Terralaboris asbl

Modification d’un élément essentiel du contrat de travail : conditions de l’acte équipollent à rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 avril 2017, R.G. 2015/AB/273

Mis en ligne le jeudi 12 octobre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 26 avril 2017, R.G. 2015/AB/273

Terra Laboris

Par arrêt du 26 avril 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions de l’acte équipollent à rupture, dans l’hypothèse où l’employeur a modifié unilatéralement un élément essentiel du contrat de travail, étant, en l’occurrence, la fonction : si la fonction convenue n’impose pas nécessairement une liste intangible de tâches et un modus operandi déterminé, sa nature et le niveau de responsabilité du travailleur doivent être maintenus.

Les faits

Un médecin spécialiste exerce les fonctions de chef de clinique adjoint au sein d’un service spécialisé dans un hôpital. Il devient chef de clinique à temps plein et, ultérieurement, chef de service à durée indéterminée.

Interviennent, quelques années plus tard, des discussions au sein du conseil de gestion de l’hôpital concernant l’organisation du service (accueil des clients, mode de fonctionnement, questions de coordination, etc.).

Le chef de service constate, par la suite, des restrictions progressives dans ses prérogatives, alors qu’il n’a d’ailleurs à cet égard pas été informé de manquements ou de fautes quelconques dans l’exercice de ses fonctions.

Le président du conseil de gestion l’informe, par la suite, du fait que ses prérogatives de chef de service lui sont retirées, ses compétences et sa « haute expertise » étant cependant soulignées. Les médecins de son service en sont informés.

Une discussion intervient, l’intéressé chargeant son conseil de marquer son désaccord suite à cette décision, qu’il considère comme une rétrogradation. Aucune solution n’intervenant, un acte équipollent à rupture est constaté.

La procédure devant le tribunal du travail

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en paiement d’une très importante indemnité compensatoire de préavis (de l’ordre de 450.000 euros), ainsi que de sommes annexes.

Par jugement du 10 décembre 2014, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles fait droit à la demande, la réduisant légèrement en ce qui concerne le montant de l’indemnité.

L’appel

L’institution interjette appel, considérant qu’il y eu une démission de l’intéressé, et ce avant l’expiration du terme fixé par son conseil dans un courrier. En ce qui concerne la modification de fonction, celle-ci est justifiée pour des raisons de fonctionnement, la fonction de chef de service n’étant pas un élément essentiel du contrat et l’intéressé n’ayant pas contesté en temps utile le retrait de ses prérogatives. Aucun préjudice n’en découle.

Pour l’intimé, il y a effectivement une modification importante d’un élément essentiel du contrat, et ce quels qu’en soient les motifs. Il conteste par ailleurs avoir accepté celle-ci et avoir anticipé la rupture.

La décision de la cour

Après le rappel de l’article 1134 du Code civil ainsi que des articles 20, 1°, et 25 de la loi du 3 juillet 1978, la cour reprend la règle selon laquelle l’employeur ne peut, sans manquer à ses obligations contractuelles, modifier ou révoquer unilatéralement les conditions convenues. Pour la Cour de cassation, il est indifférent à cet égard que la modification soit peu importante ou porte sur un élément accessoire du contrat (voir notamment Cass., 13 octobre 1997, R.G. C.95.0145.F). Par ailleurs, une modification unilatérale même importante d’un élément accessoire du contrat est une faute contractuelle, même si elle n’est pas un acte équipollent à rupture. Il en va de même d’une modification peu importante d’un élément essentiel du contrat de travail.

Dès lors cependant que la modification est importante et unilatérale et qu’elle touche un élément essentiel du contrat, cette attitude peut être considérée comme un congé. Le travailleur peut soit invoquer immédiatement la rupture irrégulière, soit poursuivre temporairement dans les nouvelles conditions et, dans un délai raisonnable, mettre l’employeur en demeure de rapporter cette modification dans un délai fixé, à défaut de quoi, il considérera le contrat de travail comme rompu (Cass., 7 mai 2007, R.G. S.06.0067.N).

La nature de la fonction est en principe un élément essentiel du contrat de travail, à moins que le contraire puisse être déduit de la convention ou de l’exécution donnée par les parties à celui-ci (Cass., 16 septembre 2013, R.G. S.10.0084.F).

