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Mutualités : que faut-il entendre par avantage interdit émanant d’un tiers et pouvant entraîner une sanction de la part de l’Office de Contrôle ?

Commentaire de Cass., 5 octobre 2015, R.G. n° S.14.0029.F

Mis en ligne le vendredi 8 avril 2016


Cour de cassation, 5 octobre 2015, R.G. n° S.14.0029.F

Terra Laboris

La Cour de cassation a rejeté, par arrêt du 5 octobre 2015, un pourvoi demandant que soit retenue à l’article 43quinquies, alinéa 1er de la loi du 6 août 1990 l’existence d’une présomption de responsabilité dans le chef des mutualités ou unions de mutualités

Rétroactes

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 2 janvier 2014, qui avait considéré non justifiée une sanction imposée par l’Office de Contrôle des Mutualités et des Unions Nationales de Mutualités (O.C.M.U.N.M.) au motif qu’une union nationale aurait incité à la mutation dans le cadre d’un accord avec un tiers (étant un secrétariat social).

La cour du travail avait considéré que les preuves d’un tel accord n’étaient pas rapportées, la circonstance que la mutualité avait une permanence et un bureau dans les locaux de ce dernier n’étant pas suffisante. Ce bureau existait, avec un contrat de bail, depuis le début des années ’90, situation bien antérieure à la période litigieuse et, par ailleurs, la cour avait relevé que d’autres organismes assureurs disposent de facilités comparables au sein d’autres sociétés, ce à quoi l’O.C.M.U.N.M. n’avait jamais rien trouvé à redire.

Ne pouvait non plus constituer un tel accord une démarche effectuée par ce secrétariat social vis-à-vis des membres de son personnel affiliés à cette union nationale ainsi que vis-à-vis d’autres les invitant à muter aux fins de bénéficier d’une intervention de l’employeur dans l’assurance hospitalisation.

La cour avait encore noté que le secrétariat social avait exposé les circonstances dans lesquelles il avait contacté certains membres de son personnel, étant qu’une décision judiciaire avait été rendue, l’amenant à mettre un terme à une pratique existante. Tout en déplorant les initiatives de cette asbl (que l’arrêt considère critiquables), elle en avait déduit que les constatations faites ne permettaient pas de prononcer une sanction à l’égard de l’union nationale, vu que n’était pas rapportée une preuve formelle que l’initiative avait été prise dans le cadre d’un accord.

Les moyens du pourvoi

La première branche du pourvoi se fonde sur l’article 43quinquies, alinéa 1er de la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités selon lequel il est interdit aux mutualités et aux unions nationales d’accorder des avantages de nature à inciter à des mutations individuelles (telles que reprises aux articles 252 à 274 de l’arrêté royal d’exécution de la loi coordonnée le 14 juillet 1994) ainsi que d’accorder des avantages de nature à inciter des personnes inscrites en qualité de personnes à charge dans un organisme assureur à devenir membres de celui-ci. Il précise qu’il faut entendre par avantage au sens de la disposition en cause les avantages de même nature accordés par une personne juridique avec laquelle la mutualité ou l’union nationale a conclu un accord de collaboration, par une société mutualiste visées par la loi (43bis) ou par tout autre tiers.

Le pourvoi renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 mars 2013 (C. Const., 28 mars 2013, n° 47/2013), selon lequel il y a violation des articles 10 et 11 de la Constitution (combinés avec le principe général de droit de la personnalité de la peine) si l’article 43quater de la loi (où le pourvoi précise qu’il est une disposition analogue à celle visée en l’espèce) est interprété comme signifiant qu’est visé tout tiers même sans la collaboration d’une ou de plusieurs mutualités ou unions de mutualités dès lors que la disposition contiendrait une présomption irréfragable de responsabilité pour les actes de tiers, et ce même lorsqu’aucun rapport entre elles et ces tiers n’a été établi. Le pourvoi fait ainsi grief à l’arrêt de ne pas avoir retenu que la disposition contient une présomption de culpabilité à charge de la mutualité ou de l’union nationale pour les actes de tiers, au motif que serait exigée la preuve d’un accord de collaboration.

Dans sa seconde branche, le pourvoi fait valoir que l’union était au courant des initiatives prises par l’asbl et qu’elle était restée sans réaction alors qu’elle savait ou devait savoir que celles-ci étaient critiquables.

Position de la Cour

La Cour rejette la première branche. A l’article 43quinquies, alinéa 2 de la loi, les mots « tout autre tiers » visent uniquement l’hypothèse dans laquelle l’avantage qu’elle interdit est accordé par un tiers, mais avec la collaboration d’une ou plusieurs mutualités ou unions nationales de mutualités identifiées.

Cette disposition n’instaure pas une présomption légale de responsabilité de ces dernières en cas d’octroi par les tiers des avantages visés, fût-ce sous réserve de la preuve du contraire. L’arrêt a dès lors pu conclure à l’absence de présomption de culpabilité, considérant que l’Office devait établir que la mutation s’était réalisée à la faveur d’une forme quelconque de collaboration entre l’union et le tiers.

Sur la seconde branche, la Cour relève qu’elle est fondée sur une lecture inexacte de l’arrêt de fond, celui-ci ne considérant pas que seul un accord de collaboration peut constituer la collaboration exigée, mais qu’il recherche au contraire – et exclut aux termes de son analyse – l’existence de toute forme de collaboration.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, s’agissant de l’application de l’article 43quinquies, alinéa 1er de la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités, la cour du travail avait relevé que ces dispositions sont identiques à celles sur lesquelles la Cour constitutionnelle s’est prononcée par son arrêt n° 47/2013 (art. 43quater et 60bis de la loi).

La présente affaire portant sur une incitation à la mutation à l’initiative d’un secrétariat social dans les locaux duquel l’union disposait d’une permanence et d’un bureau. Cette initiative était faite à destination des membres du personnel de l’asbl.

La Cour de cassation a retenu que les termes « tout autre tiers » supposent que l’avantage interdit émane d’un tiers avec la collaboration d’une ou plusieurs mutualités ou unions nationales. Elle confirme la position de la cour du travail selon laquelle la disposition légale n’instaure pas une présomption légale de responsabilité, que ce soit une présomption irréfragable ou réfragable.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 mars 2013 auquel il est fait référence visait l’interdiction de publicité comparative (publicité trompeuse interdite) et avait considéré qu’admettre le caractère irréfragable d’une présomption de culpabilité instaurée par l’article 43quater, §4 la loi du 6 août 1990 portait une atteinte disproportionnée au principe de la personnalité de la peine. Elle avait dès lors conclu à la violation de la Constitution par les articles 43quater et 60bis (combinés) dans l’interprétation selon laquelle par les mots « tout autre tiers », était visée l’hypothèse dans laquelle la publicité interdite émane d’un tiers même sans la collaboration d’une ou de plusieurs mutualités ou unions nationales de mutualités identifiées.


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