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Congé parental et rémunération de base en accident du travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 janvier 2019, R.G. 2018/AL/290

Mis en ligne le mardi 7 mai 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 11 janvier 2019, R.G. 2018/AL/290

Terra Laboris

Par arrêt du 11 janvier 2019, la Cour du travail de Liège reprend la jurisprudence selon laquelle la réduction de prestations à 4/5e temps dans le cadre d’un congé parental ne peut avoir pour effet de réduire la rémunération de base du travailleur engagé dans le cadre d’un temps plein.

Les faits

Un conducteur de la STIB (Société de Transports Intercommunaux de Bruxelles) est victime d’un accident du travail, pour lequel une procédure est introduite aux fins d’obtenir une décision judiciaire sur le règlement des séquelles.

Après avoir désigné un expert, le tribunal du travail a entériné les conclusions de celui-ci (les périodes d’incapacité de travail ayant été fixées et le dossier étant consolidé avec une I.P.P. de 2%).

Les parties n’ont pas contesté ce rapport.

Elles sont cependant opposées en ce qui concerne le calcul de la rémunération de base, et ce pour la fixation des indemnités journalières d’incapacité temporaire.

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur sollicitait que soient inclus, dans le montant de celle-ci, d’une part la prime patronale d’assurance de groupe et d’autre part un avantage en nature consistant en l’octroi d’un libre parcours accordé par la STIB en faveur de son épouse.

Il considérait, par ailleurs, qu’étant en congé parental à l’époque des faits (1/5e temps), la rémunération à prendre en compte pour le calcul des indemnités d’incapacité temporaire est celle du temps plein, le contrat de travail initial ayant été conclu sur cette base.

Quant à l’assureur-loi, il plaidait que les primes ne font pas partie de la rémunération de base au sens de l’article 35 de la loi du 10 avril 1971, non plus que l’avantage en nature résultant du libre parcours. Pour ce qui est du 4/5e temps, il demandait l’application de l’article 37bis de la loi du 10 avril 1971 (temps partiel).

Le jugement a quo

Le tribunal a pleinement fait droit à la position du demandeur, tant en ce qui concerne les montants à inclure dans la notion de rémunération au sens de l’article 35 de la loi que pour ce qui est de la prise en compte du temps plein malgré l’existence de prestations à 4/5e temps au moment des faits dans le cadre du congé parental.

L’assureur-loi interjette appel du jugement.

Position des parties devant la cour

La position de l’appelant est la suivante :

1. Pour ce qui est de la notion de rémunération au sens de l’article 35, L.A.T., il renvoie à un arrêt du 13 juillet 2004 (C. trav. Liège, 13 juillet 2004, J.T.T., 2005, p. 294), qui a considéré qu’il ne s’agit pas d’une somme octroyée, même indirectement, au travailleur, mais d’une somme allouée à l’assureur, qui ne la rétrocède pas à celui-ci. Elle ne peut dès lors être considérée comme de la rémunération.

2. Pour le libre parcours, l’assureur-loi invoque que l’article 35 vise la rémunération mais non des sommes versées au titre de remboursement de frais de transport, ce qui serait le cas en l’espèce, puisqu’il s’agit de l’économie du montant de frais qui auraient dû être exposés. En outre, l’assureur-loi objecte que l’on puisse faire entrer dans la notion de rémunération des avantages attribués non au travailleur mais à son conjoint ou à d’autres membres de sa famille.

3. Pour le congé parental, il s’agit, pour lui, de prendre en compte le temps réellement presté par l’intéressé lorsqu’il a été victime de l’accident. Il estime que la victime ne peut être suivie lorsqu’elle fait valoir qu’il s’agissait d’une réduction temporaire du régime hebdomadaire de travail et que celle-ci ne pouvait aboutir à la priver des droits qu’elle puise dans son contrat de travail, au motif que ceci entraînerait une violation de l’article 2.6 de l’accord-cadre qui consacre la Directive n° 96/34/CE du 3 juin 1996. Pour l’assureur-loi, cette directive n’a pas fait l’objet d’un texte de mise en application en droit interne et l’intimé ne pourrait y puiser aucun droit en matière de rémunération de base.

