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Chute et accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 6 juin 2016, R.G. 15/717/A

Mis en ligne le jeudi 29 décembre 2016


Tribunal du travail de Liège, division Dinant, 6 juin 2016, R.G. 15/717/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 6 juin 2016, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) rappelle qu’une chute en elle-même est un événement soudain pouvant donner lieu à un accident du travail. La cause de la chute ne doit pas être recherchée. L’assureur peut cependant renverser la présomption de l’article 7 LAT (présomption d’exécution).

Les faits

Un domestique-concierge fait une chute sur son lieu de travail, la déclaration d’accident (non datée et non signée) faisant état d’une crise d’épilepsie ayant entraîné une chute suite à laquelle l’ouvrier eut une épaule démise.

Entendu plus tard, celui-ci signale qu’il a été pris d’un malaise et qu’il ne se souvient plus de rien.

Il a été soigné au service des urgences du CHU de Dinant. Les faits ont été admis par l’assureur, qui a pris en charge les frais relatifs à la lésion de l’épaule. Ultérieurement, il a changé d’avis et a refusé d’intervenir au motif que l’accident n’était pas survenu par le fait de l’exécution du contrat, la chute étant provoquée par l’organisme interne de la victime.

Dans le cadre d’un échange d’éléments survenu ultérieurement, il s’avère que le diagnostic d’épilepsie n’est pas confirmé, l’intéressé n’ayant par ailleurs jamais présenté de telles crises. L’origine de la chute va dès lors rester inconnue.

Le Fonds des Accidents du Travail a été saisi et a conclu dans son examen du dossier qu’il y avait accident du travail, et ce sur la base de sources jurisprudentielles, selon lesquelles la cause de la chute est indifférente. En outre, elle n’est pas établie en l’espèce. L’assureur refuse, cependant, de revoir sa position.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle longuement les principes. Il s’agira essentiellement de vérifier, dans un tel cas, et ce compte tenu de l’allégement de la charge de la preuve dans le chef de la victime, si les éléments constitutifs de l’accident sont prouvés. A cet égard, le tribunal souligne que la déclaration de la victime peut valoir au titre de présomption et qu’elle revêt une valeur probante certaine si elle est corroborée par des présomptions qui en confirment le contenu, c’est-à-dire si elle s’insère dans un ensemble de faits cohérents et concordants.

Dès lors que la loi a prévu par ailleurs deux présomptions légales, étant la présomption d’exécution de l’article 7 et la présomption de causalité de l’article 9, l’assureur doit prouver avec le plus haut degré de vraisemblance l’absence de lien entre l’accident et l’exécution du contrat ou entre la lésion diagnostiquée et l’événement soudain.

Pour le tribunal, l’objet de la preuve, dans le cadre de ce renversement, est soit que la lésion ne peut être la conséquence de l’événement évoqué au motif qu’il n’a pas pu y avoir le moindre rapport entre l’un et l’autre (étant qu’elle ne peut médicalement ou raisonnablement trouver son origine dans celui-ci et est peu compatible avec la description du fait accidentel), soit qu’elle trouve son origine en-dehors de l’événement soudain (étant qu’elle serait due à une circonstance extérieure à celui-ci). L’état physiologique de la victime ne peut constituer cette circonstance extérieure à l’événement soudain.

Le tribunal en vient ensuite au cas particulier de la chute et rappelle ici qu’une chute ne cesse notamment pas d’être un événement soudain parce qu’elle a été causée par un défaut de l’organisme de la victime. La cause de la chute n’est pas un critère pertinent, vu qu’il suffit que la chute ait eu lieu et, à cet égard, le tribunal renvoie au célèbre arrêt de la Cour de cassation du 7 janvier 1991 (R.G. n° 7263), ainsi qu’à de la jurisprudence de la Cour suprême rendue dans la foulée, étant l’arrêt du 13 mai 1996 (R.G. S.95.0123.N), ainsi que celui du 29 avril 2002 (S.00.0017.F).

