Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 août 2017, R.G. 2016/AB/755
Mis en ligne le jeudi 15 mars 2018
Cour du travail de Bruxelles, 16 août 2017, R.G. 2016/AB/755
Terra Laboris
Par arrêt du 16 août 2017, la Cour du travail de Bruxelles se prononce sur le caractère rémunératoire ou non d’une indemnité prévue par accord d’entreprise en cas de non-respect par l’employeur d’un engagement de garantie de maintien de l’emploi, et ce dans l’hypothèse où les intéressés ont pris une prépension prévue par cet accord (entreprise en restructuration).
Les faits
Un licenciement collectif intervient dans une grande entreprise en 2005 et, dans le cadre de la réorganisation y liée, une convention collective d’entreprise est conclue. Celle-ci prévoit une garantie d’emploi pour les travailleurs maintenus sous contrat et une indemnisation allant de trois à quatre mois en cas de licenciement.
Deux ans plus tard, une nouvelle réorganisation intervient, pour le siège belge et un siège hollandais. Celle-ci s’accompagne également de licenciements en nombre et deux conventions collectives sont alors conclues. L’une d’entre elles prévoit l’octroi d’une prépension conventionnelle à partir de 52 ans, mesure s’accompagnant de l’octroi de l’indemnité visée dans la convention d’entreprise précédente. Celle-ci est payée à 22 employés, qui prennent leur prépension conformément aux conditions fixées dans l’accord d’entreprise. Le texte de ce dernier prévoit, cependant, que la garantie ne vaut pas en cas de prépension C.C.T. n° 17 ou de départ anticipé selon un plan interne spécifique (‘Early retirement’).
Suite à une enquête, l’O.N.S.S. décide que des cotisations de sécurité sociale doivent être calculées sur lesdites indemnités pour l’ensemble des travailleurs qui ont pris leur prépension, ainsi pour que pour un autre, engagé après la première convention d’entreprise.
Un litige intervient, les indemnités étant qualifiées par l’employeur de dommages et intérêts vu le non-respect de la stabilité d’emploi. La société paye les cotisations sociales (de l’ordre de 138.000 euros) et introduit une procédure en remboursement.
Le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles déboute la société de sa demande.
Elle interjette appel.
La décision de la cour
La cour examine les clauses litigieuses figurant dans les conventions collectives.
Parmi l’ensemble des travailleurs licenciés, 20 d’entre eux l’ont été sans application de la possibilité de prépension et, pour ceux-ci, l’O.N.S.S. admet qu’il s’agit d’une indemnité payée vu le non-respect de la garantie d’emploi (première convention collective). Pour les autres, qui ont selon lui bénéficié des dispositions de la C.C.T. n° 17, l’O.N.S.S. souligne que l’article 11 de l’accord d’entreprise avait expressément prévu que la garantie d’emploi n’était pas d’application.
Pour la société, cependant, il ne s’agit pas de prépension conformément à la C.C.T. n° 17, mais de prépension à partir de 52 ans, sur la base d’un accord d’entreprise, telle que visée à l’article 9 de l’arrêté royal du 7 décembre 1992 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle (entreprise en restructuration), et que les travailleurs concernés pouvaient dès lors bénéficier de l’indemnisation en cause vu le non-respect de la garantie de stabilité d’emploi. En ce qui concerne le travailleur engagé après la conclusion de la première convention collective, la société admet la position de l’O.N.S.S. et accepte qu’il y a lieu à régulariser.
Pour la cour, dans la problématique générale soulevée, il y a lieu de renvoyer à la loi sur la protection de la rémunération pour ce qui est de la définition de celle-ci. Il s’agit du salaire en espèces ainsi que des avantages évaluables en argent auxquels le travailleur peut prétendre à charge de son employeur en raison de la relation de travail.
