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Travailleurs intermittents et droit à la dégressivité des allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 6 novembre 2018, R.G. 2016/AN/152

Mis en ligne le mardi 28 mai 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 6 novembre 2018, R.G. 2016/AN/152

Terra Laboris

Par arrêt du 6 novembre 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) admet la légalité de la modification de l’article 116 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 par celui du 7 février 2014, qui a modifié les catégories de travailleurs intermittents susceptibles de bénéficier de la non-dégressivité des allocations de chômage, et ce même si est constaté un recul de la protection sociale, l’objectif poursuivi relevant de l’intérêt général.

Les faits

Madame B. travaille en qualité de scripte ou d’assistante de réalisation pour des émissions de télévision.

Elle a perçu des allocations de chômage pour les périodes de non-activité et avait bénéficié du système de non-dégressivité des allocations. Après avoir demandé la prolongation de celui-ci, il lui a été demandé par l’ONEm de justifier la présence d’artistes dans les émissions auxquelles elle disait collaborer.

En juillet 2015, l’ONEm refuse de lui accorder la prolongation du bénéfice de l’article 116, § 5bis, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (qui permet la non-dégressivité des allocations de chômage).

Suite au recours qu’elle introduit devant le tribunal du travail, l’intéressée obtient gain de cause, le tribunal rejetant la position de l’ONEm selon laquelle le travail exercé n’est pas une activité de technicien dans le secteur artistique.

Appel est interjeté.

Les décisions de la cour du travail

L’arrêt du 27 septembre 2017

La cour rappelle la définition des activités techniques dans le secteur artistique : il s’agit de celles exercées par un technicien ou dans une fonction de soutien. Celles-ci sont précisées par le texte, qui reprend essentiellement quatre hypothèses, relatives à la préparation ou la représentation d’une œuvre en public, d’une œuvre cinématographique, d’un programme radiophonique ou de télévision d’ordre artistique, ou encore d’une exposition publique d’une œuvre artistique dans le domaine des arts plastiques. Pour la cour, dans l’hypothèse de programmes radiophoniques ou de télévision, ceux-ci doivent être « d’ordre artistique ». Cette exigence n’est pas posée dans les autres cas et aucune définition n’est par ailleurs donnée de la notion « d’ordre artistique » lui-même.

Les programmes étant, en l’espèce, des programmes d’information citoyenne ou ludique, sur le thème de l’Europe ou du Parlement européen, ils ne sont pas visés.

La cour aborde également la question du standstill, qui a été invoquée. Elle pose la question de savoir si la version de l’article 116 de l’arrêté royal (après la modification introduite par l’arrêté royal du 7 février 2014) viole ou non l’obligation de standstill, la protection des travailleurs intermittents contre la dégressivité étant limitée aux travailleurs qui effectuent certaines activités (activité artistique ou activité technique dans le secteur artistique), alors que la version précédente visait tous les travailleurs intermittents, c’est-à-dire ceux occupés dans les liens de contrats de très courte durée de tous les secteurs d’activités (hors Horeca).

La cour estime qu’il y a lieu de vérifier un éventuel recul du niveau de protection sociale des intermittents qui ne sont pas des artistes ou des techniciens du secteur artistique.

L’arrêt du 6 novembre 2018

La cour reprend la position des parties sur les points faisant l’objet de la réouverture des débats.

Pour l’ONEm, qui dépose les avis de son Comité de gestion sur l’arrêté royal du 7 février 2014, il a été question entre autres d’uniformiser la notion d’activité artistique avec l’article 1erbis de la loi du 27 juin 1969, et ce en vue de mettre fin aux abus du statut d’artiste. L’ONEm considère qu’il y a amélioration de la condition des travailleurs intermittents, les règles étant actuellement clarifiées et harmonisées, s’il s’agit effectivement d’artistes. Quant aux autres, il faut revenir aux règles générales, qui auraient toujours dû s’appliquer à ceux-ci. S’il y a un éventuel recul sensible de la protection sociale, il y a une justification, qui réside dans des conditions d’harmonisation et de clarification du régime.

Quant à l’intéressée, elle fait valoir qu’il s’agit effectivement d’un recul sensible de la protection sociale, à savoir la protection contre l’intermittence par la non-dégressivité des allocations. Elle estime que ce recul a été opéré sans motif et, par conséquent, sans motif d’intérêt général. Il y a violation de l’article 23 de la Constitution et le texte doit être écarté.

La cour en vient ensuite à la poursuite de la discussion, reprenant le mécanisme mis en place à l’article 116 de l’A.R. organique.

