Commentaire de C.J.U.E., 13 février 2019, Aff. n° C-179/18 (ROHART c/ FEDERALE PENSIOENDIENST)
Mis en ligne le mardi 25 juin 2019
Cour de Justice de l’Union européenne, 13 février 2019, Aff. n° C-179/18 (ROHART c/ FEDERALE PENSIOENDIENST)
Terra Laboris
Dans un arrêt du 13 février 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne, saisie par le Tribunal du travail de Gand, rappelle sa jurisprudence WOJCIECHOWSKI, selon laquelle les Etats membres doivent – en l’occurrence en matière de pension de retraite – respecter les principes du droit de l’Union, dont celui de la coopération loyale, sans entraver l’exercice par un citoyen européen d’une activité professionnelle au sein des institutions de l’Union.
Les faits
Le requérant a travaillé en Belgique en tant que salarié pendant près de trois ans au début des années 1970. Il est ensuite devenu fonctionnaire à la Commission européenne, où il a travaillé jusqu’à son départ à la retraite en 2009 (avec une année d’interruption entre 1974 et 1975, année pendant laquelle il a accompli son service militaire). Depuis sa pension de retraite, il perçoit une pension de l’Union européenne et également une pension belge en tant que travailleur salarié.
Le SPF Pensions a revu ses droits en la matière, en mai 2017, et ce eu égard à la jurisprudence de la Cour de Justice (C.J.U.E., 10 septembre 2015, Aff. n° C-408/14, WOJCIECHOWSKI), mais ne prend pas en compte la période de service militaire.
L’intéressé en demande l’assimilation, mais la décision est négative, au motif qu’il n’était pas travailleur au sens de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés (n’étant pas travailleur au sens de cet arrêté au moment de son service militaire et ne l’ayant pas été non plus au cours des trois années suivantes).
Une procédure est introduite et le Tribunal du travail de Gand rend un jugement le 22 février 2018, posant une question préjudicielle à la Cour de Justice. Il relève que la période de service militaire n’a pas été prise en compte, ni pour le calcul de la pension dans le cadre européen ni pour celui effectué dans le cadre belge.
La question posée est double, étant la contrariété éventuelle des conditions posées par la loi belge au Statut ainsi qu’au principe de coopération loyale (article 4, § 3, T.U.E.). Le tribunal relève que la période de service militaire obligatoire aurait été prise en compte pour le calcul de la pension belge s’il avait poursuivi sa carrière en tant que salarié, fonctionnaire ou indépendant, ou encore s’il avait poursuivi une telle carrière dans un autre Etat membre. L’intéressé subit un préjudice du fait qu’il a été fonctionnaire de l’Union.
La question préjudicielle
La question porte sur le principe de coopération loyale (article 4, § 3, T.U.E.) envisagé en liaison avec le Statut, étant de savoir si ce principe s’oppose à ce que la réglementation de l’Etat membre ne permette pas de tenir compte du service militaire accompli par le travailleur dans celui-ci au motif qu’au moment du service militaire et après celui-ci, il était, de manière ininterrompue, fonctionnaire européen.
La décision de la Cour
Après avoir rappelé que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des Etats pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et donc de déterminer les conditions d’octroi des prestations, la Cour reprend le principe à la base de la coordination, étant que, dans l’exercice de leurs compétences, les Etats doivent respecter le droit de l’Union, qui inclut les principes dégagés dans la jurisprudence de la Cour. Elle renvoie ici à l’arrêt WOJCIECHOWSKI du 10 septembre 2015.
Par ailleurs, le Statut (figurant dans le Règlement n° 259/68) a une portée générale et est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout Etat membre. Il oblige dès lors ceux-ci dans toute la mesure où leur concours est nécessaire à sa mise en œuvre (même décision).
La Cour rappelle qu’elle a, à diverses reprises, dans des affaires précédentes, jugé que les réglementations nationales pouvaient rendre plus difficile le recrutement par les institutions ou les organes de l’Union de fonctionnaires nationaux ayant une certaine ancienneté et que celles-ci étaient dès lors susceptibles de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union. Les travailleurs en cause pouvaient constater que, s’ils acceptaient un tel emploi, ils risquaient de perdre la possibilité de bénéficier, au titre de pension, d’une prestation de vieillesse à laquelle ils auraient eu droit.