Celle-ci n’impose cependant pas nécessairement une liste intangible de tâches et un modus operandi figé. Dans le respect de la fonction du travailleur, les tâches à effectuer ainsi que les modalités d’exécution peuvent être décidées par l’employeur, mais la nature de la fonction et le niveau de responsabilité doivent être maintenus (la cour renvoyant notamment à Cass., 11 octobre 2010, R.G. S.09.0117.F).

Après ce rappel des principes, la cour examine les fonctions exercées par l’intéressé, constatant qu’elles comportaient d’importantes responsabilités, tant sur le plan de la responsabilité du fonctionnement du service qu’au niveau déontologique et également vis-à-vis du personnel et sur le plan de la qualité des soins.

La fonction constitue dès lors un élément essentiel convenu.

Réexaminant l’ensemble des éléments du dossier, la cour constate qu’il y a une modification unilatérale et importante, dans la mesure où le conseil de gestion a décidé de retirer à l’intéressé ses prérogatives avec effet immédiat, chose communiquée à l’ensemble des médecins du service. L’acte équipollent à rupture est dès lors constaté et la cour retient que l’intéressé était autorisé à en prendre acte à la date où il l’a fait.

Quant au contenu de la modification, il consiste dans le fait du retrait des responsabilités de gestion et de direction du service (service important au sein de l’hôpital). La circonstance que l’intéressé pouvait continuer à porter le titre de chef de service sans toutefois en assumer les responsabilités, ainsi que le fait que sa rémunération lui était maintenue, ne sont pas de nature à modifier la conclusion de la cour, l’intéressé devant, dans la nouvelle organisation, être soumis à l’autorité d’un autre médecin qui était précédemment placé sous la sienne et devant supporter « le poids du regard de tout le service ».

La cour constate par ailleurs que le retrait des fonctions a été progressif et qu’il a visé certaines prérogatives, situation contre laquelle l’intéressé a protesté tout en poursuivant temporairement son travail et que, en fin de compte, dans ce contexte dégradé, il a mis l’employeur en demeure de le réintégrer dans un délai raisonnable.

Au vu du déroulement des faits, l’institution est dès lors l’auteur de la rupture.

Sur le préavis, celui-ci est de 27 mois et la rémunération n’est pas contestée. La cour alloue dès lors un montant de l’ordre de 425.000 euros.

Elle doit également trancher une demande relative à une indemnité de prépension. Cette question pose en premier lieu un problème de prescription, celle-ci étant annale. La cour relève cependant que la prise de cours de ce délai ne correspond pas nécessairement à la fin du contrat de travail, certaines actions – toutes en trouvant leur cause dans ce contrat – ne pouvant naître qu’après la fin des relations de travail. C’est l’hypothèse où le fait générateur est postérieur au contrat. Il y a ici renvoi à des diverses décisions de la Cour de cassation, et la cour considère que la demande n’est pas prescrite, même si le contrat a pris fin le 29 février 2012 et que ce chef de demande a été introduit par voie des conclusions déposées en mars 2013.

La cour fait dès lors droit à ce chef de demande également, qui ne fait pas l’objet de contestation sur le fond.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est particulièrement documenté sur le volet de la modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat en tant qu’hypothèse d’acte équipollent à rupture. Il rappelle à très juste titre que, dans la jurisprudence (dans laquelle le rôle de la Cour de cassation a été déterminant), il peut y avoir modification unilatérale même importante d’un élément accessoire du contrat de travail ou modification peu importante d’un élément essentiel de celui-ci : ces hypothèses sont constitutives de faute contractuelle mais n’entraînent pas la rupture du contrat. Par contre, une modification importante et unilatérale d’un élément essentiel du contrat peut être considérée comme un congé.

La cour du travail rappelle encore les exigences de la Cour de cassation dès lors que le travailleur entend considérer qu’il y a rupture : après la modification, il peut soit invoquer immédiatement celle-ci, soit poursuivre temporairement et mettre son employeur en demeure, dans un délai raisonnable, de rapporter la modification dans un délai fixé, à défaut de quoi il considérera alors qu’il y a
congé implicite.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be