En matière de sécurité sociale, existe par ailleurs une obligation générale de standstill (garantie à l’article 23 de la Constitution), obligation qui s’oppose à la réduction sensible du niveau de protection offert par une norme sans qu’existe, pour ce faire, de motif lié à l’intérêt général. La cour reprend divers arrêts de la Cour de cassation, dont celui du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F). Pour vérifier le respect de cette obligation, la démarche à suivre est rappelée, étant qu’il faut (i) vérifier l’existence, du fait de l’adoption de la norme contrôlée, d’un recul de protection sociale au sens de l’article 23 par rapport à l’état du droit immédiatement antérieur, (ii) vérifier si ce recul est sensible ou significatif en termes relatifs et non absolus, (iii) vérifier s’il est justifié par des motifs liés à l’intérêt général, c’est-à-dire appropriés et nécessaires à leur réalisation, et (iv) vérifier s’il est proportionné à ces motifs. L’autorité doit démontrer, en cas de recul de protection sociale établi, qu’elle a agi légalement et dans le respect des normes de niveau supérieur qui s’imposent à elle.

En l’espèce, la modification de l’article 116 de l’arrêté royal fait que, pour les travailleurs occupés exclusivement dans les liens de contrats de très courte durée (hors Horeca) et n’effectuant pas des activités artistiques ou des activités techniques dans le secteur artistique, il n’y a plus application des règles de non-dégressivité. La possibilité dont ils disposaient précédemment de maintenir le niveau de leurs allocations de chômage à celui de la troisième phase de la première période d’indemnisation n’existe plus. Le recul de la protection sociale est dès lors établi. La cour constate également que le passage en deuxième puis en troisième période d’indemnisation a des conséquences non négligeables, le tableau annexé à l’article 114 de l’arrêté royal faisant apparaître une diminution immédiate de l’allocation allant jusqu’à 20% du dernier salaire perçu (lui-même ayant été modifié en défaveur de l’assuré social), et ensuite une dégressivité progressive, pour atteindre finalement, avec la troisième période, un montant proche du revenu d’intégration.

La cour examine ensuite l’existence de motifs d’intérêt général de nature à justifier ce recul significatif. Vu l’absence de rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 7 février 2014, elle se tourne vers l’avis du Conseil d’Etat (dont l’examen n’a donné lieu à aucune observation) et vers les avis du Comité de gestion de l’ONEm, dont il ressort que la volonté a été de clarifier le statut des artistes et des travailleurs du secteur artistique. La volonté exprimée est de ramener explicitement son champ d’application au secteur artistique, mais en l’élargissant – par rapport à l’application qui en était concrètement donnée – à tous les artistes et techniciens du secteur. Il s’agit ici, dans l’esprit des auteurs du texte, de revenir à ce qui aurait dû être son champ d’application initial, clarifié et élargi. Pour la cour, l’objectif poursuivi relève de l’intérêt général.

Par ailleurs, elle note le caractère limité du recul en cause, celui-ci ne consistant pas en la perte du droit aux allocations mais uniquement en celle d’un régime favorable de leur calcul, et ce après un certain temps de chômage seulement. Il s’agit d’un retour « au droit commun » et non de l’instauration d’un régime de défaveur.

La cour suit dont la position de l’ONEm.

Intérêt de la décision

Cette affaire est importante, sur la question du champ d’application des bénéficiaires du régime dérogatoire aux règles de dégressivité des allocations de l’article 114 de l’arrêté royal.

La modification introduite par l’arrêté royal du 7 février 2014 se trouve validée, après un examen attentif de la question.

La cour admet la modification du champ d’application des bénéficiaires des mesures de non-dégressivité, s’agissant (hors Horeca) des travailleurs occupés exclusivement dans les liens de contrats de très courte durée effectuant des activités artistiques ou des activités techniques dans le secteur artistique.

L’on retiendra encore que, pour ce qui est des activités techniques dans le secteur artistique, il s’agit, selon le § 8, alinéa 2, de l’article 116, des activités exercées en tant que technicien ou dans une fonction de soutien dans quatre hypothèses, étant (i) la collaboration à la préparation ou à la représentation en public d’une œuvre de l’esprit à laquelle participe physiquement au moins un artiste de spectacle ou à l’enregistrement d’une telle œuvre, (ii) la collaboration à la préparation ou à la représentation d’une œuvre cinématographique, (iii) la collaboration à la préparation ou à la diffusion d’un programme radiophonique ou de télévision d’ordre artistique et (iv) la collaboration à la préparation ou à la mise en œuvre d’une exposition publique d’une œuvre artistique dans le domaine des arts plastiques.

Rappelons que l’arrêt rendu par la cour du travail le 26 septembre 2017 a été précédemment commenté sur SocialEye.


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