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Cotisation annuelle à charge des sociétés : nature juridique et compétence des juridictions du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 avril 2016, R.G. 2014/AB/1.034

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 8 avril 2016, R.G. 2014/AB/1.034

Terra Laboris

Statuant après l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 16 juin 2011, qui a jugé que la cotisation annuelle à charge des sociétés due en application de la loi du 30 décembre 1992 n’est pas une cotisation à la sécurité sociale mais un impôt, la cour du travail de Bruxelles retient dans un arrêt du 8 avril 2016 qu’il s’agit d’un impôt direct au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation mais que les juridictions du travail sont cependant compétentes pour connaître des litiges y relatifs.

Les faits

Une contrainte est délivrée par l’I.N.A.S.T.I. en avril 2009 contre deux sociétés ainsi qu’une personne physique (qui est leur mandataire) pour des cotisations annuelles de société relatives aux années 2003 à 2007.

Il s’agit d’une cotisation due en application de la loi du 30 décembre 1992 portant des dispositions sociales et diverses. Sont redevables de celle-ci non seulement les sociétés mais également leurs mandataires (article 98).

Opposition est formée, suite à quoi une nouvelle contrainte est signifiée pour un complément.

Saisi d’une nouvelle opposition, le tribunal du travail joint les deux causes et, dans un jugement du 21 juin 2010, pose une question à la Cour constitutionnelle. Celle-ci porte sur la question de savoir si cette cotisation serait un impôt (même déguisé) – auquel cas elle ne pourrait être mise en œuvre par de simples arrêtés royaux, mais ne serait pas une véritable cotisation (celle-ci devant se rapporter à un service presté au profit du citoyen).

La Cour constitutionnelle répond par arrêt du 16 juin 2011 (C. const., 16 juin 2011, n° 103/2011), par lequel elle admet une violation partielle (articles 91 et 94, 9°, de la loi) des articles 10 et 11 de la Constitution. Elle considère cependant que cette cotisation n’est pas une cotisation à la sécurité sociale, mais un impôt au sens des articles 170 et 172 de la Constitution.

Le tribunal du travail s’interroge, ensuite, sur sa compétence et renvoie l’affaire devant le tribunal d’arrondissement, qui s’estime pour sa part irrégulièrement saisi et renvoie au tribunal du travail.

Un troisième jugement est rendu et il accueille enfin l’opposition à contrainte.

L’I.N.A.S.T.I. interjette appel. Il demande la confirmation des deux contraintes, étant la réformation complète du jugement. Les parties intimées, qui en sollicitent la confirmation, demandent à titre subsidiaire de poser plusieurs questions à la Cour constitutionnelle et – au besoin – à la Cour de Justice de l’Union européenne.

Les parties déploient un argumentaire touffu, essentiellement tiré de la conclusion de la Cour constitutionnelle sur la nature de la cotisation.

La décision de la cour

La cour retient, en premier lieu, la compétence des juridictions du travail, relevant que la période concernée par les cotisations réclamées est antérieure à l’arrêt de la Cour constitutionnelle et que, à cette époque, la compétence matérielle du tribunal n’était pas contestée. Elle relève par ailleurs que ce régime de cotisations est calqué sur celui des cotisations au statut social et que cette cotisation relève autant du droit social que du droit fiscal.

La cour examine ensuite la portée de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, qui a jugé que la cotisation en cause n’est pas une cotisation à la sécurité sociale, mais un impôt et a conclu par ailleurs à deux violations partielles (sans pertinence pour le litige).

Elle souligne que cette cotisation est destinée au statut social des travailleurs indépendants, ce qui, sous réserve des deux violations limitées ci-dessus, est conforme à la Constitution.

Après avoir écarté les questions préjudicielles suggérées - considérant qu’il y a déjà été implicitement mais certainement répondu - elle rencontre les arguments de fond.

Les parties intimées renvoient en premier lieu au principe constitutionnel d’annualité de l’impôt pour conclure que la cotisation ne serait pas exigible. La cour rejette cet argument, renvoyant à un autre arrêt de la Cour constitutionnelle (C. const., 16 décembre 2010, n° 142/2010), où celle-ci a précisé que le principe d’annualité ne signifie pas que les dispositions fiscales doivent être remises en cause annuellement.

