Terralaboris asbl

Indépendants exerçant en Belgique et en Allemagne : obligation d’affiliation au statut social belge ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 juin 2015, R.G. 2013/AB/505

Mis en ligne le vendredi 8 janvier 2016


Cour du travail de Bruxelles, 12 juin 2015, R.G. 2013/AB/505

Dans un arrêt du 12 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles de la coordination applicables à l’activité exercée par un travailleur indépendant sur deux Etats membres ainsi qu’à l’obligation pour celui-ci de cotiser au statut social des travailleurs indépendants.

Les faits

Un journaliste indépendant, domicilié à la fois en Belgique et en Allemagne, est assujetti au statut social des travailleurs indépendants. En Allemagne, il cotise en matière de pension dans un régime d’assurance volontaire et en matière d’assurance maladie dans un régime privé.

Il conteste en 2003 son assujettissement au statut social, faisant valoir une activité de journaliste.

Il ne paye pas ses cotisations et une contrainte est délivrée par la caisse. Opposition est formée et le Tribunal du travail de Bruxelles est saisi. Il s’agira en fin de compte de deux contraintes et les affaires seront jointes.

Par jugement du 20 juillet 2012, le tribunal du travail juge les recours non fondés.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’appelant se fonde sur l’article 5 de l’arrêté royal n° 38, selon lequel les journalistes, correspondants de presse et personnes qui jouissent de droits d’auteur, ne sont pas assujettis au statut social s’ils bénéficient déjà, à quelque titre que ce soit, d’un statut social au moins équivalent. Il considère que, étant couvert en soins de santé et en pension, il bénéfice d’un statut social équivalent, lui permettant de demander le non-assujettissement.

Il développe une thèse subsidiaire, fondée sur les Règlements n° 1408/71 et 883/2004, selon lesquels seul le droit allemand serait d’application.

Il fait encore valoir que, eu égard au non-respect du principe de bonne administration (négligence et manque de célérité dans le traitement du dossier), il y a lieu de revoir les majorations et intérêts et invoque aussi la Charte de l’assuré social, considérant qu’un traitement normal du dossier lui aurait permis d’éviter un double assujettissement.

Thèse de la caisse

La caisse conteste avoir manqué aux principes de bonne administration et de délai raisonnable. Sur la fonction, elle considère que l’intéressé n’exerce pas l’activité de journaliste, celle-ci n’étant qu’accessoire à une autre activité principale. Elle fait aussi valoir qu’il n’y a pas d’assujettissement à un statut social équivalent en Allemagne et que, s’il fallait appliquer les règles européennes, celles-ci conduisent à l’application du droit belge.

La décision de la cour

Pour la cour, la première question à régler est, vu les éléments d’extranéité, de déterminer la législation applicable.

Les articles 13 et suivants du Règlement n° 1408/71 contiennent des règles de conflit de lois destinées à protéger le travailleur migrant, étant qu’il ne peut être soumis qu’à la législation d’un seul Etat.

En cas d’exercice d’une activité non salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs Etats, la législation applicable est celle du lieu de résidence si une partie de l’activité y est exercée. C’est le principe de la législation de l’Etat de résidence. Ces règles sont cependant exclues en matière d’assurance volontaire, sauf si c’est le seul régime existant, étant qu’il n’y aurait pas de régime obligatoire (exception prévue aux articles 15 du Règlement n° 1408/71 et 14 du Règlement n° 883/2004).

La cour en vient ensuite à la définition de la résidence en droit européen, étant que c’est le séjour habituel, soit, en d’autres termes, le lieu où l’intéressé a établi le centre permanent de ses intérêts.

A cet égard, les éléments de nature purement administrative ne suffisent pas, la cour rappelant qu’il faut rechercher le caractère effectif et principal de la résidence. Elle conclut à la résidence habituelle et principale de l’intéressé en Belgique, sur la base de toute une série d’éléments de fait et, incidemment, sur sa qualité de consul honoraire, soulignant qu’un des critères déterminants pour cette désignation est d’être un résident intégré à sa circonscription. C’est dès lors la législation belge en matière de sécurité sociale et de statut social qui est applicable.

