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Droit pénal social : le non-paiement de la rémunération est une infraction instantanée et non un délit continu

Commentaire de Cass., 22 juin 2015, n° S.15.0003.F

Mis en ligne le lundi 5 octobre 2015


Cour de cassation, 22 juin 2015, n° S.15.0003.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 juin 2015, la Cour de cassation censure une décision qui avait admis que le non-paiement de la rémunération constitue un délit continu et avait appliqué les règles de prescription en vigueur pour ce type d’infraction.

Objet du litige

Deux moyens ont été présentés devant la Cour de cassation à l’appui du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 29 avril 2014.

Le premier moyen est sans incidence pour la question commentée, étant relatif à la motivation de la décision quant à des explications données par la travailleuse sur des encodages.

Le second moyen concerne une question d’arriérés de rémunération.

La cour du travail avait admis que l’intéressée devait être classée en 3e catégorie de la C.P.N.A.E., eu égard aux critères de celle-ci, qui supposent un travail d’exécution autonome, diversifié, exigeant habituellement de l’initiative, du raisonnement et comportant la responsabilité de son exécution, alors que la catégorie inférieure suppose des travaux simples, peu diversifiés et dont la responsabilité est limitée par un contrôle direct.

La Cour de cassation rejette la première branche du moyen, qui considérait que la cour du travail n’avait pas répondu à ses conclusions. La Cour de cassation considère pour sa part que la cour du travail a fait une appréciation distincte des faits de la cause et que celle-ci peut être acceptée.

La seconde branche du moyen porte sur la question de droit pénal social. Les faits de l’époque impliquaient la référence à l’article 42 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération, ainsi qu’à l’article 56 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Ceci pour partie, dans la mesure où étaient également applicables, pour la fin de la relation de travail, les articles 162 et 189 du Code pénal social.

En vertu de ces dispositions, le non-paiement de la rémunération due en vertu d’une convention collective de travail rendue obligatoire est une infraction qui est consommée par une seule omission au moment où le paiement doit être effectué.

La Cour de cassation rappelle que cette infraction est une infraction instantanée et non une infraction continue.

Elle accueille, dès lors, cette seconde branche du moyen, la cour du travail ayant jugé que le défaut de paiement réitéré (à savoir que le défaut était constaté à chaque échéance de paiement) est un délit continu. La cour du travail en avait tiré comme conséquence sur les règles en matière de prescription que l’action civile fondée sur cette infraction commence à courir à la fin de la période infractionnelle, celle-ci pouvant être celle de la fin du contrat de travail ou celle du dernier paiement. La cour du travail avait ainsi admis que n’était pas prescrite la demande portant sur une période de plus de 6 ans.

L’affaire est dès lors renvoyée devant la Cour du travail de Mons.

Intérêt de la décision

Ce bref arrêt de la Cour de cassation rappelle la distinction à opérer entre les diverses infractions pouvant être constatées en droit pénal social.

En l’espèce, il ne pouvait en effet être conclu à l’existence d’un délit continu, celui-ci s’opposant à l’infraction instantanée.

L’infraction instantanée consiste dans l‘accomplissement (ou l’omission) d’un acte à un moment donné. Elle est consommée au moment où elle est perpétrée, et ce quelle que soit la durée du mal entraîné. La majorité des infractions sont de ce type.

Par contre, l’infraction continue ne vise pas un fait ponctuel ou isolé mais, au contraire, sa persistance, à savoir le maintien d’un état délictueux, et elle se prolonge tant que dure la situation illégale. Peu importe le nombre d’abstentions coupables intervenues.

Ce type d’infraction est parfois confondu avec le délit collectif (ou délit continué), qui est caractérisé par une unité d’intention.

La Cour de cassation a fait la distinction entre ceux-ci dans un arrêt du 26 octobre 1970 (Cass., 26 octobre 1970 n° 5187). Si le délit continu est composé de différents faits, ceux-ci sont réputés ne former qu’une seule infraction, et ce qu’il y ait ou non unité d’intention et même s’il est établi qu’ils ne sont pas le résultat de celle-ci. A l’opposé, plusieurs infractions instantanées peuvent constituer un délit collectif ou délit continué, mais doivent pour ce faire être reliées par la recherche d’un même but.

Les expressions « délit continu » et « délit continué » prêtent en français souvent à confusion, ce qui n’est pas le cas en néerlandais, où le délit continu est le « voortdurend misdrijf », tandis que le délit continué est le « voortgezet misdrijf ».

L’on peut donner comme exemples d’infractions instantanées le non-paiement ou le paiement tardif de la rémunération, ainsi que des indexations dues, du sursalaire pour heures supplémentaires, des cotisations à un fonds de sécurité d’existence, du pécule de vacances, de la rémunération des jours fériés, etc., de même encore que l’inobservation du respect du repos hebdomadaire, de l’absence d’évaluation par écrit des avantages en nature, ainsi que l’absence de communication de cette évaluation au travailleur lors de son engagement, de même l’absence de notification de la fermeture d’entreprise au Fonds de Fermeture dans le délai légal, la non-délivrance de documents sociaux, ou encore le délit d’obstacle à la surveillance.

Constituent par contre des infractions continues, au titre d’exemples toujours, le fait de ne pas conserver les documents sociaux, de ne pas les avoir remplis de manière adéquate, de ne pas instituer un C.E. ou un C.P.P.T., ainsi, de manière générale, que toute infraction à la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

La distinction entre ces infractions a une incidence lors de l’application des règles de prescription, dans la mesure où, en cas d’infraction instantanée, le point de départ de la prescription est le jour où celles-ci ont été commises, alors que, pour les infractions continues, c’est le jour où l’activité délictueuse a pris fin.


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