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Droit à la rémunération garantie en cas d’incapacité de travail : rappel des règles applicables

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 octobre 2015, R.G. n° 2013/AB/823

Mis en ligne le vendredi 8 avril 2016


Cour du travail de Bruxelles, 12 octobre 2015, R.G. n° 2013/AB/823

Terra Laboris

La Cour du travail de Bruxelles a eu à connaître d’une question délicate relative à une incapacité de travail : un travailleur peut-il être en absence justifiée pour ce motif alors qu’il preste chez un autre employeur ?

Les faits

Un ouvrier dans le secteur de l’HORECA annonce à son employeur sa volonté de mettre fin au contrat de travail et ce moyennant un préavis de quatorze jours.

Il envoie un certificat médical à l’employeur, qui réceptionne celui-ci et, tout en prenant acte de la rupture du contrat, marque son désaccord sur le point de départ du préavis fixé par l’ouvrier. Parallèlement il mandate un médecin-contrôleur, qui confirme l’incapacité de travail. Le travailleur envoie encore ultérieurement un certificat de prolongation pour une période d’une semaine.

Un litige survient, qui amène l’ouvrier à déposer une requête devant le Tribunal du travail de Nivelles, réclamant essentiellement des arriérés de rémunération nets, ainsi que le salaire garanti.

Décision du tribunal

Par jugement du 20 mars 2012, le Tribunal du travail de Nivelles, section de Wavre, se prononce uniquement sur une demande de faux civil, demande incidente introduite par l’ouvrier, qui conteste avoir signé un reçu de rémunération. Un expert graphologue est, en conséquence, désigné.

Position des parties en appel

Le travailleur interjette appel, considérant que le tribunal n’a pas correctement appliqué les dispositions du Code judiciaire en matière de faux civil et reprend ses chefs de demande, dont celui relatif au salaire garanti.

Position de la cour

La cour tranche, en premier lieu, les points relatifs à la procédure en faux civil. Elle constate le non respect de la procédure prescrite par le Code judiciaire, soulignant que le législateur a voulu attacher des formes à celle-ci, afin que chaque partie prenne ses responsabilités en connaissance de cause. Le défendeur en faux civil peut ne pas comparaître en personne (la cour soulignant « avec les conséquences que le juge peut y attacher ») ou, s’il comparait, il peut encore décider de ne pas se servir de la pièce litigieuse. Cette comparution personnelle n’ayant pas été organisée, la cour retient que le travailleur, demandeur en faux civil, a le droit de demander le respect strict de la procédure.

Sur la question du salaire garanti, s’agissant d’une période antérieure au 1er janvier 2014, la cour reprend les règles contenues à la loi du 3 juillet 1978. L’article 31, §3 prévoit qu’en cas de contestation de l’incapacité de travail par le médecin-contrôle (et dans les limites visées par ce texte), le salaire garanti peut être refusé, sauf procédure d’arbitrage favorable au travailleur. Par ailleurs, l’article 52, §3, 1° (concernant l’ouvrier) exclut également le droit au salaire garanti si l’incapacité de travail trouve sa source dans une faute grave commise. Ce sont les deux seuls cas de refus.

Dans la doctrine il était cependant admis que si le travailleur ne se présentait pas à la convocation du médecin-contrôle, ou s’il refusait de se laisser examiner par lui, il perdait le droit à la rémunération garantie pour toute la période d’incapacité et la cour rappelle que cette règle a également été suivie en jurisprudence (renvoyant à l’ouvrage de M. DAVAGLE, L’incapacité de travail de droit commun constatée par le médecin-traitant ou par le médecin du travail et les obligations qui en découlent pour l’employeur et le travailleur, EPDS, 2013, p. 65 et 66).

La société fonde son refus, en l’espèce, sur deux éléments, étant d’abord une faute grave, et, également, un acte équipollent à rupture. La faute grave est rejetée, ne s’appuyant sur aucun élément. Reste à examiner s’il y a eu acte équipollent à rupture.