Quant à l’intimé, il sollicite la confirmation pleine et entière du jugement rendu.

La décision de la cour

La cour examine successivement les trois points qui lui sont soumis, étant l’intégration de la quote-part patronale à l’assurance de groupe, les libres parcours, ainsi que l’incidence du congé parental sur le calcul de la rémunération de base.

Pour la première question, elle reprend l’article 35, L.A.T., en ses deux alinéas, qu’elle reproduit. L’alinéa 1er donne la définition de la rémunération et l’alinéa 2 énumère les sommes, montants, indemnités et avantages qui ne sont pas considérés comme tels.

Elle en vient ensuite à l’arrêt cité de la Cour du travail de Liège du 13 juillet 2004, pour conclure immédiatement que cette position a été rejetée dans un arrêt quasi-concomitant de la Cour de cassation (Cass., 24 mai 2004, n° S.04.0004.F). La Cour suprême a jugé, en l’espèce dans l’hypothèse d’une assurance hospitalisation, que la prime contractée en faveur d’un travailleur et destinée à lui procurer, en cas de survenance du risque, un avantage complémentaire à la sécurité sociale ne constitue pas un avantage exclu de la notion de la rémunération au sens de l’alinéa 2. Etant payée par l’employeur en raison des relations de travail, il s’agit d’une rémunération au sens de l’alinéa 1er.

La cour du travail, suivant cette jurisprudence, confirme qu’il en va de même de la prime de l’assurance de groupe, qui ne fait pas partie des exceptions visées par l’alinéa 2 de l’article 35.

Pour ce qui est de l’inclusion des libres parcours dans la rémunération de base, il s’agit d’un avantage propre aux travailleurs de l’entreprise, qui n’est nullement limité au trajet domicile-travail, mais qui permet d’utiliser gratuitement et de manière illimitée l’ensemble du réseau (ainsi que d’autres qui y sont visés). L’intéressé sollicite ici l’inclusion non de son propre libre parcours (qui couvrait, pour la cour, notamment ses propres frais de transport professionnels), mais l’intégration de l’avantage dont bénéficie son épouse. Il ne s’agit pas davantage d’un montant figurant dans les hypothèses de l’alinéa 2 de l’article 35.

Pour ce qui est de l’exigence – plaidée par l’assureur-loi – que l’avantage doit être accordé directement ou indirectement au travailleur, cet argument est écarté, au motif que les libres parcours sont octroyés au travailleur lui-même, ainsi que cela figure dans le règlement de travail. C’est la qualité de travailleur qui ouvre le droit. Il ne s’agit pas davantage d’une libéralité – l’assureur-loi plaidant ici que son évaluation est difficile, puisqu’elle dépend de l’utilisation qui en serait faite. Il s’agit au contraire d’un droit prévu à l’article 11 du règlement de travail. Cet avantage est une économie substantielle dans les besoins du ménage, l’abonnement annuel auquel l’épouse de la victime aurait dû souscrire étant de l’ordre de 450 euros.

Enfin, sur le congé parental, la cour renvoie à l’article 34 de la loi, qui prévoit notamment, à propos de la période de référence, que celle-ci n’est complète que si le travailleur a effectué durant toute l’année des prestations de travail à temps plein. Celles-ci doivent avoir été fournies dans l’entreprise et dans la fonction pendant l’année précédant l’accident. La cour renvoie ensuite aux articles 36, § 1er (qui prévoit l’octroi d’une rémunération hypothétique lorsque la période de référence n’est pas complète ou lorsque la rémunération du travailleur, à cause de circonstances occasionnelles, est inférieure à celle qu’il gagne normalement) et 37bis, § 1er (qui vise l’engagement (ce terme étant souligné par la cour) dans le cadre d’un temps partiel). Il n’y a pas eu d’engagement à temps partiel en l’espèce et, cette disposition étant dérogatoire à la règle générale, elle ne peut viser des situations où un travailleur, initialement engagé à temps plein, preste au moment de l’accident à temps partiel, la cour renvoyant aux exemples du mi-temps médical, du crédit-temps ou, comme en l’espèce, du congé parental.