Elle rejette également la violation alléguée du principe de l’universalité budgétaire, considérant que l’article 174 de la Constitution n’est pas d’application pour cette cotisation, qui fait partie des recettes inscrites au budget de l’I.N.A.S.T.I.

Par ailleurs, que la C.N.A.A.S.T.I. soit compétente pour le recouvrement ou l’enrôlement, n’est pas un critère déterminant, le recouvrement de sommes affectées à la sécurité sociale des travailleurs indépendants n’étant pas soumis aux règles du droit budgétaire et de la comptabilité publique. L’objet social des caisses ne fait pas obstacle à ce que, en tant qu’A.S.B.L., elles aient comme mission de recouvrer la cotisation annuelle. Malgré le cadre juridique de droit privé dans lequel les missions sont exercées (loi du 27 juin 1921), celles-ci relèvent néanmoins de l’intérêt général. La cour renvoie notamment à l’obligation d’agréation, ainsi qu’au pouvoir qu’elles ont d’émettre un titre extra-judiciaire exécutoire pour le recouvrement de cette cotisation notamment.

Enfin, elle rejette, dans cette catégorie d’arguments, celui selon lequel la cotisation annuelle serait nulle parce qu’inégalement répartie.

Saisie d’un point de droit européen, tiré de la Directive 69/335/CEE du Conseil du 19 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (remplacée par la directive 2008/7/CEE du 12 février 2008), elle en rappelle le cadre, renvoyant ici à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, selon laquelle le critère décisif pour qu’une opération de rassemblement de capitaux puisse être frappée du droit d’apport harmonisé réside dans le renforcement du potentiel économique de la société. Pour qualifier un impôt d’impôt indirect, il faut que ce prélèvement soit « étatiquement imposé » et que le produit du prélèvement soit destiné – fût-ce partiellement – au financement des dépenses publiques.

Pour la cour, s’il faut analyser cette cotisation comme un impôt, c’est un impôt direct, à savoir, au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation, celui qui a pour assiette une situation durable par sa nature – et ce contrairement à l’impôt indirect qui vise des actes, des opérations, des faits passagers, etc. La cotisation annuelle à charge des sociétés est basée sur la situation durable des sociétés, dans laquelle elles se trouvent en fonction de leur patrimoine. Elle n’est dès lors pas contraire à la Directive européenne.

La cour examine enfin d’autres arguments plus ponctuels, soulevés par les parties intimées, à propos des majorations d’une part et de la prescription partielle d’autre part. Sur cette dernière question, elle décide de la réouverture des débats, estimant le dossier insuffisamment complet pour statuer en connaissance de cause.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles reprend l’examen de la légalité de la cotisation annuelle à charge des sociétés destinée au statut social des travailleurs indépendants, et ce après l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 juin 2011 (n° 103/2011).

Dans cet arrêt, la Cour avait retenu que le paiement de la cotisation en cause ne fait pas naître de droit complémentaire sur le plan de la sécurité sociale, de sorte qu’un lien avec la sécurité sociale des personnes redevables fait défaut. Il s’ensuit, selon la Cour, que cette cotisation n’est pas une cotisation à la sécurité sociale, mais un impôt au sens des articles 170 et 172 de la Constitution. La Cour avait en outre annulé le terme « notamment » figurant à l’article 91, alinéa 2, 2e phrase, de la loi, qui était de nature à autoriser le Roi à prendre en considération pour la fixation du tarif d’autres critères que la taille de la société. Elle avait également annulé l’article 94, 9°, qui précisait que la société devait avoir été constituée avant le 1er janvier 1991 pour être exonérée de l’obligation de cotisation et que cette exonération était limitée aux trois premières années après la constitution, au motif qu’il ressort des travaux préparatoires qu’une intervention partielle était accordée aux sociétés créées depuis le 1er janvier 1991 et qu’en réalité, le législateur tentait surtout d’aider les entreprises débutantes qui ne disposent d’aucun revenu.


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