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Qu’entend-on par « intérêt légal en matière sociale » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 mai 2016, R.G. 2014/AB/69

Mis en ligne le mardi 13 décembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 26 mai 2016, R.G. 2014/AB/69

Terra Laboris

Par arrêt du 26 mai 2016, la Cour du travail de Bruxelles reprend la question du taux de l’intérêt légal en matière de sécurité sociale, eu égard aux modifications législatives intervenues et à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Les faits

Dans le cadre d’un recours introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, portant sur la date d’ouverture du droit aux allocations de chômage, se pose la question de l’intérêt réclamé par l’allocataire social sur les arriérés.

Le tribunal du travail avait admis la responsabilité de l’organisme de paiement, l’action étant considérée non fondée envers l’ONEm. L’O.P. a commis une faute dans la gestion du dossier et il doit payer des dommages et intérêts.

Appel a cependant été interjeté par le bénéficiaire des allocations, appel suite auquel la cour a rendu un premier arrêt, en date du 19 novembre 2015, confirmant le droit de l’intéressé aux allocations de chômage pour toute la période réclamée (le tribunal n’ayant admis qu’une partie de celle-ci).

Une réouverture des débats est ordonnée, en ce qui concerne les montants. Dans le cadre de celle-ci, se pose, après accord sur le montant des allocations elles-mêmes, la question des intérêts.

L’intéressé réclame des intérêts compensatoires depuis une date moyenne (étant fixée à la moitié de la période correspondant aux arriérés), ainsi que des intérêts judiciaires, et ce au taux légal de 7%. Il se fonde sur la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, dans sa mouture actuelle, soit après la modification de la loi du 8 juin 2008.

Pour l’O.P., il faut appliquer le taux des intérêts en matière civile, étant 2,25% pour l’année 2016.

La décision de la cour

La cour se livre à un examen approfondi de la question de l’intérêt dû, les parties ayant des positions diamétralement opposées.

En premier lieu, elle donne tort à l’appelant, qui se fonde sur l’article 2, § 3, de la loi du 5 mai 1865. Celui-ci prévoit que le taux d’intérêt légal en matière sociale est de 7% (même si certaines dispositions sociales renvoient au taux d’intérêt légal en matière civile, et ce pour autant qu’il n’y soit pas dérogé expressément). Pour la cour, il faut entendre par « intérêt légal en matière sociale » l’intérêt sur les cotisations de sécurité sociale, et ce par analogie à la matière fiscale (celle-ci étant visée au paragraphe précédent – article 2, § 2). Elle cite les travaux préparatoires de la loi-programme du 8 juin 2008, le Ministre ayant à l’époque exposé que la définition de l’intérêt légal avait été omise dans la loi-programme précédente, étant celle du 27 décembre 2006, et ayant souligné les difficultés auxquelles était confronté l’O.N.S.S. à l’époque en ce qui concerne le taux à appliquer, difficultés existant également pour les employeurs, qui plaidaient pour des règles les plus semblables possible dans les matières sociale et fiscale.

Cependant, l’intéressé ayant en l’espèce demandé des intérêts compensatoires, la cour souligne que ceux-ci ne tombent pas sous le coup de la loi. Les intérêts compensatoires sont des intérêts qui font partie intégrante du dommage, tendant à réparer les effets du paiement différé de l’indemnité à laquelle le préjudicié avait droit à la date où ce dommage est survenu. La cour renvoie à un arrêt important de la Cour de cassation, rendu le 25 janvier 1989 (Cass., 25 janvier 1989, n° 8.482). L’intérêt compensatoire court à partir de la naissance de la dette et jusqu’au moment où le préjudice est fixé définitivement par le juge.

Dans l’évaluation des dommages et intérêts, le juge dispose d’un pouvoir souverain en ce qui concerne la fixation du taux des intérêts. En matière extracontractuelle, la tendance en jurisprudence est de suivre le taux de l’intérêt légal, tel qu’il fluctue annuellement. La cour fixe donc les intérêts compensatoires à 3,25% pour l’année 2010, 3,75% pour 2011, etc. Les intérêts judiciaires sont accordés à partir du prononcé de l’arrêt.

Reste un dernier point en litige, étant relatif à l’indemnité de procédure. L’O.P. plaide, contrairement à l’appelant, qu’il n’y a pas lieu à application de l’article 4 de l’arrêté royal du 26 octobre 2007. Or, il s’agit en l’espèce d’une demande introduite par un assuré social contre une caisse d’allocations de chômage, sur la base de l’article 580 du Code judiciaire. Le fondement extracontractuel n’influence pas cette solution. La cour suit donc le tarif, tenant compte du montant de la demande, qui porte sur une somme déterminée et déterminable.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour du travail applique, pour l’intérêt réclamé – s’agissant de l’intérêt compensatoire –, les règles habituelles en matière extracontractuelle. Elle écarte l’application de l’article 2, § 3, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, dans la mesure où la demande, qui porte sur des dommages et intérêts, n’est pas visée par cette loi.

L’arrêt est également l’occasion de rappeler les difficultés intervenues il y a quelques années suite à la loi-programme du 27 décembre 2006, qui n’avait pas défini le taux d’intérêt légal en sécurité sociale. La chose a été corrigée par la loi-programme du 8 juin 2008.


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