Ces conséquences ont été jugées contraires à l’article 10, C.E. (et actuellement à l’article 4, § 3, T.U.E.). Les Etats membres doivent en effet faciliter à l’Union l’accomplissement de sa mission. L’arrêt WOJCIECHOWSKI a été rendu en matière de réduction (ou refus) de pension au motif d’une carrière exercée par la suite au sein d’une institution de l’Union. La Cour y a jugé qu’une telle réglementation était également de nature à rendre plus difficiles non seulement le recrutement de fonctionnaires ayant une certaine ancienneté, mais également leur maintien au service de ces institutions.
Tel est également le cas en l’espèce, la réglementation belge ayant un caractère dissuasif. Celui-ci est renforcé par la circonstance que le régime de pension national exige un nombre minimum d’années d’activité pour bénéficier d’une pension et que la non-prise en compte d’une période de service militaire peut entraîner, dans certains cas, non seulement une diminution du montant de la pension, mais également l’absence de droit à celle-ci.
La Cour de Justice rejette à cet égard l’argument du Gouvernement belge selon lequel, pendant la période concernée, l’intéressé n’a pas versé de cotisations de sécurité sociale, dès lors que tel est également le cas pour les autres hypothèses d’assimilation.
N’est pas davantage pertinente la circonstance qu’en vertu de l’article 42 du Statut, l’intéressé aurait pu effectuer un versement rétroactif au régime de pension de l’Union, cette disposition étant une simple faculté laissée au choix du fonctionnaire, s’agissant d’une contribution volontaire. Elle ne peut entraîner une perte de droit au régime de pension national.
La Cour répond dès lors que la réglementation belge examinée n’est pas conforme vu que, lors de la détermination des droits à la pension d’un travailleur qui a occupé un emploi salarié en Belgique avant de devenir fonctionnaire européen et qui a accompli, une fois devenu fonctionnaire, son service militaire obligatoire, il est refusé à ce travailleur le bénéfice de l’assimilation, alors qu’il y aurait eu droit s’il avait exercé, au moment où il a été appelé sous les drapeaux (ou au moins pendant une courte période ultérieure fixée par la réglementation), un emploi relevant du régime de pension national.
Intérêt de la décision
Cet arrêt intervient dans le droit fil de la jurisprudence WOJCIECHOWSKI (C.J.U.E., 10 septembre 2015, Aff. n° C-408/14 – précédemment commenté). Celui-ci a été rendu suite à une question préjudicielle posée par le Tribunal du travail de Bruxelles par jugement du 19 août 2014. Il concernait l’unité de carrière et la non-prise en compte de la partie excédant l’unité, la carrière prise en considération pour le calcul de la pension de retraite belge étant diminuée d’autant d’années que nécessaire pour ramener ce total à l’unité. Ce régime, prévu par l’article 17bis de l’arrêté royal n° 50, avait été considéré par le Tribunal du travail de Bruxelles comme pouvant rendre plus difficile le recrutement par l’Union européenne de fonctionnaires de nationalité belge ayant une certaine ancienneté.
La Cour de Justice a rendu son arrêt le 10 septembre 2015, considérant que, si le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, dans le cadre de cette compétence, ils doivent cependant respecter les principes du droit de l’Union, dont celui de la coopération loyale des Etats membres en liaison avec le statut des fonctionnaires européens. Ce principe s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas de tenir compte des années de travail qu’un ressortissant de l’Union a accomplies au service d’une institution de l’Union aux fins d’ouvrir un droit à une pension de retraite anticipée au titre de régime national. Il en va de même pour la pension de retraite ordinaire. De telles réglementations peuvent en effet rendre plus difficile le recrutement par les institutions ou les organes de l’Union de fonctionnaires nationaux ayant une certaine ancienneté. Elles peuvent ainsi entraver - voire décourager - l’exercice d’une activité professionnelle dans la mesure où, en acceptant un tel emploi, le travailleur qui a précédemment été affilié à un régime de pension nationale risque de perdre le bénéfice d’une prestation.