Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2017, R.G. 2016/AB/855
Mis en ligne le lundi 3 septembre 2018
Cour du travail de Bruxelles, 21 décembre 2017, R.G. 2016/AB/855
Terra Laboris
Par arrêt du 21 décembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles considère que la notion de prestation visée à l’article 116, § 5, alinéa 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne constitue pas un critère pertinent qui pourrait être détaché de celui de la journée de travail. C’est ce dernier qui est le seul critère objectif de mesurage du temps de travail pour le secteur chômage.
Les faits
Un réalisateur audio-visuel exerce son activité de façon intermittente, étant occupé dans le cadre de contrats de très courte durée.
Il a bénéficié, lors de sa demande d’allocations de chômage, de la non-dégressivité (article 116, § 5, de l’arrêté royal organique). Une demande de prolongation est faite pour une occupation de courte durée à l’étranger. Elle est suivie d’une nouvelle demande six semaines plus tard.
L’ONEm va refuser au motif, pour la première, que les prestations à l’étranger ne seraient pas assujetties à l’O.N.S.S. et, à supposer qu’elles le soient, qu’elles devraient être prises en compte selon les règles ordinaires. Pour la dernière demande de prolongation, l’Office retient qu’il s’agit de prestations de travail alors que l’intéressé n’était plus en première période d’indemnisation. N’ayant pas fourni au moins trois prestations de courte durée pendant la période de référence requise, il y a refus du bénéfice de l’article 116, § 5, et, à supposer que les prestations aient été déclarées à la sécurité sociale, l’intéressé devrait être indemnisé selon les règles ordinaires.
Suite à l’introduction d’une procédure devant le tribunal du travail, qui va donner gain de cause au demandeur, l’ONEm interjette appel. L’intéressé introduit une demande d’appel incident pour une dernière période de six mois en 2016.
La décision de la cour
La cour reprend le texte réglementaire, étant que l’article 116, § 5, de l’arrêté royal (qui prévoit les conditions de la non-dégressivité des allocations) précise que cet avantage est, à la demande du chômeur, à nouveau octroyé dans le temps, et ce pour une période de douze mois, s’il apporte la preuve, dans une période de référence de douze mois également (période qui précède l’expiration de l’avantage précédemment octroyé), d’au moins trois prestations artistiques, qui correspondent à au moins trois journées de travail au sens de l’article 37 de l’arrêté royal.
La cour constate que la réglementation ne définit pas ce qu’il faut entendre par « prestation artistique ».
L’ONEm fait valoir que l’article 116, § 5, dans cet alinéa (alinéa 4), prévoit deux choses, étant que l’intéressé devrait établir d’une part qu’il a effectué trois prestations artistiques et, d’autre part, que celles-ci correspondent à au moins trois journées de travail, ce qui n’est pas le cas. L’intéressé considère pour sa part que la condition n’est pas cumulative, thèse que la cour va suivre.
Le texte de la disposition réglementaire ne prévoit en effet pas que le chômeur doit justifier d’une part de trois prestations artistiques et, de l’autre, de trois journées de travail.
La cour rappelle le but de la modification intervenue dans le régime d’indemnisation pour les artistes et intermittents, à savoir qu’ont été abaissés d’une part le seuil d’accès et d’autre part le seuil de maintien du taux de l’allocation au fil du temps.
La cour renvoie à un arrêt du 7 avril 2016 (C. trav. Bruxelles, 7 avril 2016, R.G. 2014/AB/942) pour rappeler les difficultés de remplir les conditions en matière de chômage pour ce qui concerne les artistes dont l’activité a un caractère intermittent, que ça soit sur le plan de la difficulté d’acquérir le passé professionnel requis par l’article 14, § 1er, de l’arrêté royal organique ou sur le plan de la difficulté de remplir à nouveau les conditions d’occupation permettant une indemnisation plus favorable.
Le but est dès lors que, malgré l’écoulement du temps, l’artiste intermittent puisse se maintenir dans une période plus favorable d’indemnisation.
La cour en rappelle le mécanisme. Pour pouvoir obtenir le statut d’artiste, il faut, après la première année de chômage, justifier d’une activité relativement substantielle, étant au moins cent-quatre jours d’activité artistique sur un minimum de cent-cinquante-six jours travaillés, la période de référence étant de dix-huit mois. L’artiste peut alors se maintenir dans le système à des conditions plus avantageuses, étant au moins trois prestations artistiques qui correspondent au moins à trois journées de travail pendant la période de référence de douze mois.
La cour retient que la seule condition posée par la réglementation est la preuve d’un minimum de trois journées de travail qui ont donné lieu au paiement de cotisations de sécurité sociale secteur chômage et que c’est à cette seule condition qu’il faut avoir égard pour l’application de l’article 116, § 5, alinéa 4.
Le nombre de prestations en elles-mêmes est, pour la cour, indifférent.
Après avoir fait un détour par la notion de prestations artistiques, elle relève que, pour les artistes se produisant sur scène et percevant un seul cachet pour l’ensemble de la journée, tout le travail de préparation est effectué en amont.
La question peut également se poser pour l’artiste plasticien.
En l’espèce, s’agissant de prestations d’un réalisateur audio-visuel, engagé dans de petits contrats de courte durée et rémunéré forfaitairement, quel est le nombre de prestations à prendre en compte ?
La cour fait encore la comparaison avec un chanteur, qui percevrait un seul cachet pour trois concerts : effectue-t-il trois prestations, alors qu’un réalisateur engagé pour dix jours et rémunéré au forfait n’en effectuerait qu’une seule ?
La notion de prestations est dès lors susceptible d’introduire une discrimination non justifiée entre les divers types d’activités artistiques. Elle ne recouvre aucune réalité tangible et le critère à retenir est celui de la journée de travail.
La cour renvoie encore aux instructions de l’ONEm, dont ressortent les difficultés de retenir la notion de prestation elle-même.
Elle en conclut que, en l’espèce, l’intéressé remplit les conditions, ayant accompli trois journées de travail pendant la période de référence.
Sur l’appel incident, la cour y fait également droit, puisque les mêmes circonstances sont constatées.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles contient une clarification très utile, étant que la notion de « prestation » ne fait l’objet d’aucune définition et qu’elle est très peu compatible avec la réalité du travail de l’artiste lui-même. La cour pose des questions très judicieuses quant au travail effectué dans le cadre de la préparation de la prestation artistique elle-même et arrive très logiquement à la conclusion que la solution ne peut découler du mode de paiement (forfaitaire sur plusieurs jours, ceux-ci étant considérés dans le contrat comme une seule prestation, par exemple).
La décision rendue nous semble être la première sur la question. L’on notera cependant le renvoi à un précédent arrêt de la Cour du travail du 7 avril 2016, qui avait bien rappelé les difficultés pour ce type de travailleur de s’inscrire dans les conditions habituelles de stage pour être admissible aux allocations de chômage.