Terralaboris asbl

Activité accessoire : prescription de l’action en récupération d’allocations

Commentaire de Cass., 5 septembre 2016, n° S.16.0007.F

Mis en ligne le lundi 30 janvier 2017


Cour de cassation, 5 septembre 2016, n° S.16.0007.F

Terra Laboris

Le point de départ de la prescription de l’action de l’ONEm en récupération de l’indu dans l’hypothèse de l’exercice d’une activité accessoire autorisée mais dont les revenus imposent de revoir le montant des allocations de chômage.

Les faits de la cause

Par une décision de l’ONEm du 26 mai 2005, Mme D. a été admise au bénéfice des allocations de chômage à partir du 8 mars 2005 et a été autorisée à poursuivre une activité indépendante, étant précisé que ses allocations journalières étaient calculées à titre provisoire et pourraient être revues lorsque le montant des revenus d’indépendant seraient connus (article 130 de l’A.R. du 25 novembre 1991).

Mme D. est devenue indépendante à titre principal à partir du 31 janvier 2006 et n’a donc plus demandé à bénéficier d’allocations de chômage à partir de cette date.

Par un courrier du 22 juin 2009, qui n’a pas été envoyé par recommandé, l’ONEm a demandé à Mme D. l’envoi de l’avertissement extrait de rôle relatif à ses revenus de l’année 2005 afin de calculer définitivement le montant des allocations de chômage auxquelles elle avait droit pour ladite année. Mme D. n’a réservé aucune suite à ce courrier.

En mars 2012, Mme D. a à nouveau demandé le bénéfice des allocations de chômage. Dans le cadre de l’instruction de cette demande, l’ONEm a sollicité la production de l’avertissement-extrait de rôle relatif aux revenus de l’année 2005, qui lui a été adressé le 23 avril 2012, par l’intermédiaire de son organisme de paiement. En juin 2012, l’ONEm a établi le montant définitif des allocations auxquelles Mme D. pouvait prétendre en 2005. Par décision du 26 mai 2005, l’ONEm l’a informée de la différence entre les allocations journalières provisoires perçues et celles auxquelles elle avait droit et de l’indu en résultant.

Mme D. a introduit à l’encontre de cette décision un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles. Ce recours a été dit recevable et fondé par un jugement du 10 janvier 2014, vu la prescription de l’entièreté de la récupération, dont le point de départ a pris cours à la fin de l’année des revenus, soit fin 2005.

Sur l’appel de l’ONEm, ce jugement a été confirmé par un arrêt de la 8e chambre du 18 novembre 2015 (R.G. 2014/AB/111, publié sur www.terrralaboris.be), attaqué devant la Cour de cassation.

L’arrêt attaqué

La cour du travail fixe le point de départ du délai de prescription au 8 juin 2007, soit le lendemain de la date de l’établissement de l’avertissement-extrait de rôle, moment où la créance de l’ONEm est née et où le recouvrement est devenu exigible. C’est donc à tort que le tribunal a fixé ce point de départ à la fin 2005.

Cet arrêt écarte l’effet interruptif du courrier simple du 22 juin 2009 et constate qu’aucun acte interruptif n’a été posé avant le 7 juin 2010, date où la récupération s’est prescrite.

En réponse aux arguments de l’ONEm, la cour du travail retient que :

  • sa créance ne dépendait pas d’une condition suspensive, l’établissement de l’avertissement-extrait de rôle n’étant pas un événement incertain. En effet, l’administration fiscale a l’obligation de l’établir dans un certain délai (cfr not. Article 359 CIR 92), ce que l’ONEm ne pouvait ignorer ;
  • c’est à tort que cet organisme soutient que le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle il a effectivement pris connaissance de l’existence de sa créance. Lorsque le législateur entend fixer ce point de départ à la connaissance effective par le créancier de l’existence de sa créance, il le précise explicitement, comme par exemple dans l’article 2262bis § 1er al. 2 C.C. Tel n’est pas le cas du texte applicable en l’espèce, soit l’article 7 § 13 de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944.

