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La mention « reçu » apposée sur une feuille de paie équivaut-elle à une quittance ?

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 23 août 2016, R.G. 15/4.853/A

Mis en ligne le vendredi 27 janvier 2017


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 23 août 2016, R.G. 15/4.853/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 23 août 2016, le Tribunal du travail de Bruxelles rappelle le caractère irréfragable de la présomption contenue à l’article 47bis de la loi du 12 avril 1965, qui dispose que la rémunération est considérée comme n’étant pas payée lorsqu’elle l’a été en violation des dispositions reprises à la même loi.

Les faits

Une ouvrière du secteur HORECA est en congé parental pour une période de 1mois et demi, s’agissant d’une interruption complète de ses prestations. A celle-ci succède une deuxième période de quatre mois, pendant laquelle il y aura une réduction des prestations à 50%. L’ouvrière sollicite ensuite une nouvelle prolongation, à concurrence de 1/5e temps pour une durée de cinq mois. Elle est licenciée pendant celle-ci, avec paiement d’une indemnité.

Une procédure est introduite suite à ce licenciement.

L’intéressée y postule la condamnation de la société à une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’à une indemnité de protection. S’y ajoutent des frais de transport ainsi que l’indemnité vestimentaire du secteur et des éco-chèques.

Décision du tribunal

Sur le premier poste, étant l’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal constate que l’intéressée avait apposé au bas de la fiche de paie une mention « reçue », cette mention ne figurant pas dans la case « pour acquit ». Se pose la question de savoir s’il s’agit d’une quittance de paiement de la somme en cause.

Reprenant les dispositions de la loi du 12 avril 1965 telles qu’applicables à partir du 1er juillet 2011, le tribunal rappelle que, d’une part le paiement de la rémunération en espèces doit s’effectuer soit de la main à la main soit en monnaie scripturale et que, d’autre part elle est considérée comme n’étant pas payée lorsqu’elle l’a été en violation des dispositions ci-dessus ainsi que des mesures d’exécution.

Dans un arrêt du 13 janvier 2016 (C. trav. Liège, 13 juin 2016, J.T.T., 2016, p. 288), la Cour du travail de Liège a d’ailleurs jugé, comme le relève le tribunal, que l’article 47bis de la loi instaure une présomption de non paiement de la rémunération au cas où l’article 5 (relatif au paiement en espèces) n’est pas respecté et notamment lorsqu’une quittance n’est pas soumise à la signature du travailleur en cas de paiement de la main à la main. Dans son arrêt, la Cour du travail de Liège considère que la présomption en cause doit être considérée comme n’admettant pas la preuve contraire. Cette présomption irréfragable ne peut dès lors être renversée par un témoignage.

En l’espèce, dans la mesure où l’intéressée a apposé la mention « reçue », ceci n’équivaut pas à une quittance de paiement de l’intégralité de la somme. L’employeur aurait dû faire signer la quittance tel que prévu à l’article 5, § 1er de la loi du 12 avril 1965 concernant le montant de l’indemnité. Il en résulte que la société est présumée de manière irréfragable ne pas avoir payé l’intégralité.

Le tribunal relève encore que la mention « reçu » peut avoir la même signification que celle « pour réception ».

La demande est dès lors fondée.

En ce qui concerne l’indemnité de protection pour congé parental réclamée en application de la CCT n° 64, le tribunal rappelle son article 15, dont le paragraphe 3 impose à l’employeur qui résilie le contrat malgré la protection figurant au paragraphe 1er de payer une indemnité forfaitaire de six mois sans préjudice des autres indemnités dues suite à la rupture.

Sur le point de départ de la protection, le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 31 mars 2015, R.G. n° 2013/AB/399) selon lequel la protection débute à partir du jour où l’employeur a marqué son accord sur la demande de congé parental, et ce même si le travailleur n’a pas respecté les formes prescrites.

L’indemnité est dès lors due en principe.

L’employeur pourrait démontrer l’existence d’un motif suffisant, soit un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations en cause.

Le tribunal rappelle qu’un accord avait été donné précédemment et que la protection ne se limite pas à la demande initiale mais qu’elle demeure si le droit est effectivement exercé, jusqu’à deux mois après la fin de celui-ci.

La société tente d’invoquer des éléments tirés de la conduite de l’intéressée (comportement difficile, attitude hostile et agressive, abandon du travail à plusieurs reprises, …). Le tribunal examine ces éléments concrètement et conclut que la société reste en défaut d’établir le motif suffisant requis. L’indemnité de six mois de rémunération est dès lors due.

Sur l’indemnité pour fourniture et entretien de vêtements de travail due en application de la convention collective de travail du 23 octobre 2007 conclue au sein de la CP 302, lorsque employeur ne fournit pas et n’assure pas l’entretien et le lavage des uniformes standardisés, une indemnité de 1,41€ par jour de travail pour la fourniture ainsi que pour l’entretien et le lavage est due.

L’employeur n’établissant pas les avoir pris en charge vis-à-vis de l’intéressée (des éléments étant apportés en ce qui concerne d’autres travailleurs cependant), le tribunal examine le nombre de journées prestées et alloue l’indemnité correspondante.

Reste enfin la question d’éco-chèques, pour laquelle l’employeur plaide uniquement que les jours de suspension du contrat de travail en raison d’un congé parental ne sont pas des « jours assimilés » pour ceux-ci. La demande doit dès lors être réduite à concurrence.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, assez classique en cas de rupture dans le secteur, se posent plus particulièrement deux questions, la première étant la portée de l’article 47bis de la loi du 12 avril 1965 et la seconde étant relative au congé parental.

Comme le tribunal l’a relevé, renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 13 janvier 2016 (C. trav. Liège, 13 janvier 2016, J.T.T. 2016, p. 288), le fait de faire signer les feuilles de paie au travailleur ne peut remplacer l’émission d’une quittance soumise à leur signature. La signature des feuilles de paie peut avoir de multiples significations, telles qu’un accusé de réception ou un accord sur le montant de la rémunération et sur le relevé des prestations. Par contre, la quittance imposée par l’article 5, § 1er doit exprimer de façon claire que le travailleur reconnaît avoir reçu la somme mentionnée sur celle-ci, et ce à la date qui y figure. La cour du travail avait rappelé le caractère irréfragable de la présomption de non paiement.

Par ailleurs, le jugement se distingue également sur la confirmation de la jurisprudence qui admet que la protection contre le licenciement en cas de congé parental naît à partir du jour où l’employeur a marqué accord sur cette demande, et ce même si elle n’a pas été formulée dans les formes prescrites.


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