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Conformité à l’article 20 T.F.U.E. d’une décision de refus de séjour d’un parent ressortissant d’un Etat tiers ayant un enfant citoyen de l’Union ?

Commentaire de C.J.U.E., 10 mai 2017, Aff. n° C-133/15 (CHAVEZ-VILCHEZ et alii c/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK et alii)

Mis en ligne le lundi 26 février 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 10 mai 2017, Aff. n° C-133/15 (CHAVEZ-VILCHEZ et alii c/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK et alii)

Terra Laboris

Dans un important arrêt du 10 mai 2017, la Cour de Justice donne l’interprétation de sa jurisprudence quant à l’application des dispositions de la Directive n° 2004/38 au regard de l’article 20 T.F.U.E., énonçant les critères à prendre en compte en cas de refus de séjour d’un parent ressortissant d’un Etat tiers dont l’enfant a la citoyenneté européenne.

Les faits

L’affaire concerne plusieurs parties demanderesses, dans une situation comparable. Il s’agit, essentiellement, de personnes ayant introduit des demandes d’aide sociale et d’allocations familiales, demandes rejetées au motif qu’en l’absence de titre de séjour régulier, elles n’avaient, en vertu de la législation hollandaise, aucun droit à les percevoir.

Les requérantes n’étaient en effet titulaires d’aucun permis de séjour au Pays-Bas, certaines d’entre elles étant cependant en séjour régulier (dans l’attente d’une décision sur la demande de permis de séjour), d’autres non (n’ayant cependant pas fait l’objet de mesures de reconduite à la frontière). Les intéressées n’étaient, par ailleurs, pas autorisées à travailler.

Les demandes ayant été rejetées par les juridictions de première instance, appel fut interjeté devant le Centraal Raad van Beroep (étant la cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique). C’est cette juridiction qui pose la question préjudicielle à la Cour de Justice.

L’objet du litige

Il s’agit de savoir si les parties requérantes (qui ont toutes la nationalité d’un pays tiers) peuvent, en tant que mères d’un enfant citoyen de l’Union, tirer un droit de séjour de l’article 20 T.F.U.E. dans les circonstances propres à chacune. Si tel est le cas, elles pourraient bénéficier des dispositions de la législation en cause (aide sociale et allocations familiales), qui permet de considérer comme des ressortissants néerlandais les étrangers séjournant de manière régulière au Pays-Bas. Ceci rendrait superflue la décision de l’administration en matière d’octroi de permis de séjour ou d’autres documents attestant de la régularité de celui-ci.

La cour d’appel renvoie à la jurisprudence de la Cour de Justice, en ses arrêts RUIZ ZAMBRANO (C.J.U.E., 8 mars 2011, Aff. n° C-34/09, RUIZ ZAMBRANO c/ ONEm) et DERECI (C.J.U.E., 15 novembre 2011, Aff. n° C-256/11, DERECI et alii c/ BUNDESMINISTERIUM FÜR INNERES). Selon cette jurisprudence, les requérantes tireraient de l’article 20 T.F.U.E. un droit de séjour dans l’Etat membre découlant du droit de leurs enfants, citoyens de l’Union (dans les conditions décrites dans les arrêts en cause). Ceux-ci devraient, en effet, être amenés à quitter le territoire de l’Union si le parent se voyait refuser un droit de séjour.

En l’occurrence, la question posée ici est plus spécifique, étant que le père, citoyen de l’Union, séjourne aux Pays-Bas (ou sur le territoire de l’Union). La Cour d’appel relève que, dans la pratique, la jurisprudence de la Cour de Justice est interprétée de manière restrictive, son enseignement n’étant applicable que dans des situations où le père n’est pas, selon des critères objectifs, en mesure de s’occuper de l’enfant (détention, placement en hôpital, décès). Dans les autres hypothèses, c’est le parent ressortissant du pays tiers qui devrait prouver que le père n’est pas capable de s’occuper de l’enfant.

Le juge national interroge donc la Cour de Justice sur l’interprétation à donner à l’article 20 T.F.U.E. : celui-ci s’oppose-t-il à ce qu’un Etat membre refuse le droit de séjourner sur son territoire à un ressortissant d’un pays tiers qui s’occupe quotidiennement et effectivement d’un enfant mineur qui a la citoyenneté de cet Etat membre ?

Est également demandé à la Cour de Justice s’il est important, pour répondre à cette question, que la charge légale, financière et/ou affective ne soit pas entièrement supportée par ce parent et, ensuite, qu’il ne soit pas exclu que l’autre parent, lui aussi ressortissant de l’Etat membre en question, puisse être en mesure de s’occuper concrètement de l’enfant.

La décision de la Cour

La Cour reprend les situations individuelles, relevant prioritairement que, si elles présentent certaines analogies, il y a des spécificités dans chaque cas d’espèce dont il faut tenir compte.

Elle reprend celles-ci.

