Terralaboris asbl

Personnes handicapées de nationalité étrangère et protection subsidiaire

Commentaire de C.J.U.E., 18 décembre 2014, Aff. n° C-542/13

Mis en ligne le lundi 24 août 2015


Cour de Justice de l’Union européenne, 18 décembre 2014, Aff. n° C-542/13

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 décembre 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne répond aux questions de la Cour constitutionnelle posées par arrêt du 23 septembre 2013 sur la portée des articles 28 et 29 de la Directive 2004/83/CE, rappelant que la notion de protection subsidiaire doit être comprise comme visant les personnes qui ont besoin d’une protection internationale, au sens de la Convention de Genève du 28 juin 1951 relative au statut des réfugiés.

Les faits

Un ressortissant mauritanien, arrivé en Belgique en janvier 2006, introduit une demande d’asile, qui est rejetée, ainsi qu’une autre, en autorisation de séjour pour raisons médicales, qui connaît le même sort.

Deux ans plus tard, il réintroduit une demande sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, eu égard à des séquelles importantes d’une agression dont il aurait été victime en Belgique. La demande est déclaré recevable, l’inscription au registre des étrangers étant autorisée.

Vu la délivrance d’une attestation générale reconnaissant la réduction de capacité de gain ainsi qu’une perte d’autonomie, une demande d’allocation est introduite dans le secteur des prestations aux personnes handicapées. Cette demande est rejetée en octobre 2009, vu la condition de nationalité et l’inscription au registre des étrangers. Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Liège en décembre 2009.

Parallèlement, son état de santé a amené l’intéressé à être autorisé au séjour en Belgique pour une durée illimitée.

Le Tribunal du travail de Liège a posé à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle portant sur la violation de la Constitution, vu que l’article 4 de la loi du 27 février 1987 exclut l’octroi d’allocations aux personnes handicapées à un étranger bénéficiant d’un droit de séjour autorisé sur pied de l’article 9ter, alors qu’il bénéficie à ce titre du statut conféré par la protection internationale, prévue à la Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, alors que le réfugié, qui bénéficie de cette même protection internationale, se voit octroyer lesdites allocations.

Le Tribunal du travail de Liège se référait, dans sa question préjudicielle, à l’arrêt n° 114/2012, qui portait sur une question similaire mais n’envisageait pas le problème par le biais des dispositions de la Directive 2004/83.

Il renvoyait également à l’arrêt n° 193/2009 du 26 novembre 2009, considérant que l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 est, comme l’article 48/4 de la même loi, relatif au statut de protection subsidiaire, la transposition en droit belge de l’article 15 de la Directive 2004/83 et que la situation de l’article 9ter relève du statut de la protection subsidiaire. Est encore visé l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 42/2012 du 8 mars 2012 (rendu en matière de prestations familiales garanties).

L’arrêt de la Cour constitutionnelle

Dans son arrêt du 26 septembre 2013 (arrêt n° 124/2013), la Cour constitutionnelle ne tranche pas le fond mais pose, à son tour, deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne. Ces questions sont tirées de la Directive 2004/83.

La première question est la suivante. Qui doit bénéficier de la protection sociale et des soins de santé visés aux articles 28 et 29 de la Directive : uniquement la personne qui s’est vu octroyer à sa demande le statut de protection subsidiaire par une autorité indépendante de l’Etat membre ou également l’étranger autorisé par une autorité administrative de l’Etat membre à séjourner sur son territoire et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie (ou son intégrité physique ou encore un risque réel de traitement inhumain ou dégradant en cas d’absence de traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans son pays de séjour) ?

La seconde question porte sur le fait de savoir si, au cas où les deux catégories de personnes sont protégées, l’obligation faite aux Etats membres de tenir compte de la situation spécifique des personnes vulnérables telles que les personnes handicapées implique que doivent leur être accordées les allocations prévues par la loi du 27 février 1987, compte tenu du fait qu’existe, dans le cadre de celle du 8 juillet 1976, la possibilité d’accorder une aide sociale prenant en considération leur handicap.

La décision de la Cour de Justice

La Cour répond à la première question, de manière restrictive, rendant, ainsi, sans objet la réponse à la seconde question.

Elle rappelle que les articles 28 et 29 de la Directive 2004/83 octroient des prestations d’assistance sociale et l’accès de soins de santé à deux catégories de personnes, étant ceux qui bénéficient du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire. La Belgique devrait dès lors permettre aux étrangers de bénéficier des garanties prévues aux articles 28 et 29 si l’autorisation de séjour accordée devait être considérée comme emportant l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire à défaut pour l’étranger d’avoir celui de refugié.

