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Une activité d’accueil de personnes peut-elle faire l’objet d’un transfert d’entreprise ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 septembre 2017, R.G. 2015/AB/412

Mis en ligne le jeudi 25 janvier 2018


Cour du travail de Bruxelles, 6 septembre 2017, R.G. 2015/AB/412

Terra Laboris

Par arrêt du 6 septembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles examine la notion d’activité économique au sens de la Directive n° 2001/23 sur les transferts d’entreprise, ainsi que eu égard aux termes de la convention collective n° 32bis. La cour du travail renvoie à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne sur la question.

Les faits

Une A.S.B.L. ayant essentiellement pour objet l’activité d’accueil de demandeurs d’asile est en difficulté dans le courant des années 2010 et 2011.

Suite à un accord intervenu avec FEDASIL, la Croix-Rouge va reprendre en charge le bail et effectuer des travaux. L’accueil est repris quelques mois plus tard.

L’A.S.B.L. étant mise en liquidation, un employé introduit une procédure à la fois contre elle et contre la Croix-Rouge, n’ayant pas perçu ses indemnités dues lors de la fin des relations de travail (fin décembre 2010). Il considère que l’activité d’accueil des demandeurs d’asile a fait l’objet d’un transfert d’entreprise vers la Croix-Rouge.

La décision de la cour

La cour constate que la demande formée par l’intéressé (qui a été débouté par le tribunal du travail) porte essentiellement sur l’existence du transfert. La Croix-Rouge estime quant à elle qu’il n’y a pas transfert, d’une part au motif que l’accueil de demandeurs d’asile n’est pas une activité économique susceptible de faire l’objet d’un tel transfert et, d’autre part, vu qu’il n’y a pas eu de transfert conventionnel. Surabondamment, elle fait valoir qu’à la date du transfert, le contrat de travail n’existait plus.

La cour examine, en conséquence, les conditions posées par la Directive n° 2001/23 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprise ou d’établissement, ainsi que les dispositions de la convention collective n° 32bis.

La cour rejette la position de la Croix-Rouge, considérant qu’il y a en l’espèce une activité économique et non une activité relevant des prérogatives de la puissance publique.

Dans la mesure où il s’agit de fournir l’hébergement, les repas, l’habillement, etc., aux demandeurs d’asile, l’accueil ne diffère pas, selon elle, fondamentalement d’autres activités sociales qui ont déjà été soumises à la Cour de Justice dans diverses affaires (activité d’aide à des toxicomanes, à des personnes défavorisées, etc.). Elle renvoie également, pour le transfert d’un centre de santé mentale, à une décision de la Cour du travail de Liège du 7 mai 1992 (C. trav. liège, 7 mai 1992, J.T.T., 1993, p. 374).

Se pose cependant la question de savoir s’il y a eu un transfert dans les faits, étant de déterminer s’il y avait encore une entité existante reprise ou si le centre d’accueil, au moment où il a été repris par la Croix-Rouge, avait perdu son identité.

La cour rappelle, toujours à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice, que l’activité d’entreprise doit être poursuivie après la reprise, doit être individualisable et doit conserver son identité.

La notion de maintien de l’identité doit s’apprécier notamment au regard du lien entre les éléments transférés, étant qu’il faut vérifier notamment le maintien du lien de la structure organisationnelle, compris comme le lien fonctionnel entre les différents facteurs de production transférés. La cour reprend un long extrait de l’arrêt KLARENBERG (C.J.U.E., 12 février 2009, KLARENBERG c/ FERROTRON TECHNOLOGIES GmbH, Aff. n° C-466/07) et, notamment, le considérant 48 dans lequel la Cour de Justice a posé l’exigence que le maintien du lien fonctionnel entre les divers facteurs transférés doit permettre au cessionnaire d’utiliser ces derniers même s’ils sont intégrés, après le transfert, dans une nouvelle structure organisationnelle différente afin de poursuivre une activité économique identique ou analogue.

En l’espèce, la cour constate que l’activité a pris fin, et ce dans des conditions apparemment difficiles. La Croix-Rouge a ainsi été amenée à intervenir, en vue de conclure un nouveau bail, de mettre les lieux en conformité avec les exigences en matière de sécurité, etc.

L’accueil n’a repris que plusieurs mois plus tard et, même s’il est constaté que l’activité est similaire, aucun élément n’a été transféré de manière directe de l’A.S.B.L. à la Croix-Rouge. Si certains éléments ont été repris, c’est de manière fortuite ou, à tout le moins, disparate (quelques éléments de mobilier laissés sur place, engagement d’un membre du personnel qui avait été occupé précédemment par l’A.S.B.L. pour travailler dans un autre centre d’accueil, conclusion d’un nouveau bail à l’issue de la fin du bail précédent). Pour la cour, l’interruption d’activité pendant 5 mois n’est pas suspecte, vu les difficultés de l’A.S.B.L. à ce moment.

La conclusion est dès lors qu’il n’y a pas eu de transfert d’entreprise. L’A.S.B.L. en liquidation est condamnée au paiement des sommes réclamées, celles-ci étant chiffrées à titre provisionnel. La Croix-Rouge est mise hors cause.

Intérêt de la décision

Cet arrêt examine assez en profondeur la notion d’activité économique au sens de la Directive n° 2001/23. C’est à partir d’une définition assez sommaire du transfert dans celle-ci que la Cour de Justice a été amenée, dans une abondante jurisprudence, à préciser les contours de la notion.

La cour du travail insiste ici d’une part sur l’arrêt KLARENBERG (C.J.U.E., 12 février 2009, KLARENBERG c/ FERROTRON TECHNOLOGIES GmbH, Aff. n° C-466/07), ainsi que sur l’arrêt SCHMIDT (C.J.U.E., 14 avril 1994, Aff. n° C-392/92, SCHMIDT c/ SPAR- UND LEIHKASSE DER FRÜHEREN ÄMTER BORDESHOLM, KIEL UND CRONSHAGEN) cité dans l’arrêt KLARENBERG. C’est l’existence du lien fonctionnel qu’il faut vérifier, permettant au cessionnaire d’utiliser les éléments transférés, et ce même si la structure organisationnelle de ce dernier est différente, mais que le transfert permet de poursuivre une activité identique ou analogue.

La nature particulière de l’activité concernée est également importante, s’agissant en l’espèce d’une activité d’accueil de personnes. La cour du travail a renvoyé à l’arrêt REDMOND STICHTING (C.J.U.E., 19 mai 1992, Aff. n° C-29/91, REDMOND STICHTING c/ BARTOL et autres) pour une activité d’aide aux toxicomanes, ainsi qu’à l’arrêt SÁNCHEZ HIDALGO du 10 décembre 1998 (C.J.U.E., 10 décembre 1998, Aff. n° C-173/96, SÁNCHEZ HIDALGO c/ ASOCIACIÓN DE SERVICIOS ASER ET SOCIEDAD COOPERATIVA MINERVA) pour une activité d’aide à des personnes défavorisées.


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