Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2018, R.G. 2017/AB/373
Mis en ligne le lundi 29 avril 2019
Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2018, R.G. 2017/AB/373
Terra Laboris
Dans un arrêt du 23 mai 2018, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’abrogation implicite de l’article 22bis de la loi du 27 juin 1969 (concernant l’hypothèse où l’identité ou le nombre exact de travailleurs occupés ne sont pas connus), et ce eu égard à l’évolution des textes et, particulièrement, à l’adoption de l’article 22quater.
Les faits
Une inspection des services de l’O.N.S.S. a lieu dans un salon de massage. L’Inspection conclut que, eu égard aux heures d’ouverture, il faut considérer qu’en sus des travailleuses qui ont été entendues, un(e) autre travailleur (travailleuse) à temps plein devait avoir été occupé(e).
L’O.N.S.S. notifie, en conséquence, sa décision en application des articles 22 et 22bis de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Les heures de prestations du personnel connu sont reprises et, pour le membre du personnel qui – pour l’Office – était nécessairement occupé, il est procédé à la déclaration d’office « sous inconnu ». Il s’agit d’une occupation en qualité d’ouvrier entre le 1er août 2013 et le 13 janvier 2015, et ce à temps plein. L’O.N.S.S. applique les barèmes de la C.P. 314.
Le montant réclamé, au titre de cotisations et accessoires, est de l’ordre de 20.000 euros.
Vient ensuite une deuxième notification, relative au paiement d’une double cotisation de solidarité, et ce sur pied de l’article 22quater de la loi. Il s’agit, pour les deux travailleuses ayant fait l’objet du contrôle, de la sanction légale suite à l’absence de Dimona. Cette cotisation est, pour les deux ouvrières, de l’ordre de 4.700 euros.
Entre-temps, l’O.N.S.S. a rendu le rôle spécial exécutoire et a entamé le recouvrement par voie de contrainte. Opposition a été signifiée à celle-ci et le tribunal du travail, statuant dans le cadre de la citation sur opposition, a rendu un jugement le 15 mars 2017, considérant l’opposition fondée (la société contestant uniquement la première décision).
Appel a été interjeté.
La décision de la cour
Se pose en premier lieu la question de l’existence d’un lien de subordination, dans l’occupation des deux ouvrières entendues. La cour reprend les critères à prendre en compte, eu égard aux dispositions sur la question de la loi-programme du 27 décembre 2006.
Elle constate que, sur le plan de l’organisation du travail et du temps de travail, la liberté des intéressées était « particulièrement faible ». Sont également retenus la possibilité d’un contrôle hiérarchique, le fait que les horaires ne sont pas fixés par les travailleuses et que, notamment pour ce qui est du prix des prestations, la gérante exerce un contrôle permanent. Le lien de subordination est dès lors retenu et les cotisations sociales sont dues. La période d’occupation pour l’une et l’autre est brève.
Par ailleurs, se pose la question des cotisations réclamées pour la « travailleuse inconnue ». Il s’agit de près de deux ans de cotisations.
La cour rappelle le prescrit de l’article 22bis de la loi (alinéas 2 à 4), selon lequel, lorsqu’il est impossible de déterminer le montant des cotisations, celui-ci est établi globalement par l’O.N.S.S. sur la base de tous les renseignements recueillis par les fonctionnaires et agents chargés de la surveillance de l’exécution de la loi et de ses arrêtés d’exécution, et ce même lorsque l’identité ou le nombre exact des travailleurs occupés n’est pas connu.
La cour précise qu’elle s’interroge sur l’abrogation implicite de cette disposition et, subsidiairement, sur sa constitutionnalité.
