Terralaboris asbl

Etrangers et article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 : la C.J.U.E. interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 octobre 2013, R.G. 2011/AB/932

Mis en ligne le vendredi 19 octobre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 25 octobre 2013, R.G. n° 2011/AB/932

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 25 octobre 2013, la Cour du travail de Bruxelles interroge la Cour de Justice de l’Union européenne sur l’absence d’effet suspensif du recours introduit dans le cadre de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

Les faits

Un ressortissant nigérien demande, en 2009, le bénéfice de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, qui permet une régularisation de séjour en cas d’impossibilité absolue de retourner dans un pays de référence (souvent le pays d’origine). Suite à la reconnaissance de la recevabilité de cette demande, l’intéressé bénéfice de l’aide sociale. Ultérieurement, sa demande est rejetée, la décision de refus étant notifiée avec un ordre de quitter le territoire. La décision précise que l’introduction d’un recours en annulation et d’une demande de suspension n’a pas pour effet de suspendre son exécution.

Un recours est introduit devant le Conseil du contentieux des étrangers et, concomitamment, le C.P.A.S. retire l’aide sociale. L’intéressé introduit un recours devant le Tribunal du travail de Nivelles, section de Wavre.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 9 septembre 2011, le tribunal déclare le recours fondé. Il renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 avril 1998 (C. const., 28 avril 1998, arrêt n° 43/98), qui a jugé que le droit à l’aide sociale est une condition indispensable à l’exercice effectif d’un recours (l’intéressé devant continuer à subvenir à ses besoins pendant l’examen de celui-ci), le principe ainsi dégagé s’applique également à un étranger dont la demande d’asile est rejetée ainsi qu’à celui qui a obtenu provisoirement une autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter et dont la demande est également rejetée ultérieurement. La cour constitutionnelle se fondant sur le caractère effectif du recours, exigé dans les deux cas, elle conclut au maintien de l’aide sociale, que le C.P.A.S. doit allouer dans l’attente de la décision statuant sur le recours.

Appel est interjeté par le Centre.

L’arrêt de la cour

L’arrêt rappelle, dans un premier temps, les directives européennes applicables, directives au nombre de trois.

La Directive 2004/83/CE du Conseil impose des normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des Etats tiers ou les apatrides pour prétendre au statut de réfugié, ainsi que les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale. Son article 28 impose aux Etats membres de veiller à ce que les bénéficiaires du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire reçoivent la même assistance sociale nécessaire que celle prévue pour les ressortissants de cet Etat. Cette assistance sociale peut cependant être limitée aux prestations essentielles pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire, celle-ci étant cependant servie au niveau et selon les conditions d’accès applicables aux ressortissants de l’Etat.

La Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 fixe quant à elle les normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de statut de réfugié dans les Etats membres. Elle fixe, en son article 39, les conditions du recours effectif qui doit exister, et notamment pour ce qui est des demandes d’asile.

Enfin, la Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 contient également des dispositions relatives à la question, puisqu’elle fixe des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres : ceux-ci sont invités à appliquer les dispositions qu’elle contient aux procédures de traitement des demandes de formes de protection autres que celles découlant de la Convention de Genève pour les ressortissants de pays tiers (et apatrides).

A celles-ci, s’ajoute encore la Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant des nouvelles normes, mais les dispositions qu’elle prévoit devront être transposées pour la mi-2015. Elles vont également dans le sens d’autoriser les demandeurs à rester sur le territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice d’un droit à un recours effectif.

La cour reprend également les dispositions de la loi du 15 décembre 1980 organisant la protection subsidiaire (celle-ci étant accordée en vertu de l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 à ceux qui ne peuvent bénéficier de l’article 9ter) et examine à cet égard la question du caractère suspensif du recours introduit contre une décision de refus du statut de réfugié eu égard au droit corrélatif à l’aide sociale pendant la procédure.

Elle constate que les enseignements de l’arrêt de la Cour constitutionnelle cité par le tribunal ont été tirés à l’égard du candidat réfugié et également à l’égard de l’étranger qui demande la protection subsidiaire. Ceux-ci bénéficient d’un recours suspensif. Ils sont supposés être en séjour légal pendant l’examen de ce recours et ont ainsi droit à l’accueil et, le cas échéant, à une aide sociale financière.

La cour relève ensuite que la protection subsidiaire liée à une maladie grave est soustraite de cette procédure et que, si les décisions prises sur la base de l’article 9ter sont susceptibles d’un recours en suspension et en annulation devant le Conseil du contentieux des étrangers, celui-ci n’est pas suspensif.

Rappelant que les articles 9ter et 48/4 sont, dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, considérés comme constituant ensemble la transposition en droit belge de l’article 15 de la Directive 2004/83/CE, et constatant par ailleurs que, dans un arrêt du 21 mars 2013 (C. const., 21 mars 2013, arrêt n° 43/2013), celle-ci a considéré que, dans le cas de l’étranger qui fonde sa demande de séjour sur l’article 9ter, il y a maintien du caractère illégal du séjour pendant la durée de la procédure, la cour considère qu’il faut se tourner vers le droit européen.

L’article 51, § 1er de la Charte des droits fondamentaux s’applique en effet aux institutions, organes et organismes de l’Union lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et, dès lors que cette Charte contient des droits correspondant à d’autres droits garantis par la Convention de sauvegarde, leur sens et leur portée sont les mêmes (article 52, § 3 de la Charte des droits fondamentaux). La cour rappelle également que les recours doivent être effectifs, en cas de violation des droits et libertés garantis par le droit de l’Union (article 47 de la Charte).

Le principe de l’effectivité des recours est également garanti par l’article 13 de la Convention européenne, la cour reprenant longuement sa jurisprudence sur la question.

Elle considère que se pose dès lors une question relative à la transposition de la Directive 2004/83, étant que n’est pas prévu un recours suspensif de plein droit. Pour la cour, la jurisprudence, et particulièrement celle de la Cour européenne, permet de voir l’émergence d’une dimension socio-économique du traitement inhumain et dégradant. Se pose ainsi la question de savoir si, dans l’attente d’une décision sur le recours introduit (qui peut durer très longtemps), le requérant qui se trouve privé de toute autre aide sociale que l’aide médicale urgente subit un traitement inhumain et dégradant et/ou une atteinte à son droit à la vie et à l’intégrité physique.

La cour suggère ainsi que la prise en charge des besoins élémentaires autres que ceux couverts par l’aide médicale urgente peut être envisagée dans le cadre des formes de l’aide sociale (dont celle dispensée dans le cadre de mesures d’accueil). Elle soumet, en conséquence de sa conclusion, deux questions à la Cour de Justice sur l’exigence de l’effectivité d’un tel recours suspensif.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, qui fait le lien entre les mesures de transposition des directives européennes et les principes de la convention de sauvegarde, pose une question décisive pour cette problématique régulièrement rencontrée. A suivre, dès lors, et avec grand intérêt.


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