Pour le tribunal, l’événement soudain peut résider dans l’action de la victime, mais peut également être une circonstance que celle-ci subit directement, ou encore un fait ou une circonstance dont elle a été témoin ou, même, a pu être ressenti par elle alors qu’elle n’a été ni impliquée ni témoin.

En l’espèce, le tribunal constate que l’assureur entend renverser la présomption de l’article 7, en vertu de laquelle l’accident survenu dans le cours de l’exécution est présumé survenu par le fait de celle-ci. Il faut dès lors qu’il établisse que l’accident n’est pas survenu par le fait de cette exécution et qu’il est est exclusivement imputable à l’organisme de la victime. Le tribunal relève que, dans son argumentation, l’assureur néglige un élément important, étant les conditions de travail très pénibles le jour des faits, eu égard notamment à la chaleur. La démonstration de l’assureur porte sur le fait qu’aucune circonstance particulière n’explique la chute et que, dès lors, celle-ci ne serait pas un événement soudain, le travailleur s’étant déplacé sur du gazon et ayant été victime d’une chute sans élément particulier épinglé.

Pour le tribunal, l’événement soudain est bien la chute et celle-ci ne peut être contestée. La chute ne requiert pas d’élément particulier à épingler, étant un événement soudain en soi, et le jugement souligne encore que la jurisprudence constante de la Cour de cassation rend inutile la recherche de la cause de l’événement soudain. Quant à la lésion, elle existe et n’est pas contestée non plus.

Les deux présomptions trouvent dès lors à s’appliquer, n’étant nullement renversées. La luxation à l’épaule est présumée jusqu’à preuve du contraire trouver son origine dans l’accident, l’assureur restant en défaut d’établir que la lésion est exclusivement imputable à l’organisme de la victime et est entièrement indépendante du travail.

Dans la mesure où même le médecin-conseil dit ne pas avoir de précision sur l’origine de la chute et que la crise d’épilepsie est seulement vraisemblable, le tribunal conclut qu’il reste en effet en défaut de renverser la présomption légale avec le plus haut degré de vraisemblance requis.

Intérêt de la décision

Tout au long de ce jugement, le tribunal du travail revient à la jurisprudence de la Cour de cassation et l’on peut certes épingler l’arrêt du 7 janvier 1991, qui a été décisif. La Cour de cassation y avait relevé qu’il ressort des articles 7 et 9 de la loi que la lésion ne peut être due uniquement à l’état physiologique de la victime, mais que ces dispositions ne requièrent pas que la cause ou l’une des causes de l’événement soudain soit extérieure à son organisme. Elle avait notamment précisé qu’une chute ne cesse pas d’être un événement soudain au sens de ces dispositions parce qu’elle a été causée par un défaut de l’organisme de la victime.

L’on pourra encore utilement renvoyer sur la question à un arrêt de la Cour du travail de Gand du 17 juin 2016 (C. trav. Gand, division Gand, 17 juin 2016, R.G. 2015/AG/309), où la problématique était similaire, un travailleur ayant fait une chute imputée à une crise d’épilepsie. La cour du travail y a relevé que la cause de la chute est sans importance, celle-ci constituant l’événement soudain. Elle a longuement examiné les éléments de fait et n’a pu constater aucun lien avec le milieu du travail. Elle a conclu sur la base de ces éléments factuels que la présomption était renversée, l’assureur ayant établi – selon l’appréciation de la cour - que l’accident n’était pas survenu par le fait du contrat de travail. C’est l’absence de tout lien avec le milieu du travail, le travail lui-même ou les circonstances de celui-ci qui ont amené la cour à cette conclusion.

Dans son jugement, le tribunal du travail de Liège avait, pour sa part relevé l’existence de conditions météorologiques éprouvantes (chaleur), comme vu ci-dessus. L’assureur semble avoir esquivé cette circonstance, se bornant à plaider qu’aucune circonstance particulière n’expliquait la chute. Ce faisant, il déplaçait le débat relatif à la cause de la chute (admise cependant par lui en théorie comme constitutive de l’événement soudain requis) vers le plan de la présomption d’exécution, alors qu’il était tenu d’établir l’absence de tout lien avec l’exécution du contrat de travail.


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