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Conditions légales de l’action en revision des séquelles d’un accident du travail : petit rappel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 septembre 2015, R.G. 2013/AB/839 et 2013/AB/847

Mis en ligne le jeudi 10 mars 2016


Cour du travail de Bruxelles, 14 septembre 2015, R.G. 2013/AB/839 et 2013/AB/847

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 septembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une demande formée contre deux assureurs distincts (l’un couvrant les séquelles d’un accident survenu chez un employeur précédent et l’autre étant l’assureur de l’employeur chez qui un nouvel accident serait survenu), dégage une conclusion judicieuse : si le nouvel accident n’est pas avéré, l’on peut cependant être en présence d’une aggravation des séquelles de l’accident antérieur.

Les faits

Une infirmière est victime d’un accident du travail en janvier 2006, alors qu’elle est occupée dans une maison de repos. L’accident est admis et elle est indemnisée, conformément à la décision judiciaire qui interviendra le 7 mai 2009, le tribunal ayant admis une I.P.P. de 5%.

L’intéressée change ultérieurement d’employeur.

En octobre 2009, soit 3 ans et demi après l’accident et après le jugement du tribunal du travail, elle fait l’objet d’une fiche d’évaluation de santé, contenant des réserves (relatives au port de charge). Elle tombe alors en incapacité de travail. Elle remplit une déclaration d’accident du travail, faisant état d’un fait survenu deux mois auparavant, étant que, ce jour, elle avait soulevé un patient de plus de 100 kilos et que, si elle n’a pas eu d’incapacité immédiate, elle a dû porter une minerve et que, suite à un scanner, une hernie discale a été constatée.

Un litige survient ainsi, d’autant que l’employeur précise à l’intention de l’assureur que cette déclaration lui semble suspecte. L’assureur auprès de qui la déclaration a été faite refuse ainsi son intervention, considérant qu’il y a un état antérieur.

Une procédure est introduite contre celui-ci, aux fins de faire admettre la survenance d’un accident du travail ainsi que contre l’assureur du premier accident. Dans un jugement du 15 mars 2012, le Tribunal du travail de Nivelles ordonne des enquêtes, en ce qui concerne les faits. A l’issue de celles-ci, il rend un second jugement, demandant un dépôt de pièces et désignant un expert avec une mission bien spécifique, étant de dire si, après la date litigieuse, l’intéressée a présenté des lésions nouvelles ou une aggravation de lésions antérieures.

L’assureur du second employeur interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant considère que le tribunal a statué « ultra petita » et qu’il n’appartient pas à l’expert de statuer sur la survenance ou non de l’accident, la qualification juridique étant l’office du juge.

L’assureur de l’employeur précédent demande quant à lui sa mise hors cause, estimant la demande non fondée à son égard. L’intéressée aurait, selon lui, fait un aveu, à la fois judiciaire et extra-judiciaire, reconnaissant l’existence de l’accident du travail. Il se positionne également, à titre subsidiaire, sur les conditions de l’action en revision, dont il plaide qu’elles ne sont pas réunies.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu si la survenance d’un accident du travail est établie à la date donnée par l’intéressée. Reprenant l’ensemble des éléments de fait, elle conclut que celle-ci n’en apporte pas la preuve. L’assureur du second employeur est dès lors mis hors cause, puisqu’il ne doit pas intervenir dans la réparation d’un accident du travail survenu à ce moment.

La cour souligne par ailleurs que l’on ne peut retenir l’existence d’un aveu dans son chef, l’aveu ne pouvant porter que sur des choses dont la loi ne permet pas de disposer ou sur lesquelles il est interdit de transiger. La matière des accidents du travail étant d’ordre public, un tel aveu, qu’il soit judiciaire ou extra-judiciaire, est exclu.

Vu cependant l’existence de l’accident précédent, la situation peut également être examinée à partir de l’hypothèse d’une revision et la cour constate que, vis-à-vis du premier assureur, l’intéressée a fondé sa demande sur l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, qui permet la revision des indemnités en cas de modification de la perte de capacité de travail (ou en cas de nécessité de l’aide régulière de tiers) dans les trois ans suivant la date de l’entérinement de l’accord entre les parties ou de la décision judiciaire intervenue (ou autres hypothèses y assimilées en cas de guérison sans séquelles ou d’incapacité ne dépassant pas sept jours).

En l’occurrence, le jugement statuant sur le règlement des séquelles date du 7 mai 2009 et sa signification est intervenue le 6 juillet. Il est dès lors coulé en force de chose jugée. L’action en revision a été introduite un an plus tard et elle est dès lors autorisée.

Il faut, en conséquence, vérifier si les conditions exigées pour une telle action en revision sont remplies. La cour rappelle longuement les principes guidant celle-ci, étant tout d’abord l’exigence d’un fait nouveau que l’on ne connaissait pas et que l’on ne pouvait connaître au moment de l’accord ou du jugement. Il ne s’agit pas, comme elle le précise ensuite, de donner une « deuxième chance », qui serait un « repêchage », en cas d’erreur survenue lors du règlement des séquelles.

Rappelant ensuite que la Cour de cassation est intervenue régulièrement pour préciser certains contours de cette action, et particulièrement la question du fait nouveau, elle souligne encore que l’accident ne doit pas être l’unique cause de la modification de la perte de capacité de travail de la victime. Ainsi, il peut également y avoir revision si l’aggravation d’un état pathologique existant (non causé par l’accident) est la conséquence de celui-ci (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 1989, n° 6683). Enfin, si le fait nouveau est survenu pendant le délai de revision, l’évolution et la consolidation de cet état après l’échéance du délai peuvent également être prises en compte.

Examinant de manière circonstanciée les quatre conditions de l’action, la cour va conclure qu’il y a lieu de désigner un expert. En effet, il semble y avoir un fait médical nouveau (question cependant contestée et renvoyée vers l’expertise). La modification de l’état physique de la victime semble également survenue par la suite des conséquences de l’accident (question devant également être tranchée dans le cadre de l’expertise). Cette modification doit encore, sur le plan légal, découler d’un élément apparu postérieurement à la date de détermination de l’I.P.P. et elle doit survenir après la décision judiciaire intervenue sur le plan du règlement des séquelles. Il faut dès lors que ces questions fassent l’objet d’un examen circonstancié, dans le cadre de l’expertise, étant qu’il faut déterminer si la pathologie au niveau cervical et, le cas échéant, son évolution sont en relation causale avec l’accident du travail de 2006.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles examine une double demande, formée contre deux assureurs différents.

La question est en effet posée de savoir si l’on peut être en présence d’un second accident du travail (prouvé) ou si, à défaut, l’incapacité de travail (temporaire ou permanente) peut être considérée comme une séquelle du premier accident. Dans cette seconde hypothèse, même survenue chez un autre employeur, assuré ailleurs, c’est le premier assureur-loi qui est tenu d’intervenir.

La cour y rappelle également de manière très complète les conditions de l’action en revision, tant sur le plan de la définition que sur celui de la preuve. Le fait médical nouveau exigé doit être apparu postérieurement à la détermination de l’I.P.P. et il doit s’agir soit de l’évolution de la lésion qui a déjà engendré un tel taux, soit de l’apparition d’une lésion nouvelle, soit encore de l’aggravation d’un état pathologique préexistant, qui n’avait dès lors pas été causé par l’accident, l’aggravation étant cependant elle-même en lien avec celui-ci.


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