Terralaboris asbl

Responsabilité du personnel infirmier et motif grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mai 2015, R.G. 2013/AB/662

Mis en ligne le vendredi 21 août 2015


Cour du travail de Bruxelles, 5 mai 2015, R.G. n° 2013/AB/662

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 mai 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles en matière de responsabilité des praticiens de l’art infirmier, renvoyant notamment au Code de déontologie de la profession.

Les faits

Une infirmière au service d’un hôpital depuis plus de dix ans est licenciée pour motif grave, étant une erreur dans l’administration de médicaments (nombre excessif de Temesta). Est pointée la circonstance que cet excès a constitué un danger vital pour la personne.

L’intéressée conteste le caractère de gravité de la faute et introduit une procédure devant le tribunal du travail de Nivelles, qui fait droit à sa demande par jugement du 25 avril 2013, condamnant l’employeur au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de douze mois. L’infirmière ayant également sollicité l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement abusif, ce chef de demande est rejeté.

L’hôpital interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle que le motif grave doit être apprécié en fonction de toutes les circonstances qui sont de nature à lui conférer ce caractère, ces éléments concernant tant le travailleur que l’employeur (renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2006 (Cass., 20 novembre 2006, R.G. S.05.0117.F).

La faute doit ainsi être appréciée subjectivement dans le chef de l’employeur, étant que sa gravité peut dépendre des règles internes et éthiques de l’entreprise ou de la « culture de l’entreprise » (renvoyant à un commentaire de Mme V. VANNES, sous Cassation, 8 novembre 1999, R.C.J.B., 2002, p. 269).

Il en découle que l’absence d’avertissement, le laxisme de la ligne hiérarchique ou encore le fait qu’une sanction moins lourde a été appliquée à d’autres travailleurs pour des faits semblables sont des éléments qui doivent être pris en considération.

Il faut en outre procéder à un contrôle de proportionnalité entre la gravité de la faute et la sanction.

La cour situe les faits comme suit, étant qu’une patiente a été admise au service des urgences à l’hôpital dans l’après-midi et qu’elle a été transférée au service où ladite infirmière était occupée, et ce dans la nuit. Une infirmière (de service) a encodé une prescription établie par le médecin et a commis une erreur d’encodage, relative au nombre de comprimés devant être administrés. Le lendemain, le médecin responsable de la patiente a validé ces données, en ce compris l’indication du nombre anormalement important de comprimés. La chose a été perçue par la pharmacie qui a refusé la délivrance et a réservé à la prescription un statut d’attente. Averti, le médecin responsable n’a pas réagi.

En fin de journée, l’infirmière (qui sera licenciée pour motif grave) prend son service et – l’erreur ne lui ayant pas été signalée – administre les médicaments. Il s’agit d’une surdose manifeste, dont la cour relève cependant qu’il n’est pas établi qu’elle ait eu des conséquences néfastes pour la santé de la personne. Pour la cour, il s’agit d’une faute professionnelle, la dose étant anormale eu égard à la posologie du médicament.

Elle retient que l’intéressée avait elle-même relevé cette anomalie et qu’elle avait également constaté le refus de délivrance de la pharmacie.

La cour rappelle que l’article 27 du Code de déontologie des praticiens de l’art infirmier impose à ceux-ci de refuser d’exécuter une prescription médicale s’ils ont des raisons suffisantes de penser que l’acte demandé peut avoir des conséquences néfastes, graves et sérieuses pour le patient.

Il s’agit dans le chef de l’infirmière licenciée d’un manque de précaution, qui présente un certain degré de gravité. La cour relève cependant que cette faute s’inscrit dans une série d’autres fautes commises par divers membres du personnel, à commencer par l’infirmière qui a mal encodé la prescription et le médecin responsable qui a validé celle-ci et n’a pas, en sus, réagi lorsque la chose lui a été signalée.

Considérant qu’il faut, dans l’appréciation du motif grave, tenir compte de tous les éléments de la cause et que, dans cette appréciation, la sanction infligée à d’autres travailleurs pour des faits semblables constitue une telle circonstance, la cour conclut que la responsabilité ne pouvait pas peser entièrement sur l’intéressée vu l’existence d’autres fautes concurrentes.

Elle souligne particulièrement que le médecin responsable n’a reçu pour sa part qu’un simple avertissement et même s’il a la qualité de travailleur indépendant, la sanction qui lui a été infligée doit être prise en compte eu égard à sa qualification et aux responsabilités qui sont les siennes. Dans la mesure où l’hôpital a considéré que la poursuite de la collaboration professionnelle avec lui n’était pas rendue immédiatement et définitivement impossible, la faute de l’infirmière, qui a concouru au même incident, est moins grave que celle du médecin et le licenciement pour motif grave n’était pas justifié.

En ce qui concerne la demande d’indemnité pour licenciement abusif, qui est reproduite, la cour rappelle que, si le motif grave n’est pas retenu, le licenciement n’acquiert pas automatiquement un caractère abusif. Dans la mesure où il y a faute professionnelle, les critères de l’abus de droit (motif futile, but de nuire) ne sont pas présents.

Intérêt de la décision

L’arrêt ci-dessus est rendu dans l’hypothèse d’une faute professionnelle d’une travailleuse liée par un code de déontologie professionnelle, la cour rappelant que le personnel infirmier est tenu de refuser d’exécuter une prescription médicale s’il a des raisons suffisantes de penser que l’acte qui lui est demandé peut avoir des conséquences néfastes, graves et sérieuses pour le patient. C’est le texte de l’article 27 du Code de déontologie, rappelé expressément dans l’arrêt.

La faute déontologique – même si elle est considérée comme une faute grave par la cour – n’est pas nécessairement un motif grave. S’agissant en l’espèce d’un manque de précaution, la cour a longuement souligné l’absence d’effet néfaste sur la santé du patient. Cet élément apparaît prioritaire dans l’examen de la cour.

Est également pointé le concours de fautes de la part de plusieurs membres du personnel, parmi lesquelles la faute du médecin responsable. Quoique n’ayant pas la qualité de travailleur salarié, la cour retient que vu sa qualification et ses responsabilités, la faute commise par lui est plus grave que celle du membre du personnel infirmier. Dans la mesure où la collaboration professionnelle n’a pas été arrêtée avec ce dernier, l’employeur ne pouvait logiquement considérer plus grave et entraînant la cessation immédiate de la collaboration professionnelle la faute du membre du personnel infirmier.

L‘appréciation de la faute tient dès lors compte de la position du travailleur (qu’il soit salarié ou non) dans l’institution, les responsabilités de la ligne hiérarchique étant un élément important de l’appréciation de la gravité.


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