La Cour de cassation a par ailleurs jugé dans un arrêt du 6 février 2006 (Cass., 6 février 2006, S. 05.0063.N° que l’indemnité de congé et l’indemnité de stabilité d’emploi sont des avantages octroyés au travailleur à charge de l’employeur en raison de la résiliation du contrat qui, conformément à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, font partie de la rémunération au sens de cette loi.
Le Roi a, cependant, en exécution de l’article 14, § 2, de la loi O.N.S.S., exclu de la notion de rémunération (article 19, § 2, 1° et 2°, de l’arrêté royal d’exécution) les indemnités versées aux travailleurs lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations légales, contractuelles ou statutaires (sauf quatre hypothèses, dont la rupture irrégulière du contrat de travail par l’employeur, s’agissant de la rupture intervenue avec obligation de payer une indemnité compensatoire, en application des articles 39, § 1er, ou 40, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978).
En l’espèce, s’agissant d’une indemnité forfaitaire fixée dans un accord d’entreprise, due par l’employeur en cas de non-respect de son obligation de garantie d’emploi, il s’agit d’indemnités visées à l’article 19, § 2, 2°, ci-dessus, étant une indemnité due au travailleur lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations contractuelles. La cour note également que, dans les instructions O.N.S.S. 2017/2 (à la différence des versions précédentes), ces indemnités ne figurent plus, le texte antérieur considérant qu’étaient passibles de cotisations les indemnités octroyées suite au non-respect des procédures figurant dans une convention de stabilité d’emploi, convention individuelle ou visant un groupe d’entreprises ou un secteur entier.
La question est en réalité de savoir si les travailleurs qui ont demandé à bénéficier de la prépension pouvaient prétendre à la garantie d’emploi et aux indemnités correspondantes en cas de manquement de l’employeur.
La cour constate que les travailleurs concernés ont opté pour la prépension conventionnelle au sens de la convention d’entreprise, avec réduction du préavis, et qu’il n’y a dès lors pas application de la C.C.T. n° 17. Cette forme de prépension n’a pas fait l’objet d’une exclusion dans l’accord d’entreprise pour ce qui est de la garantie d’emploi.
La cour rejoint la position de l’employeur selon laquelle seuls les travailleurs licenciés dans le cadre de la prépension C.C.T. n° 17 (et dans le cadre d’un autre dispositif interne à l’entreprise, étant le « early retirement ») étaient exclus, conventionnellement, de la garantie de stabilité d’emploi prévue en 2005. Les travailleurs en cause n’ayant pas été licenciés dans le cadre de l’un de ces deux dispositifs, mais ayant figuré parmi les travailleurs faisant l’objet d’un licenciement collectif sur la base des articles 9 et suivants de l’arrêté royal du 7 décembre 1992, ils pouvaient prétendre à l’indemnisation prévue en cas de manquement à la garantie d’emploi figurant dans la première convention collective conclue.
Les cotisations de sécurité sociale n’étaient dès lors pas dues sur lesdites indemnités.
Intérêt de la décision
Cet arrêt rappelle que les indemnités de stabilité d’emploi sont des avantages octroyés au travailleur à charge de l’employeur en raison de la résiliation du contrat qui, conformément à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, font partie de la rémunération au sens de cette loi. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 6 février 2006 (n° S.05.0063.N).
L’espèce tranchée par la Cour du travail de Bruxelles fait la distinction entre celles-ci et des indemnités tendant à indemniser les effets d’un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles ou conventionnelles, s’agissant ici d’une garantie d’emploi prévue dans un accord d’entreprise. La circonstance qu’intervint, malgré cet engagement, une nouvelle réorganisation entraînant un licenciement collectif, donne lieu à l’application de la clause, que ce soit pour les travailleurs licenciés en dehors de toute prépension (pour lesquels il n’y avait pas de contestation dans le chef de l’O.N.S.S.) ou pour ceux qui ont pu en bénéficier dans le cadre de l’arrêté royal du 7 décembre 1992, dont l’article 9 – applicable en l’espèce – vise les entreprises en difficulté ou en restructuration.