L’alinéa 4 de l’article 22bis dispose en effet qu’il appartient au Roi de déterminer l’affectation des sommes perçues globalement. Un arrêté royal du 12 mars 1990 est venu préciser à l’arrêté royal du 28 novembre 1969 que les sommes perçues en application de l’article 22bis, alinéa 2, de la loi sont réparties par l’O.N.S.S. conformément à l’article 19 de celle-ci. Or, cet article a lui-même été abrogé par une loi du 30 mars 1994, étant récemment rétabli par l’article 18 de la loi du 10 juillet 2016, la cour soulignant que la version actuelle « n’a pas grand-chose à voir avec la question de l’affectation des cotisations ordinaires de sécurité sociale » réclamées en cas d’occupation de personnel non identifié. Il en résulte que, actuellement, les cotisations qui seraient versées à ce titre sont perçues sans que leur affectation ne soit déterminée.
Ceci permet à la cour de considérer qu’il y aurait eu à tout le moins abrogation implicite de l’article 22bis, alinéa 2. La cour voit cette conclusion renforcée par l’adoption de l’article 22quater introduit dans la loi du 27 juin 1969 par la loi-programme du 22 décembre 2008. Celui-ci concerne la cotisation de solidarité due en l’absence de déclaration Dimona. Cette cotisation est due lorsque l’O.N.S.S. ne peut procéder à la régularisation que pour le jour du contrôle – et ce même s’il existe des indices d’une occupation plus longue.
La cour reprend les travaux préparatoires, ayant précisé qu’il s’agit d’un mode particulier de réparation ou de restitution de nature civile adopté dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale. La cotisation de solidarité est forfaitaire.
Pour la cour, il résulte de ces règles que le législateur a renoncé à réclamer des cotisations sociales pour des prestations de travail qui n’ont pas donné lieu à des constatations matérielles effectives, et ce eu égard aux exigences de preuve. Il a préféré le mécanisme de dédommagement forfaitaire, celui-ci étant fondé sur une présomption légale. L’article 22quater se serait ainsi substitué à l’article 22bis, alinéa 2, qui est difficilement compatible avec l’approche du législateur.
Se pose par ailleurs une autre question, pour la cour, vu que l’article 22bis, alinéa 2, débouche sur la perception de cotisations sans que celles-ci ne donnent lieu à une affectation déterminée. Ceci pose la question de la nature fiscale de la cotisation et la cour renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 juin 2011 (n° 103/2001) rendu à propos de la cotisation sociale mise à charge des sociétés. Le paiement de cette cotisation ne faisant pas naître de droits complémentaires sur le plan de la sécurité sociale, la Cour constitutionnelle a considéré qu’un lien avec la sécurité sociale des personnes redevables fait ainsi défaut. Il ne s’agit pas d’une cotisation à la sécurité sociale à proprement parler mais d’un impôt au sens des articles 170 et 172 de la Constitution.
La question peut, pour la cour, également être posée pour la cotisation de l’article 22bis, alinéa 2, et, dans la foulée, sur la différence de traitement induite entre les employeurs.
Aucune réponse n’est apportée à ces questions, la cour considérant que, en l’espèce, il n’est pas suffisamment établi qu’il y a eu occupation de travailleuses (successives) dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein pendant la période litigieuse.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles attire incontestablement l’attention sur la réflexion consacrée à l’article 22bis de la loi du 27 juin 1969. La conclusion, étant que cette disposition aurait été implicitement abrogée par l’évolution des textes et la volonté du législateur de recourir à une cotisation de solidarité, s’impose d’autant plus que le mécanisme voulu à l’époque ne peut plus opérer depuis l’abrogation de l’article 19 de la loi du 27 juin 1969 par celle du 30 mars 1994. La cour a rappelé dans son arrêt que, depuis la loi du 10 juillet 2016 (loi portant affectation de nouvelles missions de perception et intégration de certaines missions et d’une partie du personnel de l’Office des régimes particuliers de sécurité sociale à l’O.N.S.S. et réglant certaines matières relatives à FAMIFED et au Service fédéral des Pensions), l’article 19 de la loi a été rétabli, mais avec un contenu tout à fait différent, s’agissant d’un transfert de cotisations au SPF Pensions.
Un autre point d’intérêt de la décision est certes la nature fiscale d’une cotisation telle que celle réclamée, dans la mesure où, n’ayant pas pour effet d’entraîner des avantages de sécurité sociale, elle ne peut être considérée comme une cotisation sociale mais fiscale.