Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 3 décembre 2018, R.G. 2018/AL/217
Mis en ligne le lundi 6 mai 2019
Cour du travail de Liège (division Liège), 3 décembre 2018, R.G. 2018/AL/217
Terra Laboris
Dans un arrêt du 3 décembre 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) retient qu’il peut être admis, dans le cadre des lois coordonnées le 3 juillet 1970, de retenir une amélioration ou une aggravation du taux d’incapacité permanente due à une maladie professionnelle, après que le caractère de permanence de l’incapacité a été reconnu.
Les faits
Une demande est introduite en indemnisation d’une pathologie lombaire, à la fois dans le système de la liste et (à titre subsidiaire) dans le système ouvert. Un expert est désigné dans les deux. Dans son rapport, il conclut que, sur le plan médical, l’incapacité de travail de l’intéressée est de 12%, et ce sans préjudice de l’application de facteurs socio-économiques et en prenant en considération le fait qu’il importe peu que la pathologie ne soit pas la seule cause du dommage, qu’il suffit que, sans elle, ce dommage n’ait pas existé ou n’eût pas été aussi grave.
Pour l’expert, seul l’examen des maladies de la liste a été effectué, la maladie constatée figurant sur celle-ci.
Le taux a été fixé, tenant compte d’une opération subie par l’intéressée, et la question qui oppose les parties devant la cour est de savoir si la période antérieure à cette opération est une période d’incapacité temporaire ou permanente.
Position des parties devant la cour
La victime, appelante, demande que la période en cause, qui a une durée de 3 ans, soit considérée comme une période d’incapacité permanente. Elle sollicite, en conséquence, de réformer le jugement entrepris, qui avait considéré que cette période est une période d’incapacité temporaire, non indemnisable, au motif de l’article 34, alinéa 5, des lois coordonnées (qui vise le point de départ de l’incapacité temporaire à 365 jours avant la date de la demande).
Pour FEDRIS, les lésions avaient, pendant cette période, toujours un caractère évolutif et il ne peut pas être considéré qu’il s’agissait d’une incapacité permanente.
FEDRIS conteste en outre les facteurs socio-économiques, qu’il demande de considérer comme nuls ou, à tout le moins, de ramener à 2%, et ce eu égard à l’éloignement du marché du travail de l’intéressée et à ses possibilités de réorientation au regard de sa formation et de son expérience.
La décision de la cour
La cour effectue un examen en droit de la notion d’incapacité permanente en maladies professionnelles. S’il est renvoyé à la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, ceci ne suffit pas, pour la cour, pour incorporer toutes les notions propres à la réparation des accidents du travail dans le droit des maladies professionnelles.
A cet égard, la cour pointe le fait que la loi ne retient pas la notion de « consolidation », abstention qu’elle considère significative. Il est fait référence au passage d’un état d’incapacité temporaire à un état d’incapacité permanent. La consolidation étant généralement définie en accident du travail comme le moment où les lésions acquièrent un caractère de permanence, l’article 35, alinéa 1er, dispose, pour la cour, qu’il y a passage de l’indemnité temporaire à une allocation déterminée d’après le degré de l’incapacité permanente, et ce « lorsque l’incapacité de travail temporaire devient permanente ».
Il s’agit dès lors, pour le législateur, de retenir le critère de la permanence de l’incapacité. Celle-ci est appréhendée de manière très souple, la cour considérant qu’une incapacité permanente peut connaître plusieurs stades de gravité, c’est-à-dire évoluer, sans pour autant perdre son caractère permanent. L’exigence de permanence vise l’incapacité par rapport à son existence, à son principe, mais non par rapport à son taux. S’il est acquis que la maladie présente un caractère de permanence, l’incapacité peut, le cas échéant, évoluer dans le temps sans que ceci ne soit incompatible avec la notion d’incapacité permanente. Des variations d’intensité dans le temps sont dès lors admises, ce qui, pour la cour, s’harmonise avec le caractère évolutif de nombreuses maladies professionnelles et avec l’absence d’une consolidation, comme dans la matière des accidents du travail. Ceci permet également de donner un sens utile à l’article 35, en vertu duquel la victime d’une maladie professionnelle peut être affectée d’une incapacité permanente depuis le début alors même que cette incapacité peut se moduler dans le temps.
