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Cotisation de responsabilisation et principe de non-rétroactivité

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 24 février 2016, R.G. 14/3.736/A

Mis en ligne le vendredi 10 juin 2016


Tribunal du travail de Bruxelles, 24 février 2016, R.G. 14/3.736./A

Terra Laboris

Dans un jugement du 24 février 2016, le Tribunal du travail de Bruxelles décide d’interroger la Cour constitutionnelle sur la possibilité de rétroactivité prévue dans la loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses, en ce qu’elle a déterminé le montant de la cotisation de responsabilisation 2012 sur la base de critères et modalités d’application fixés avec effet rétroactif.

Les faits

Une société (relevant de la C.P. n° 121) reçoit, en février 2014, une demande émanant de l’O.N.S.S., en vue de verser un montant de l’ordre de 47.000 € relatif à l’année 2012, et ce au titre de cotisation de responsabilisation.

Un échange de correspondance intervient et l’O.N.S.S. y expose que la société était au courant de ce que cette cotisation serait demandée si elle faisait « surconsommation » du système de chômage économique. L’Office expose également avoir informé celle-ci du mode de calcul, de telle sorte qu’elle pouvait en tenir compte dans sa politique du personnel.

L’O.N.S.S. rappelle que cette cotisation de responsabilisation a été étendue à tous les secteurs depuis la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses, qui a supprimé, à l’article 38, § 3sexies, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, la seule référence à la commission paritaire de l’industrie de la construction. Cette disposition a, ainsi, été étendue aux autres secteurs.

La société considère que ce mécanisme est contraire à l’article 2 du Code civil, qui contient le principe de la non-rétroactivité des lois, ce à quoi l’O.N.S.S. rétorque que ce principe ne s’oppose pas au dispositif actuel, qui se réfère au calcul des modalités de la cotisation, le critère de base (110 jours) existant déjà précédemment.

La société persiste, devant le tribunal, à considérer que des critères fixés en 2013 ne peuvent être appliqués à l’année 2012, dans la mesure où ils étaient inexistants à ce moment. Elle se fonde également sur l’avis du Conseil National du Travail et demande au tribunal d’interroger la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de la disposition litigieuse.

L’avis du Ministère public

Le Ministère public a admis le caractère rétroactif de la norme, sans que son avis ne soit davantage détaillé dans le jugement.

La décision du tribunal

Le tribunal ne vide pas sa saisine, s’interrogeant essentiellement sur la compatibilité de cette disposition de la loi du 30 juillet 2013 avec le principe de non-rétroactivité. Il souligne qu’une loi ne peut en principe produire des effets rétroactifs mais qu’elle peut déroger à une autre.

Sans que ce point ne soit visé dans la question qu’il décide de poser à la Cour, il se demande également si un employeur normalement avisé et conseillé peut « raisonnablement » ignorer les critères en matière de chômage économique « déraisonnable ».

La question posée est dès lors de savoir si l’article 38, § 3sexies, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés (modifié par les articles 78 et 84 de la loi du 28 décembre 2011, ainsi que par les articles 24 et 25 de celle du 30 juillet 2013) viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de non-rétroactivité des lois et de sécurité juridique en ce que l’O.N.S.S. peut réclamer à un employeur une cotisation de responsabilisation afférente à l’année 2012 sur la base de critères et de modalités d’application fixés pour cette année par une loi ultérieure, étant celle du 30 juillet 2013.

Affaire à suivre…

Intérêt de la décision

Ce jugement est bref, puisque le tribunal se borne, dans son dispositif, à interroger la Cour constitutionnelle et qu’il ne fait qu’aborder la question de la rétroactivité.

La discussion qui y est abordée mérite cependant que l’on s’y attarde. Depuis l’année 2005, une cotisation annuelle a été mise à charge de certains employeurs du secteur de la construction, afin de les responsabiliser dans le cadre du chômage temporaire dû à un manque de travail pour raisons économiques. Le système a été entendu à tous les employeurs à partir de l’année 2012.

Il s’agit d’une cotisation calculée sur la base des données des déclarations trimestrielles de l’année précédente, cotisation qui touche les travailleurs manuels (en ce compris les apprentis).

Actuellement, des calculs distincts doivent être effectués dans le secteur de la construction d’une part et dans les autres d’autre part. Par ailleurs, n’est pas visé le chômage pour intempéries ou pour accident technique.

Le seuil à partir duquel une cotisation est due est de 110 jours par travailleur et par an.

Soulignons encore que cette cotisation est assimilée à une cotisation de sécurité sociale, notamment en ce qui concerne les délais de paiement, ainsi que l’application des sanctions civiles et pénales et autres règles relatives à celles-ci. Le montant de la cotisation est calculé par travailleur (ouvrier ou apprenti).


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