la cour rappelle que les matières relatives aux C.P.A.S. sont exclues par la loi elle-même.

Elle renvoie également à deux arrêts de la Cour constitutionnelle (C. const., 27 novembre 2002, n° 168/2002 et C. const., 12 mars 2003, n° 33/2003), selon lesquels le décret sur l’aide à la jeunesse ne porte pas atteinte aux obligations légales des C.P.A.S. à cet égard. L’aide à la jeunesse, étant à charge des Communautés, a en effet un caractère supplétif et complémentaire par rapport à la loi organique.

La cour renvoie également à l’enseignement de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, sect. Namur, 23 juin 2008, R.G. n° 8.510/07), qui a rappelé qu’existent deux principes de base, étant d’une part qu’aucune forme d’aide n’échappe aux C.P.A.S. et, d’autre part, que l’aide spécialisée - de la compétence exclusive des S.A.J. - reste subsidiaire.

Le C.P.A.S. faisant également valoir que la jurisprudence ci-dessus est antérieure à la loi du 12 janvier 2007, qui a mis en place des mesures spécifiques pour les MENA, la cour constate que ceci ne modifie en rien les principes applicables sur le plan de la répartition des compétences.

Par ailleurs, la cour souligne que les principes ci-dessus s’imposent malgré des pratiques initiées entre différents services, en vue de la collaboration entre eux pour faciliter l’accueil des mineurs, etc. Pour la cour, ceci ne peut dispenser le C.P.A.S. de son obligation légale.

Elle souligne également que le protocole de collaboration entre les C.P.A.S. et les S.A.J. prévoit explicitement que le C.P.A.S. peut se tourner vers le S.A.J. si l’aide sociale générale s’avère insuffisante et que des éléments de difficultés graves et de mise en danger existent. Ce document confirme le caractère spécialisé, complémentaire et résiduel de l’aide du S.A.J.

Enfin, la cour constate que l’état de besoin est établi (pour la période concernée), et qu’il y a lieu, dès lors, d’accorder l’aide équivalente au revenu d’intégration pour la durée que l’arrêt retient.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’une des deux décisions rendues le même jour sur cette problématique (voir également C. trav. Bruxelles, 17 décembre 2014, R.G. 2013/AB/384). La cour y rappelle un principe peu souvent abordé en jurisprudence, étant la situation des MENA et leur droit à une aide sociale.

La cour confirme très justement le champ d’action du C.P.A.S., qui doit, de par la loi, octroyer l’aide sociale générale à tous les bénéficiaires susceptibles de remplir les conditions d’octroi (la cour soulignant ici que certains mineurs peuvent également en bénéficier, dans la mesure où ils peuvent être assimilés à des majeurs – et tel est le cas d’une mère mineure avec enfant).

Si l’aide sociale générale ne suffit pas, le MENA peut également se tourner vers le service d’aide à la jeunesse, autorité dépendant des Communautés et qui est susceptible d’intervenir en sus. La cour souligne, dans cette décision, le caractère spécialisé, complémentaire et résiduel de l’aide du S.A.J. par rapport à l’aide générale du C.P.A.S.

Elle rappelle également la jurisprudence de la Cour du travail de Liège, qui avait exposé que le jeune demandeur d’une aide sociale ne doit pas subir une partie de « ping-pong institutionnel ».


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