La cour prend des exemples, étant les incapacités générées par les maladies dégénératives évolutives du dos ou, au contraire, le cas des maladies causées par l’hyper-sollicitation d’un membre, maladies qui peuvent, dans certains cas, disparaître spontanément. Elle relève encore que certaines maladies peuvent donner lieu aux deux types d’incapacité, renvoyant à l’hypothèse de l’épicondylite, dont on peut espérer qu’elle disparaîtra s’il n’y a plus sollicitation du membre et utilisation de traitements adéquats. La maladie engendre alors une incapacité temporaire. Elle pourra cependant acquérir un caractère de permanence et, ici encore, « permanent » ne signifie pas « invariable », le taux d’incapacité pouvant diminuer ou être augmenté.
Dans le cas dont la cour est saisie, elle retient que, pendant la période litigieuse, l’intéressée a été affectée d’une incapacité permanente de 20% et que ce caractère d’incapacité permanente doit également être reconnu à la période d’hospitalisation et de convalescence et pour la période ultérieure.
La cour en vient alors à l’examen des facteurs socio-économiques, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 1996 (Cass., 11 septembre 2006, n° S.05.0037.F). La Cour suprême y a précisé que, si la reconnaissance d’une incapacité permanente de travail suppose l’existence d’une incapacité physiologique, le taux de cette dernière ne constitue pas nécessairement l’élément déterminant pour évaluer le degré de l’incapacité permanente.
Il n’y a, par ailleurs, pas lieu de tenir compte d’une situation de prépension, de chômage ou d’invalidité, aux fins de réduire les facteurs socio-économiques, au motif que l’intéressée se serait elle-même exclue du marché de l’emploi, les situations visées (auxquelles la cour ajoute le crédit-temps, la prise en charge par le secteur AMI, etc.) étant des situations temporaires. Si l’intéressée est, dès lors, dépendante du secteur AMI depuis de nombreuses années, il n’en demeure pas moins qu’elle a eu une carrière variée (employée dans le secteur textile, vendeuse en boucherie) et que l’incapacité subie est une contradiction sérieuse au port de charges lourdes. FEDRIS plaidant encore que l’intéressée avait obtenu un diplôme de secrétaire médicale par correspondance au début des années 1980, la cour souligne que l’on voit mal en quoi celui-ci pourrait ouvrir à l’appelante les portes de quelque emploi que ce soit, s’agissant d’un diplôme obtenu avant la révolution informatique et qui n’a jamais donné lieu à la moindre mise en œuvre.
Les facteurs socio-économiques sont, en conséquence, fixés à 30% pour la première période et à 18% pour la seconde.
Intérêt de la décision
C’est à notre sens la première décision judiciaire qui se penche sur la question de la possibilité de l’évolution de l’incapacité permanente dans la matière des maladies professionnelles.
La cour du travail souligne qu’il n’est pas fait référence dans les lois coordonnées du 3 juin 1970 à la notion de « consolidation » existant en accident du travail et dont il est généralement admis qu’il doit s’agir d’une date unique (la « double consolidation » n’étant pas conforme au mécanisme de réparation). Dans le secteur des maladies professionnelles, cette notion ne figurant pas, la cour considère que, même s’il y a dans le secteur un renvoi général à celui des accidents du travail, la spécificité de l’incapacité permanente d’une maladie due au travail fait que son caractère peut être admis à partir d’un moment donné (mettant ainsi un terme à la période d’incapacité temporaire), mais que le taux de cette incapacité permanente peut varier dans le temps. Il s’agit d’une évolution admise lors de la fixation des séquelles de la maladie (et non lors d’une éventuelle révision ultérieure), le juge pouvant, selon la cour, décider d’une amélioration ou d’une aggravation du taux d’incapacité permanente après que celle-ci a été reconnue.
Cet arrêt rappelle également l’importante décision rendue par la Cour de cassation le 11 septembre 2006, étant que l’évaluation des facteurs socio-économiques ne doit pas se faire en fonction de l’importance (ou non) de l’incapacité physiologique, les deux évaluations étant indépendantes.
Ceci est l’occasion de souligner une autre particularité de l’évaluation du dommage dans le secteur des maladies professionnelles par rapport à celui des accidents du travail, étant qu’il intervient généralement en deux temps, à savoir détermination de l’incapacité physiologique d’abord et évaluation des facteurs socio-économiques ensuite. Dans cette évaluation, la cour a encore souligné un point important, étant qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la situation temporaire du travailleur (chômage, crédit-temps, etc.), mais de son marché du travail potentiel.