L’intéressé avait, en effet, signé un nouveau contrat de travail avec une autre société, contrat prévoyant des prestations « avec horaire variable », et ce en fonction des besoins du service. La cour examine dès lors ces circonstances à l’aune des principes régissant l’acte équipollent à rupture, étant qu’il suppose une inexécution fautive dans l’intention de mettre fin au contrat de travail ou une modification unilatérale d’un élément essentiel de celui-ci.

La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 22 octobre 2012 (Cass., 22 octobre 2012, R.G. n° S.11.0087.F) que la partie qui invoque l’acte équipollent à rupture a l’obligation de prouver, en cas de manquement d’une partie à ses obligations contractuelles, que celle-ci a ainsi révélé sa volonté de modifier le contrat et partant d’y mettre fin. Le manquement d’une partie aux obligations contractuelles peut constituer la preuve d’une telle volonté en cas de modification importante d’un élément essentiel du contrat, la rupture n’existant pas du chef du manquement en lui-même mais vu la modification contractuelle ainsi apparue.

La cour souligne ici que, dans une telle hypothèse, le juge – qui a un pouvoir d’appréciation souverain – exige généralement qu’avant de conclure au caractère irrégulier de la rupture, il y ait une mise en demeure. En l’espèce, elle considère que les circonstances qui lui sont soumises ne sont pas de nature à constituer une telle rupture, et ce pour divers motifs. Parmi ceux-ci figure le fait qu’aucune indication n’a été donnée sur la nature de l’incapacité de travail qui a empêché la poursuite des prestations pour le premier employeur (alors que tel n’était pas le cas pour le nouveau contrat de travail). La cour expose que certaines incapacités (ainsi d’ordre psychologique et liées à la sphère de travail) peuvent ne pas empêcher le travailleur d’exercer une activité même similaire chez un autre employeur. En outre, les deux contrats de travail (à temps partiel en l’occurrence) pouvaient être compatibles sur le plan des horaires. La cour rappelle ici un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 1er juin 1994, J.T.T., 1995, p. 31), qui a admis qu’un travailleur à temps partiel chez deux employeurs dans des conditions différentes peut être en incapacité de travail chez l’un mais non chez l’autre. Enfin, le médecin-contrôleur a confirmé l’incapacité de travail pour ce qui concernait le certificat lui remis.

L’acte équipollent à rupture n’est, dès lors, pas démontré.

La cour ordonne cependant la réouverture des débats sur les points en suspens.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le droit au salaire garanti existe, dès lors que l’incapacité de travail a été dûment justifiée. En vertu de l’article 31, §3 de la loi, il est actuellement prévu (depuis la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction du « statut unique »), que le travailleur qui n’informe pas son employeur immédiatement de son incapacité de travail, qui ne produit pas le certificat médical dans le délai prescrit ou qui se soustrait au contrôle sans motif légitime peut se voir refuser le bénéfice de la rémunération garantie pour les jours d’incapacité qui précèdent celui de l’avertissement, de la remise ou du contrôle. Cette modification légale est entrée en vigueur le 1er janvier 2014, confirmant ainsi les principes précédemment appliqués en doctrine et en jurisprudence.

D’autres règles ont également été ajoutées, étant essentiellement qu’une CCT ou le règlement de travail pourra prévoir que le travailleur en incapacité doit se tenir à disposition du médecin-contrôleur pendant une durée déterminée (de 4 heures consécutives maximum), à son domicile ou en une résidence communiquée à l’employeur. Sauf motif légitime (exemples donnés dans les travaux préparatoires : le fait de devoir conduire un enfant à l’école ou encore celui de devoir se rendre dans un hôpital à une heure précise), la rémunération garantie pourra être refusée. Il faut encore souligner sur la question, vu le risque d’ingérence sérieuse dans la vie privée, que l’obligation de présence doit s’apprécier dans le respect du principe de proportionnalité et que, en cas d’incapacité de travail de longue durée, le contrôle sera limité (voir extraits des travaux préparatoires cités par J.F. NEVEN et P.P. VAN GEHUCHTEN, « La loi « statut unique » et les mesures d’accompagnement – Une vraie réforme du droit du congé, un pas vers la fin de la distinction des régimes « ouvriers » v. « employés » », J.T., 2015, p.314).


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