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Accident du travail : cumul d’activités dans le secteur public et rémunération de base

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 juin 2018, R.G. 2016/AB/787

Mis en ligne le vendredi 12 avril 2019


Cour du travail de Bruxelles, 20 juin 2018, R.G. 2016/AB/787

Terra Laboris

Par arrêt du 20 juin 2018, la Cour du travail de Bruxelles reprend la ratio legis de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967 et rappelle qu’une victime d’un accident du travail dans le secteur public peut bénéficier soit des dispositions supplétives de la loi du 10 avril 1971, soit de dispositions plus favorables prévues dans la réglementation valable pour le secteur public, mais qu’elle ne peut cumuler dans chaque régime la disposition la plus favorable.

Les faits

Un agent pénitentiaire (statutaire) est victime d’un accident du travail en juillet 2014. Il s’agit d’une électrocution survenue lors de la manipulation d’un chariot chauffant. Cet accident est accepté.

Parallèlement, l’intéressé travaillait comme pompier volontaire pour une commune. Il a obtenu, mais après l’accident seulement, l’autorisation du SPF Justice de cumuler ces deux activités, ses fonctions de pompier volontaire étant exercées en-dehors de ses heures de service.

Dans le cadre du décours de l’accident du travail, le MEDEX accepte des absences pendant plusieurs périodes pour l’année 2014. Il bénéficie de sa rémunération pour les périodes correspondantes.

Quelques mois plus tard, il interpelle cependant le SPF, via son conseil. Il demande un ajustement des indemnités d’incapacité de travail, et ce pour deux motifs : (i) la non-prise en compte de sa rémunération de pompier volontaire et (ii) la non-inclusion des primes pour prestations nocturnes, dominicales et du samedi. Les demandes sont basées sur les articles 35 et 36 de la loi du 10 avril 1971 (auxquels renvoie la loi du 3 juillet 1967).

La proposition du MEDEX intervient en janvier 2015, s’agissant de clôturer avec 0% d’I.P.P.

Sur le plan de la rémunération, le SPF notifie sa position en mars 2015, étant que l’article 36 L.A.T. ne permet pas de cumuler plusieurs rémunérations. Il fait également valoir que l’autorisation de cumul n’aurait pas été accordée, celle-ci étant par ailleurs suspendue d’office lorsque l’agent est absent par maladie par suite d’un accident du travail. Pour ce qui est des prestations irrégulières, il considère qu’elles ne sont pas dues en cas d’absence de plus de 30 jours suite à un accident du travail (article 5 de l’arrêté royal du 26 mars 1965 portant réglementation générale des indemnités, allocations et primes quelconques accordées au personnel).

La décision du tribunal

Le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles) a rendu un jugement le 2 mai 2016, disant pour droit que l’intéressé ne peut choisir qu’une seule voie d’indemnisation de son accident du travail, soit l’article 32 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, soit la loi du 10 avril 1971. Il a rouvert les débats, invitant celui-ci à déposer un comparatif d’indemnisation.

Il interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour la partie appelante, il s’agit, sur la base du principe repris à l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967, de calculer les indemnités d’incapacité de travail en tenant compte d’une part de l’article 32 de l’arrêté royal du 24 juillet 1969 (c’est-à-dire 100% de sa rémunération durant la période d’incapacité temporaire) et d’autre part de l’article 36 de la loi du 10 avril 1971 en vue de déterminer le volume de la rémunération et d’y inclure les deux rémunérations perçues.

Pour l’Etat belge, cette demande est irrecevable ou non fondée. L’intérêt du demandeur à agir en justice est considéré comme illégitime, eu égard à l’article 12, § 1er, de l’arrêté royal du 2 octobre 1937 portant le statut des agents de l’Etat. L’Etat belge considère que l’activité de pompier volontaire a été exercée en violation d’une disposition réglementaire, l’autorisation de cumul n’ayant pas été sollicitée et obtenue. L’Etat fait également valoir que l’intéressé ne peut choisir pour le même accident à la fois la réglementation applicable dans le secteur public pour obtenir la prise en compte des 100% dans le cadre de l’incapacité temporaire et celle valable pour le secteur privé. Il lui appartient de démontrer que la réglementation dans le secteur privé dans son ensemble est plus favorable que celle du secteur public dans son ensemble. L’Etat relève encore que l’intéressé ne se trouve pas dans une des hypothèses de l’article 36.

La décision de la cour

La cour analyse la disposition pertinente de la loi du 3 juillet 1967. L’article 3bis a été intégré dans la loi de base par une loi du 13 juillet 1973. L’arrêt reprend de larges extraits des travaux préparatoires, la modification législative tendant à donner un fondement légal à l’indemnisation de l’incapacité temporaire. La victime peut bénéficier de l’indemnité prévue à l’article 22 de la loi du 10 avril 1971, à savoir une indemnité journalière de 90% de la rémunération quotidienne moyenne. Il est cependant expressément relevé que ce régime ne recevra application que si la victime ne bénéficie pas d’une disposition plus favorable prévue par la loi ou par son statut réglementaire. Or, l’article 32 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 prévoit le maintien de la rémunération pendant cette période (sauf hypothèse de prestations incomplètes où le maintien de la rémunération pourrait être moins avantageux que l’indemnité journalière moyenne de 90% du secteur privé, où il est prévu de compléter la rémunération par une rémunération hypothétique pour les périodes non rémunérées).