Se pose en outre la question de l’assurance volontaire, visée dans chacun des deux règlements. Ce point impose de vérifier s’il existe en Allemagne un régime d’assurance obligatoire à côté de celui-ci. Or, tel est le cas, pour les journalistes, s’agissant d’un régime légal spécifique pour les artistes et journalistes indépendants. La cour relève cependant que le régime allemand contient des exceptions, et notamment en cas d’exercice occasionnel de l’activité de journaliste indépendant. Elle relève également que, si l’intéressé est assujetti au régime d’assurance volontaire, c’est qu’il doit se trouver dans une des exceptions à l’assurance obligatoire. La cour souligne également que le risque couvert par contrat n’est pas celui des règlements de la coordination.

Sur la qualité de journaliste, elle ne peut lui être attribuée, la détention d’une carte de presse étant insuffisante pour établir une telle activité. Pour la cour, l’intéressé ne peut dès lors invoquer l’exception que prévoit l’article 5 de l’arrêté royal n° 38.

Elle examine ensuite les éventuels manquements au principe de bonne administration et au devoir d’information. Sur le premier point, elle considère qu’il devrait plutôt s’agir du principe du délai raisonnable dans le cadre du procès équitable. Or, la procédure a été diligentée normalement. Sur le second point, étant un éventuel manquement à la Charte, la cour rappelle que les institutions de sécurité sociale et, en l’occurrence, les caisses d’assurances sociales, ne peuvent pas donner d’informations adéquates si elles n’ont pas connaissance de tous les éléments du dossier. Elles n’ont en tout cas pas le pouvoir de décider d’initiative d’un assujettissement, ceci étant de la compétence de l’I.N.A.S.T.I.

Aucune faute ne peut dès lors être reprochée à la caisse.

Intérêt de la décision

Dans cette très intéressante affaire, touchant des situations fréquemment rencontrées, la cour du travail rappelle plusieurs règles fondamentales en matière de coordination de la sécurité sociale en droit européen. La première est le principe de la législation de l’Etat de résidence, lorsqu’un travailleur indépendant exerce son activité sur le territoire de plusieurs Etats, à la condition qu’une partie de cette activité y soit exercée.

La cour rappelle également que la notion de résidence en droit européen est une notion spécifique et qu’elle n’est pas influencée par les définitions nationales. Il s’agit du lieu où l’intéressé a établi le centre permanent de ses intérêts.

Un troisième point est évidemment relatif à la question de l’assurance volontaire ou facultative continuée au sens des articles 15 du Règlement n° 1408/71 et 14 du Règlement n° 883/2004. Sur cette notion, il y a lieu de rappeler qu’aucune définition n’est donnée dans les textes. Dans un arrêt du 12 février 2015 (C.J.U.E., 12 février 2015, Aff. n° C-114/13), la Cour de Justice a rappelé que la notion est comprise comme couvrant tous les types d’assurances comportant un élément volontaire, qu’il s’agisse ou non de la continuation d’un rapport d’assurance antérieurement établi.

L’on peut également renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 13 février 2015 (R.G. 2013/AB/2.014), qui a également examiné une question d’assujettissement au statut social en présence d’une activité non salariée exercée à la fois en Allemagne et en Belgique. Elle y a rappelé que les notions d’activité salariée et d’activité non salariée relèvent quant à leur contenu des législations des Etats membres sur le territoire desquels elles sont exercées. S’agissant dans cette espèce d’une activité non salariée exercée dans les deux pays, et la résidence étant en Allemagne, la cour a logiquement conclu à l’application de la législation allemande. Le fait que le travailleur avait choisi, dans le cadre de celle-ci, de ne pas être affilié (choix conforme à la législation du pays de résidence), il ne pouvait non plus être assujetti au statut social des travailleurs indépendants en Belgique.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be