La requête en cassation

Les griefs proposés par le moyen unique de cassation portent sur ces 2 questions.

Les dispositions légales dont la violation est invoquée sont les articles 1168, 1181, 2219, 2251 et 2257 C.C., 7 § 13 al.2 et 3 de l’arrêté loi du 28 décembre 1944, 48 § 1er, 130 § 1er, 1° et § 2 al. 2 et 5, et 169 al.1er de l’A.R. du 25 novembre 1991 et 359 CIR 92.

Le moyen soutient que soit :

  • dans l’hypothèse d’une activité accessoire autorisée dont les revenus impliquent la révision des allocations provisoires, la créance d’indu de l’ONEm ne court pas avant la production par le chômeur de son avertissement-extrait de rôle, événement futur et incertain au sens des articles 1168 et 1181 C.C. ;
  • l’ONEm se trouve dans une exception établie par la loi au sens de l’article 2251 C.C., étant, en vertu des articles 48 § 1er et 130 de l’A.R. du 25 novembre 1991, empêché d’agir en répétition tant qu’il ne possède pas l’avertissement-extrait de rôle.

La requête précise que sont indifférentes les circonstances retenues par l’arrêt, étant que (1) le législateur n’a pas expressément prévu la suspension de la prescription dans le cas spécifique de l’exercice autorisé d’une activité accessoire et que (2) l’administration fiscale a l’obligation d’établir cet avertissement dans un certain délai.

L’arrêt commenté

La Cour rejette le moyen en écartant les deux aspects de la critique de l’ONEm :

  • Il ne résulte d’aucune des dispositions légales visées et, plus précisément, des articles 48 § 1er et 130 de l’A.R. du 25 novembre 1991, que la créance de cet organisme, dans l’hypothèse spécifique de l’exercice d’une activité autorisée, serait soumise à la condition suspensive de la production par le chômeur de l’avertissement-extrait de rôle déterminant son revenu annuel ;
  • aucune des dispositions indiquées comme violées par le moyen ne crée pour cet organisme l’impossibilité d’agir en récupération aussi longtemps que ce revenu n’est pas établi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est important sur le point de départ du délai de prescription de la récupération de l’indu tant dans le cadre de l’exercice d’une activité accessoire que sur le plan des principes qui régissent le point de départ de la prescription extinctive.

Contrairement à ce que soutenait l’ONEm, il n’est donc pas indifférent que l’administration fiscale ait l’obligation d’établir l’avertissement-extrait de rôle dans un délai déterminé. Ce motif de l’arrêt attaqué, non critiqué en tant que tel, suffit ainsi à écarter le caractère incertain de cet acte administratif. En outre, dès lors que l’ONEm doit savoir quand cet avertissement sera établi, rien ne l’empêche d’agir.

De manière plus générale, il en ressort que, comme l’avait relevé l’arrêt soumis à la censure de la Cour de cassation, la solution, contenue notamment dans l’article 2262bis § 1er al. 2 C.C., selon laquelle le point de départ de la prescription est la date à laquelle le créancier a effectivement pris connaissance de l’existence de sa créance, n’est pas une règle générale et que son application nécessite une disposition légale expresse.

On peut notamment se référer à un autre arrêt récent de la Cour de cassation rendu en matière civile le 3 octobre 2016 (C.15.0101.F). La cour casse un arrêt qui, s’agissant de la prescription d’une action en dommages et intérêts pour inexécution ou exécution fautive d’une obligation contractuelle régie par l’article 2262bis § 1er C.C., avait fixé le point de départ de la prescription à la date de la connaissance effective de son dommage par la partie lésée. La Cour précise que « ni la connaissance par la victime de son dommage ni même la manifestation extérieure de ce dommage, à la condition qu’il existe, ne sont nécessaires pour faire courir ce délai de prescription. »


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