Elle examine, ensuite, dans sa propre jurisprudence, les types d’atteintes graves définies à l’article 15 de la même directive, que constituent les conditions à remplir par une personne pour pouvoir bénéficier de cette protection : il doit exister des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur court un risque réel de subir de telles atteintes en cas de renvoi dans le pays d’origine concerné.

La cour reprend ensuite les dispositions de la Directive, concluant qu’il doit d’agir de traitements dans le pays d’origine du demandeur, que ces atteintes ne peuvent pas résulter des seuls insuffisances générales du système de santé de ce pays et qu’il est requis qu’elles soient causées par le comportement d’un tiers. Enfin, les risques auxquels la population d’un pays (ou partie de celle-ci) est généralement exposée ne sont pas des menaces individuelles pouvant être qualifiées d’atteintes graves.

La Directive tend à compléter, à travers la protection subsidiaire, celle consacrée par la Convention de Genève du 28 juin 1951 relative au statut des réfugiés, en identifiant les personnes qui ont réellement besoin de protection internationale. Ceci ne vise pas les personnes autorisées à séjourner sur le territoire des Etats membres pour d’autres raisons, c’est-à-dire, comme le qualifie la Cour, « à titre discrétionnaire ou par bienveillance ou pour des raisons humanitaires ».

L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme peut être invoqué, mais dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’éloignement de l’étranger sont impérieuses. La circonstance que le ressortissant d’un pays tiers atteint d’une grave maladie ne puisse, en application de cette disposition, être éloigné vers un pays dans lequel n’existe pas de traitement adéquat n’implique pas qu’il doit bénéficier d’un droit de séjour dans un Etat membre au titre de la protection subsidiaire.

La législation belge (loi du 15 décembre 1980) autorise des ressortissants de pays tiers à séjourner sur le territoire belge, dans les conditions qu’elle admet mais ceci n’en fait pas des bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire auxquels les articles 28 et 29 de la directive seraient applicables.

L’Etat n’est donc pas tenu de faire bénéficier de la protection sociale et des soins de santé des articles 28 et 29 le ressortissant admis à séjourner sur le territoire, parce qu’il souffre d’une maladie entraînant un risque réel pour sa vie ou pour son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, étant l’absence de traitement adéquat, sans que soit en cause une privation de soins infligée intentionnellement.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour de Justice de l’Union Européenne fait le lien entre diverses normes de droit international et le droit interne à propos d’une notion rarement définie, étant la protection subsidiaire.

La loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers prévoit en son article 9ter que le droit de séjour peut être accordé à l’étranger qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie, pour son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant du fait de l’absence de traitement adéquat dans son pays d’origine ou de provenance. A défaut de remplir ces conditions et à défaut d’avoir le statut de réfugié, l’étranger peut se voir conférer le statut de protection subsidiaire s’il y a de sérieux motifs de croire que dans son pays d’origine il y aurait un risque réel de subir des atteintes graves, étant celles que la loi définit, à savoir (i) la peine de mort ou l’exécution, (ii) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou (iii) les menaces graves contre le vie ou la personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé.

Il s’agit des conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire, ce qui a été confirmé par la Cour de Justice dans plusieurs arrêts, dont l’arrêt DIAKITE du 30 janvier 2014 (C.J.U.E., 30 janvier 2014, DIAKITE, Aff. C-285/12). En dehors de ces hypothèses, le statut ne peut pas être conféré et la Cour a rappelé les limites de ces définitions, étant qu’il doit s’agir de traitements dans le pays d’origine, que les atteintes doivent être constituées par le comportement d’un tiers et non seulement résulter des carences dans les soins de santé et qu’il doit s’agir de menaces individuelles, et non de la précarité générale à laquelle la population d’un pays est exposée.

Cette interprétation est encore confortée par le but de la directive, qui est d’identifier les personnes qui ont réellement besoin de protection internationale et qui ne peuvent bénéficier des garanties de la Convention de Genève. La Cour de Justice fait ici la distinction nette avec les personnes autorisées à séjourner sur le territoire pour d’autres raisons, personnes qui n’entrent pas dans son champ d’application. L’on notera encore les termes de la Cour, à ce sujet, étant qu’il s’agit d’autorisation donnée « à titre discrétionnaire et par bienveillance ou pour des raisons humanitaires ». Celles-ci étant exclues du champ d‘application de la directive, elles ne peuvent dès lors se voir conférer le bénéfice des articles 28 et 29, étant qu’elles devraient bénéficier, dans l’Etat membre ayant octroyé le statut, la même assistance sociale nécessaire que celle prévue pour ses ressortissants (art. 28, § 1er) et qu’elles devraient avoir accès aux soins de santé dans les mêmes conditions (art. 29, alinéa 1er).


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