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Réparation d’une maladie professionnelle : importance du critère de l’âge

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 7 décembre 2018, R.G. 2018/AL/72

Mis en ligne le mardi 28 mai 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 7 décembre 2018, R.G. 2018/AL/72

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 décembre 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) développe les critères à retenir dans l’appréciation de l’importance du facteur de l’âge sur l’incidence socio-économique d’une invalidité physiologique consécutive à l’existence d’une maladie professionnelle.

Les faits

Une demande est introduite, en avril 2013, auprès du Fonds des Maladies Professionnelles (devenu FEDRIS), aux fins de faire reconnaître une maladie de la liste (affection tendineuse des membres supérieurs). Celle-ci étant refusée, une procédure est introduite et un expert désigné par le tribunal du travail. Dans ses conclusions, il retient un taux d’incapacité physique de 5% à partir de fin décembre 2012, taux porté à 8% en avril 2015. La majoration est due à la constatation d’une extension des atteintes tendineuses au coude droit. Pour ce qui est des facteurs socio-économiques, ils sont fixés à 4% et 6% (selon la période), le taux global étant de 9% et, ensuite, de 14%.

FEDRIS interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

La critique de FEDRIS porte essentiellement sur la répercussion de l’incapacité physiologique objectivée, sur le potentiel économique. Les critères à retenir sont, pour l’Agence, l’âge, les qualifications professionnelles, les facultés d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle, ainsi que la capacité de concurrence résiduaire de la victime sur le marché du travail.

L’Agence estime que le critère de l’augmentation de l’impact de l’incapacité physiologique sur le potentiel de la victime en fonction de l’âge doit être relativisé. En l’espèce, elle reproche au premier juge de s’être fondé exclusivement sur ce critère, l’intéressé ayant 43 ans à la date de prise de cours de son incapacité et 45 ans à la date où l’aggravation a été constatée, sans exposer en quoi l’incapacité physique objectivée a un impact sur les possibilités d’emploi. Elle plaide encore que, vu le caractère limité du taux d’incapacité physiologique, son impact sur la perte de capacité de gain doit également être modéré. L’intéressé poursuivant ses activités sur chantier, l’Agence considère enfin que l’aggravation de la pathologie en avril 2015 n’a pas eu davantage de répercussions sur l’exercice de son métier (ouvrier de chantier).

Quant à l’intimé, il rappelle, sur la question du facteur « âge », qu’il est généralement admis qu’il vient influencer l’impact de l’incapacité physiologique sur le potentiel de la victime, augmentant celui-ci dès lors que l’âge avance.

La décision de la cour

Après avoir rappelé la carrière professionnelle de l’intéressé (scolarité limitée à l’enseignement primaire et à l’enseignement secondaire inférieur en Italie, début de sa période de travail à l’âge de 14 ans en tant qu’ouvrier en mécanique et en carrosserie et occupation, lors de son arrivée en Belgique à l’âge de 18 ans), la cour retient qu’il a été occupé depuis à des travaux dans le secteur du bâtiment, où il preste avec un marteau-piqueur et effectue des gestes répétitifs – pelle, pioche, charges lourdes, transport de pièces importantes).

Vu ce cadre de référence, la cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 1990, qui a repris les principes devant guider l’appréciation des facteurs économiques (Cass., 28 mai 1990, Chr. Dr. Soc., 1991, p. 12), arrêt dont l’enseignement a été confirmé et précisé par une décision du 11 septembre 2006 (Cass., 11 septembre 2006, n° S.05.0037.F). Il faut tenir compte, dans la fixation de l’étendue du dommage, au titre de facteurs socio-économiques, de l’âge, de la qualification professionnelle, des facultés d’adaptation, des possibilités de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence sur le marché de l’emploi. Ce dernier critère est déterminé par les possibilités dont la victime dispose encore, comparée à d’autres travailleurs, d’exercer une activité salariée. Dans son arrêt du 11 septembre 2006, la Cour de cassation a précisé que le taux de l’incapacité physiologique ne constitue pas nécessairement l’élément déterminant pour évaluer le degré d’incapacité permanente.

La cour en vient, dès lors, à l’examen de l’incidence de ce critère d’âge sur le dommage réparable.

Il faut comparer un travailleur âgé, victime d’une maladie professionnelle générant un certain taux d’incapacité physiologique, avec un autre travailleur du même âge et de même formation, mais ne présentant pas ce handicap, ceux-ci allant se trouver tous deux en concurrence sur un marché du travail réduit, qui est celui des travailleurs de leur âge, de leur formation et de leur expérience professionnelle. La cour en vient ainsi à l’examen des chances d’embauche, celles-ci étant objectivement moindres pour le premier travailleur que pour le second, qui a – lui – un avantage concurrentiel indéniable résultant du fait qu’en dépit de son âge, il a conservé intacte sa capacité de travail (7e feuillet). Si l’évaluation des facteurs socio-économiques procède d’une appréciation forfaitaire, il faut refléter l’impact économique de l’incapacité physiologique. La cour souligne encore qu’en cas de licenciement d’une partie du personnel de l’entreprise, le choix de l’employeur se poserait prioritairement – à compétences et rémunérations égales – sur l’ouvrier dont la productivité est la plus faible. L’âge est dès lors un facteur supplémentaire de fragilité sur le marché de l’emploi déjà réduit pour les travailleurs plus âgés. Cette constatation est encore renforcée, vu le secteur des métiers manuels lourds dans lequel le travailleur est tenu d’évoluer.

En ce qui concerne le taux lui-même, la cour renvoie aux conclusions de l’expert, qui ont précisé la justification de celui-ci, s’agissant de chiffrer la pénibilité relativement importante de l’exercice d’un métier qui nécessite l’accomplissement quotidien de gestes et de mouvements rendus difficiles.

Enfin, sur la circonstance que l’intéressé poursuit son activité, la cour rappelle que les facteurs socio-économiques consistent en une évaluation forfaitaire de l’incidence de la pathologie et que, si celui-ci a pu se maintenir sur le marché du travail, c’est grâce à la volonté dont il a fait preuve et que cette circonstance ne peut occulter la pénibilité plus grande des tâches qu’il doit accomplir.

Intérêt de la décision

Les critères de la réparation ont, comme le rappelle la cour du travail, été fixés dans un arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 1990. Pour ce qui est des éléments permettant d’apprécier les facteurs socio-économiques intervenant dans le cadre de la réparation du risque professionnel, ces critères sont identiques en accident du travail.

L’intérêt particulier de l’arrêt de la cour du travail est l’appréciation qu’elle fait de l’importance du critère de l’âge dans la répercussion socio-économique d’une incapacité physiologique.

La cour part du principe qu’un travailleur dans la quarantaine a déjà un marché du travail réduit par rapport à un travailleur plus jeune et que, s’il est comparé à un autre travailleur du même âge, de la même formation et avec les mêmes compétences, il présente une capacité réduite et sera davantage exposé soit à ne pas être engagé, soit à être licencié en priorité.

Dans son arrêt du 11 septembre 2006, la Cour de cassation avait accueilli un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, qui avait ramené à 20% le taux d’incapacité permanente de travail évalué par un collège d’experts à 39%, au motif que l’incapacité physique de travail serait la part déterminante de l’incapacité permanente et que l’incapacité de travail due aux facteurs socio-économiques devrait varier, de manière significative, selon l’importance de l’incapacité physique. Pour la Cour de cassation, il y a violation de l’article 35 des lois coordonnées du 3 juin 1970.


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