Enfin, pour ce qui est du renvoi à la Directive n° 96/34/CE, la cour reprend l’article 2.6 invoqué par l’intimé, selon lequel les droits acquis ou en cours d’acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus dans leur état jusqu’à la fin de celui-ci. A l’issue du congé, ces droits, y compris les changements provenant de la législation, de conventions collectives de pratiques nationales, s’appliquent.

Elle renvoie, sur la question, à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 16 juillet 2009 (C.J.U.E., 16 juillet 2009, Aff. n° C-537/07, GÓMEZ-LIMÓN SÁNCHEZ-CAMACHO c/ INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (INSS), TESORERÍA GENERAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (TGSS) et ALCAMPO SA.). Celui-ci a battu en brèche l’argument relatif à l’absence d’effet direct de la clause 2.6 de l’accord-cadre. Le contenu de la disposition a en effet été considéré par la Cour de Justice comme étant « suffisamment précis pour qu’elle puisse être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge ».

Enfin, la cour considère que l’assureur invoque à tort l’article 37bis de la loi, dans la mesure où celui-ci ne trouve pas à s’appliquer à la situation du travailleur bénéficiaire d’un congé parental. Elle conclut encore à l’existence d’un aménagement temporaire du régime horaire de travail, qui devait prendre fin par la suite, n’eût été l’accident du travail survenu à l’intéressé.

L’appel est également rejeté sur ce point.

Intérêt de la décision

Dans ce très bel arrêt sur la question de la rémunération de base, la Cour du travail de Liège reprend trois points importants. Il est étonnant que la question ait de nouveau été posée quant à l’inclusion de la prime patronale de l’assurance de groupe, vu l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 24 mai 2004, rappelé par la cour, arrêt qui a mis un terme, à l’époque, à une jurisprudence incertaine, les décisions allant, ainsi, parfois dans le sens de l’inclusion et dans d’autres décisions dans celui de la non-inclusion.

Si la question de l’inclusion des libres parcours dans la rémunération de base est par ailleurs intéressante, s’agissant d’un avantage accordé au travailleur pour sa famille, la cour rappelle qu’il s’agit d’un droit contractuel figurant dans le règlement de travail et que, à ce titre, consistant en l’économie d’une dépense, il s’agit d’un élément rémunératoire au sens de l’article 35.

C’est, cependant, sur la question du congé parental que la cour du travail rend un arrêt important. Celui-ci n’est pas la première décision de jurisprudence sur le rapport congé parental/temps plein, pour l’octroi de prestations de sécurité sociale et, particulièrement, pour le calcul de la rémunération de base en accident du travail.

La cour rappelle, sur la question, que, dans son arrêt du 16 juillet 2009, la Cour de Justice de l’Union européenne a considéré que la clause 2.6 de l’accord-cadre est suffisamment précise pour pouvoir être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge, ce qui lui confère un effet direct. Elle renvoie également dans son arrêt à un arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2010 (Cass., 15 février 2010, n° S.07.0027.N), qui a fait application de cette jurisprudence en matière d’indemnité compensatoire de préavis. Il s’agissait d’un travailleur bénéficiant d’un congé parental et licencié.

L’on peut encore souligner que cette situation (congé parental) est admise en jurisprudence comme étant un cas d’application de la « rémunération inférieure à la normale pour des raisons occasionnelles ». Comme souligné par la cour du travail, ceci est admis tant pour le crédit-temps, pour le mi-temps médical que pour le congé parental (pour cette dernière hypothèse, l’on peut utilement renvoyer à C. trav. Liège (div. Namur), 23 mai 2017, R.G. 2011/AN/132 et Trib. trav. Liège (div. Liège), 17 octobre 2017, R.G. 14/401.997/A).


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