Il est encore souligné dans les travaux préparatoires que, la loi du 10 avril 1971 ayant instauré des avantages nouveaux en faveur du secteur privé, il y avait lieu de les accorder au secteur public pour maintenir ou rétablir l’équilibre entre les deux régimes et que la disposition nouvelle est surtout utile pour les fonctions à prestations incomplètes.

Pour la cour, il ressort de ces travaux parlementaires que la volonté du législateur était de permettre au personnel du secteur public de bénéficier d’un système comparable au privé, étant que la victime d’un accident doit pouvoir bénéficier pour ses indemnités d’incapacité temporaire soit des dispositions supplétives de la loi du 10 avril 1971, soit des dispositions plus favorables prévues dans le secteur public. Elle ne peut cependant cumuler dans chaque régime la disposition qui lui est la plus favorable. Le membre du personnel doit faire un choix.

Pour la cour, c’est à juste titre que le tribunal du travail a jugé en ce sens.

La cour passe ensuite à l’examen des autres arguments invoqués par l’Etat belge. Le premier porte sur l’intégration de la rémunération de pompier volontaire. La cour considère qu’il s’agit d’un avantage fondé sur la violation d’une norme de comportement imposé par la loi. Elle estime dès lors la demande irrecevable. Par ailleurs, elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2013 (Cass., 28 novembre 2013, n° C.13.0166.N) sur la notion d’intérêt au sens de l’article 17 du Code judiciaire. Il n’y a pas d’intérêt légitime dès lors que celui qui agit en justice poursuit le maintien d’une situation contraire à l’ordre public ou l’obtention d’un avantage illicite. Or, il est interdit, dans le statut des agents de l’Etat (article 12, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 2 octobre 1937), d’exercer une activité rémunérée de quelque façon que ce soit hors de ses fonctions, sauf autorisation de cumul.

La demande vise dès lors un avantage illicite, de telle sorte que l’intérêt du demandeur n’est pas légitime, rendant ainsi la demande irrecevable.

Ceci vaut à la fois pour l’indemnisation précédant l’autorisation de cumul et celle postérieure à celle-ci, l’autorisation ne pouvant avoir d’effet rétroactif.

La cour considère par ailleurs que l’on ne se trouve pas dans les hypothèses visées à l’article 36 de la loi du 10 avril 1971, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 2013 (Cass., 11 mars 2013, n° S.11.0153.N), qui a conclu à la non-application de l’article 37bis de cette loi à la situation d’un travailleur qui était occupé à la fois à temps plein et à temps partiel dans le cadre de deux activités distinctes.

Elle en vient ensuite à la prise en compte des primes pour le calcul de l’indemnité, s’agissant des primes exceptionnelles pour prestations nocturnes, dominicales et du samedi. Le fondement est l’article 35 de la loi du 10 avril 1971.

L’Etat belge fait ici valoir qu’en vertu de l’article 5 de l’arrêté royal du 26 mai 1965, sauf dispositions particulières en cas d’interruption d’exercice de la fonction, l’allocation (ou la prime) n’est due que si cette interruption ne dépasse pas 30 jours ouvrables et n’enlève pas à l’agent le bénéfice de son traitement. Les exceptions prévues ne sont pas rencontrées en l’espèce, celles-ci figurant à l’article 5bis, § 2, d’un arrêté ministériel du 24 septembre 1998 réglant l’octroi d’une allocation pour prestations irrégulières à certains membres du personnel du SPF Justice. Cette disposition prévoit, par dérogation à l’article 5 ci-dessus, que l’allocation reste due pour les membres du personnel sur la base du planning lorsque l’interruption est consécutive aux conséquences d’une agression ou d’une intervention reconnue comme accident du travail. L’article 5 fait obstacle à l’intégration des primes exceptionnelles si l’intéressé fait choix du régime de l’article 32 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969. La cour conclut dès lors qu’il lui appartient de comparer les régimes, et ce avant de déterminer la loi applicable. Une réouverture des débats est ordonnée, avec une mise en état judiciaire.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles porte essentiellement sur la rémunération de base servant au calcul de l’indemnisation temporaire dans le secteur public. Il pose la question originale d’un cumul d’activités, pour lequel l’intéressé demande la prise en compte des deux rémunérations.

L’activité « accessoire » n’ayant pas fait l’objet d’une demande d’autorisation, elle se heurte à la réglementation en la matière et la cour – comme le tribunal – conclut que la rémunération perçue au cours de celle-ci ne peut être prise en compte, s’agissant de la poursuite d’un avantage considéré comme illicite.

L’arrêt contient, par ailleurs, des développements importants en ce qui concerne la volonté du législateur lors de l’insertion de l’article 3bis, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967. Il s’est à l’époque agi de permettre aux travailleurs du secteur public de bénéficier d’un système comparable au secteur privé, ceux-ci devant bénéficier soit des dispositions supplétives de la loi du 10 avril 1971, soit de dispositions plus favorables prévues dans la réglementation normalement applicable au secteur public. La cour rappelle qu’il n’est pas question de cumuler dans chaque régime la disposition qui est la plus favorable.


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