Elle rappelle sa jurisprudence sur les principes, étant que, pour ce qui est de l’existence d’un droit de séjour dérivé, fondé sur l’article 21, § 1er, T.F.U.E., et la Directive n° 2004/38, tirent de cette directive des droits d’entrée et de séjour dans un Etat membre non pas tous les ressortissants d’un pays tiers mais uniquement ceux qui sont membres de la famille, au sens de l’article 2.2 de la même directive, d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité.

La directive a uniquement pour vocation à régir les conditions d’entrée et de séjour d’un citoyen de l’Union dans les Etats membres autres que celui dont il a la nationalité. Elle ne permet pas de fonder un droit de séjour dérivé en faveur des ressortissants d’un pays tiers membres de la famille d’un citoyen de l’Union dans l’Etat membre dont ce citoyen possède la nationalité.

Cependant, lors du retour d’un citoyen de l’Union dans l’Etat dont il possède la nationalité, les conditions d’octroi d’un droit de séjour dérivé ne devraient pas être en principe plus strictes que celles prévues par la directive pour l’octroi d’un tel droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui a exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité.

La Directive n° 2004/38 ne couvre en effet pas un tel cas de retour, mais elle doit être appliquée par analogie pour ce qui est des conditions de séjour : dans les deux cas, c’est le citoyen de l’Union qui constitue la personne de référence pour que le ressortissant d’un pays tiers membre de sa famille puisse se voir accorder un droit de séjour dérivé. Il appartient dès lors, pour la Cour de Justice, à la juridiction de renvoi d’apprécier si les conditions énoncées ci-dessus, notamment les règles en matière d’entrée et de séjour, étaient remplies pour les périodes pour lesquelles les demandes d’allocations ont été rejetées. Si tel n’est pas le cas, il convient ensuite d’examiner la situation de l’enfant, citoyen de l’Union, et de son ascendant, ressortissant d’un pays tiers, à la lumière de l’article 20 T.F.U.E.

En l’espèce, la jurisprudence constante de la Cour a confirmé le droit pour les enfants dans la situation visée, en tant que ressortissants d’un Etat membre, de se prévaloir, en ce compris à l’égard de l’Etat dont ils ont la nationalité, des droits afférents à leur statut de citoyens européens (article 20 T.F.U.E.).

Le traité ne confère cependant aucun droit autonome aux ressortissants d’un pays tiers. Les droits à conférer à ceux-ci sont non pas des droits propres, mais des droits dérivés de ceux dont jouit le citoyen de l’Union. La finalité et la justification de ces droits dérivés se fonde sur la constatation que le refus de leur reconnaissance est de nature à porter atteinte notamment à la libre circulation du citoyen de l’Union.

La juridiction de renvoi devra dès lors vérifier si le refus de séjour opposé aux ressortissantes de pays tiers conduisait celles-ci à devoir quitter le territoire de l’Union, situation dont il pourrait résulter une restriction des droits que confère à leurs enfants le statut de citoyens européens, en particulier du droit de séjour, puisqu’ils se verraient contraints d’accompagner leur mère et de quitter le territoire. L’obligation pour la mère de quitter l’Etat membre priverait ainsi son enfant de la jouissance effective de l’essentiel des droits issus du statut de citoyen de l’Union.

La Cour examine, dès lors, les arguments du Gouvernement néerlandais dans chacun des dossiers. Elle conclut que, si le parent ressortissant du pays tiers devait, dans les circonstances évoquées ci-dessus, se voir refuser le droit de séjour, le fait que l’autre parent, citoyen de l’Union, est réellement capable de – et prêt à – assumer seul la charge quotidienne et effective de l’enfant est un élément pertinent mais non suffisant pour pouvoir constater l’absence d’une relation de dépendance telle (entre mère et enfant en l’espèce) que ce dernier serait soumis à une pareille contrainte dans le cas d’un refus.

Une telle appréciation doit être fondée sur la prise en compte d’autres critères, étant, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, de l’ensemble des circonstances de l’espèce, son âge, son développement physique et émotionnel, ainsi que le degré de sa relation affective tant avec le parent citoyen de l’Union qu’avec l’autre. La Cour mentionne encore le risque que la séparation d’avec ce parent engendrerait pour l’équilibre de l’enfant.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est le prolongement de plusieurs décisions récentes, qui constituent autant de jalons sur la question.

Ont été citées les affaires RUIZ ZAMBRANO, DERECI, McCARTHY et RENDÓN MARÍN.

L’intérêt de l’arrêt commenté réside tout particulièrement dans le fait de la présence sur le territoire de l’Etat membre de l’autre parent, qui, contrairement à la situation du parent concerné, n’encourt aucun risque d’expulsion et est en ordre en matière de séjour.

La Cour de Justice balise les éléments permettant de retenir qu’un frein existerait au droit de la libre circulation de l’enfant, citoyen de l’Union européenne, en cas de refus d’autorisation de séjour du parent ressortissant d’un Etat tiers, tous critères essentiels dans l’appréciation de la décision à prendre sur le plan national.

La Cour de Justice rejette, ainsi, l’interprétation restrictive qui a été donnée aux arrêts précédents.


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