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Octroi du statut de réfugié et conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 29 août 2017, R.G. 2016/AN/246

Mis en ligne le lundi 15 janvier 2018


Cour du travail de Liège (division Namur), 29 août 2017, R.G. 2016/AN/246

Terra Laboris

Par arrêt du 29 août 2017, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend les règles relatives à la rétroactivité de l’octroi du revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale : le premier ne peut être accordé qu’à partir de la date de la demande, au contraire de la seconde, qui peut être octroyée avec effet rétroactif dès lors qu’une situation passée a de tels effets au moment de la demande qu’elle empêche l’intéressé de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Les faits

Une mère de deux enfants mineurs, de nationalité albanaise, a formé plusieurs demandes d’asile. Dans le cadre de la troisième demande introduite, elle a reçu un lieu obligatoire d’inscription (code 207 « no show »). Ayant demandé une aide sociale au C.P.A.S. de Namur, elle se l’est vu refuser au motif de cette désignation. Ensuite de cette situation, elle a demandé la suppression du lieu obligatoire d’inscription. Elle s’est, finalement, vu reconnaître le statut de réfugiée le 7 mars 2016, date à laquelle le lieu obligatoire d’inscription a été supprimé avec effet rétroactif au 18 janvier. La décision de FEDASIL était justifiée par des motifs médicaux.

Ayant de nouveau demandé le bénéfice de l’aide du C.P.A.S. de Namur, elle a reçu le revenu d’intégration au taux famille à charge, et ce à dater du jour où le statut de réfugiée lui a été reconnu.

Elle a demandé, un peu plus tard, que l’aide soit accordée avec effet rétroactif, étant le 18 janvier 2016, date d’effet de la suppression du lieu obligatoire d’inscription.

Le C.P.A.S. de Namur a, par décision du 15 juin 2016, refusé ce point de la demande au motif du caractère illégal du séjour à ce moment.

Position des parties devant la cour

La demanderesse est appelante, suite au rejet du tribunal du travail de sa demande. Elle plaide que l’on ne peut lui reprocher de solliciter l’aide tardivement et avec effet rétroactif, dans la mesure où la désignation du lieu obligatoire d’inscription a été supprimée rétroactivement. Le C.P.A.S. aurait par ailleurs, selon elle, dû examiner d’office l’ouverture du droit pour le passé ou l’informer de la possibilité d’introduire une demande.

Elle fait également valoir l’état de besoin (logement insalubre, impossibilité de faire face aux frais médicaux), de telle sorte que l’aide était le minimum vital pour assurer sa dignité pendant la période concernée.

Quant au C.P.A.S., il souligne d’abord que l’octroi du revenu d’intégration est intervenu à partir du mois de mars, qu’il n’y a pas eu de recours contre cette décision et que, par ailleurs, auparavant, l’appelante n’était pas réfugiée reconnue et ne bénéficiait donc pas de la loi du 26 mai 2002.

En ce qui concerne l’aide sociale financière, il considère qu’elle ne démontre pas qu’une telle aide était nécessaire pour vivre conformément à la dignité humaine au moment où elle a été demandée.

La décision de la cour

La cour examine successivement les conditions d’octroi du droit au revenu d’intégration (étant les conditions de l’article 3 de la loi du 26 mai 2002), ainsi que la définition du réfugié au sens de la loi du 15 décembre 1980, en son article 49, § 1er, alinéa 1er. Est visé, comme bénéficiaire potentiel du droit au revenu à l’intégration sociale, celui qui est reconnu comme tel par les autorités compétentes, et ce à partir de la reconnaissance. Ce n’est dès lors qu’à partir de cette date et nonobstant le caractère déclaratif de l’état de réfugié que celui-ci peut bénéficier du revenu d’intégration sociale. Il n’y aura pas de rétroactivité possible. Il y a ici d’ailleurs égalité de traitement avec les nationaux en matière de protection sociale au sens de l’article 28 de la Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, de même qu’aux bénéficiaires d’une protection internationale.

Pour ce qui est de l’aide sociale, la cour rappelle que le droit à celle-ci est un droit subjectif et que le contrôle des juridictions du travail est un contrôle de pleine juridiction, son octroi devant intervenir à l’aune d’un seul critère, qui est le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Aucune autre condition ne peut être mise à celle-ci, ainsi notamment les impératifs budgétaires des C.P.A.S. ou les modalités de remboursement de l’aide sociale. Il suppose, cependant, qu’une demande ait été faite auprès du C.P.A.S. compétent.

Renvoyant à divers arrêts de la Cour de cassation, ainsi qu’à des commentaires doctrinaux, la cour du travail souligne que, même lorsqu’elle est de nature financière et récurrente ou qu’elle est équivalente à une autre prestation sociale, l’aide sociale ne doit pas uniquement concerner une période postérieure à la demande adressée au C.P.A.S., comme c’est le cas en matière de revenu d’intégration. La question à régler par le C.P.A.S. est de savoir si l’aide sociale sollicitée est la plus appropriée et si elle est nécessaire au moment de la demande pour mener une vie conforme à la dignité humaine. C’est ce que va également vérifier le tribunal. Ainsi, des dettes peuvent empêcher de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Ceci suppose cependant que le C.P.A.S. soit en mesure d’instruire l’état de besoin et d’apprécier l’aide la plus appropriée pour y répondre. Si rien en principe ne fait obstacle, dès lors, à ce que l’intéressée sollicite la condamnation du C.P.A.S. à lui allouer une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale ainsi qu’aux prestations familiales pour une demande antérieure à sa demande d’asile, elle doit cependant démontrer que l’aide qu’elle sollicite est nécessaire, au moment où la demande a été introduite, pour mener une vie conforme à la dignité humaine. La cour va ici constater la situation de l’intéressée à la date des faits, étant qu’elle était déjà aidée par le C.P.A.S. via une garantie locative et une prime d’installation et qu’elle ne présentait pas d’endettement particulier.

Si elle conclut dès lors que la demande est non fondée pour ces motifs, elle précise que l’intéressée pourrait toujours – si elle devait connaître soit des besoins ponctuels nouveaux, soit un nouvel endettement afférent ou non à la période litigieuse et dont la prise en charge par le C.P.A.S. serait nécessaire pour vivre conformément à la dignité humaine – faire une demande d’aide sociale en ce sens.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle de manière claire la question de la rétroactivité de l’octroi du revenu d’intégration sociale ainsi que de l’aide sociale, précisant la situation du réfugié (pendant la procédure et à partir de la reconnaissance de son statut).

Tout en rappelant que cette reconnaissance a un statut déclaratif, elle ne permet cependant pas de bénéficier du revenu d’intégration pour la période antérieure. Par contre, l’aide sociale – dont la cour rappelle le but et les critères d’octroi – peut même à tout moment être accordée avec effet rétroactif si elle empêche, au moment où la demande est faite, de mener une vie conforme à la dignité humaine. La cour souligne ici que cette aide rétroactive pourrait être sollicitée, que l’intéressée connaisse soit des besoins ponctuels nouveaux, soit un nouvel endettement afférent ou non à la période en cause. Il devrait pouvoir être pris en charge aux conditions à déterminer par le C.P.A.S. s’il était nécessaire pour vivre conformément à la dignité humaine.


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