Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 décembre 2019, R.G. 2018/AB/916 et 2018/AB/926
Mis en ligne le lundi 29 juin 2020
Cour du travail de Bruxelles, 2 décembre 2019, R.G. 2018/AB/916 et 2018/AB/926
Terra Laboris
Dans un arrêt du 2 décembre 2019, renvoyant au libellé de portée générale de l’article 582, 1°, du Code judiciaire, la Cour du travail de Bruxelles conclut que, les juridictions du travail pouvant connaître de demandes fondées sur des faits qui se sont produits après la décision administrative prise par l’Etat belge, le juge peut notamment se placer à une date postérieure au premier jour du mois qui suit la demande administrative, aux fins de vérifier la condition de revenus.
Les faits
Suite à un refus d’octroi d’une allocation de remplacement de revenus ainsi que d’une allocation d’intégration, Mme X. introduit un recours devant le tribunal du travail.
Après avoir vérifié la condition de revenus, le tribunal désigne un expert par jugement du 17 mai 2017 et il videra sa saisine par un nouveau jugement, en date du 3 octobre 2018, condamnant l’Etat belge au paiement de l’allocation de remplacement de revenus (catégorie C) ainsi que d’une allocation d’intégration (catégorie 1). En outre, il accorde les avantages sociaux et fiscaux, les conditions médicales étant remplies.
Position des parties devant la cour
L’Etat belge, appelant, conteste l’octroi de l’allocation de remplacement, et ce avec effet rétroactif au 1er janvier 2016, considérant que la décision prise à cette date ne peut être revue, vu l’absence d’augmentation de revenus de 20% entre les années 2014 et 2015 ainsi qu’entre 2015 et 2016.
Pour l’intéressée, le calcul de l’allocation de remplacement a été fait dans le jugement avant dire droit, jugement contre lequel aucun appel n’a été interjeté. Par ailleurs, elle plaide que le juge a un pouvoir de pleine juridiction pour toute la période dont il est saisi et qu’il doit examiner les droits de l’assuré social sur celle-ci, et ce jusqu’à sa décision.
La décision de la cour
La cour procède en premier lieu à un long rappel du mécanisme légal concernant les dispositions en matière de revenus. L’article 7, § 1er, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées dispose que celles-ci ne peuvent être accordées que si le montant du revenu de la personne handicapée et celui de celle avec laquelle elle forme un ménage ne dépassent pas le montant des allocations fixé par la loi. L’arrêté royal d’exécution du 6 juillet 1987 fixe les règles en la matière, étant celle relative à l’année de référence (année -2), l’article 9 contenant une règle dérogatoire prévoyant qu’il est tenu compte de l’année -1, par exception à la règle de l’année -2, lorsque les revenus de celle-ci ont diminué ou augmenté de 20% au moins par rapport aux revenus de l’année -2.
La cour rappelle encore les dispositions en matière de révision d’office (étant l’article 23 de l’arrêté royal du 22 mai 2003), dont elle reprend toutes les hypothèses prévues par le législateur (article 23, § 1er, 1° à 6°). Enfin, elle renvoie également à la possibilité pour la personne handicapée de déposer une nouvelle demande lorsque des modifications sont intervenues qui justifient l’octroi ou l’augmentation des allocations.
La cour constate, en l’espèce, que l’intéressée avait formé sa demande le 16 novembre 2015. L’Etat belge a dès lors pris en compte comme date de référence le 1er décembre 2015. Sa décision est intervenue le 24 juin 2016 (refus). En application des dispositions légales, les revenus à prendre en considération (année -2) sont les revenus de 2013 ou (année -1 en cas de modification à la hausse ou à la baisse de 20%) 2014.
La cour retient également qu’il n’y a aucun motif justifiant une révision d’office en application de l’article 23 ci-dessus, les hypothèses prévues n’étant pas rencontrées.
Elle constate cependant que, si l’on se place en décembre 2015 et que l’on examine les revenus 2013, après abattement, ils sont supérieurs au montant de l’allocation de remplacement de revenus à la date du 1er décembre 2015.
Le premier juge a quant à lui retenu le 1er janvier 2016, qui permettrait de conclure que les revenus à ce moment ne font plus obstacle à l’octroi de l’allocation de remplacement de revenus. Ce changement de date de départ est contesté par l’Etat belge. La cour relève cependant que celui-ci n’a pas interjeté appel du jugement, qui a retenu cette date.
Elle confirme dès lors le jugement sur ce point, même si, en vertu de l’article 17 de l’arrêté royal du 22 mai 2003, la date éventuelle d’octroi ne pouvait être fixée qu’au 1er décembre 2015.
La cour rappelle que l’intéressée pouvait introduire une nouvelle demande si des modifications étaient intervenues, justifiant l’octroi ou l’augmentation des allocations, et que, dans la mesure où il est certes exact qu’elle n’a pas introduit une telle demande auprès de l’Etat belge, elle a néanmoins saisi le tribunal d’une contestation portant sur un droit à une allocation de remplacement de revenus à partir du 1er décembre 2015.
L’article 582, 1°, du Code judiciaire autorise, par ailleurs, le tribunal à connaître des contestations relatives aux droits en matière d’allocations aux personnes handicapées. Le juge peut dès lors connaître d’une demande fondée sur des faits qui se sont produits après la décision administrative. La cour renvoie à plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 8 septembre 2003, n° S.03.0019.N et Cass., 30 avril 2001, n° S.00.0083.F), reprenant, comme exemple, une modification de l’état de santé de l’intéressé.
La cour conclut que sa saisine n’est pas limitée à la question de l’octroi d’une allocation de remplacement de revenus à la date du 1er décembre 2015.
Elle confirme la position du premier juge et rejette encore l’argument de l’Etat belge selon lequel il n’y avait pas matière à procéder à une révision d’office (les conditions de celle-ci n’étant pas visées), précisant encore que la juridiction est saisie en vue d’examiner les droits de la personne handicapée à une allocation de remplacement de revenus entre le 1er décembre 2015 et le jour du prononcé de sa décision.
Intérêt de la décision
Dans cette affaire, le tribunal du travail a admis de modifier (légèrement) la date de point de départ du droit aux allocations, ce déplacement ayant une incidence en l’espèce déterminante pour ce qui est de la condition de revenus.
Quoique l’Etat belge n’ait pas interjeté appel du jugement, nul doute que, s’il l’avait fait, la cour du travail aurait abouti à la même conclusion. L’on notera que la cour motive, surabondamment, quant au fond de la question. Celle-ci trouve sa réponse dans la règle générale de l’article 582, 1°, du Code judiciaire, selon lequel les juridictions du travail connaissent des contestations relatives aux droits en matière d’allocations aux personnes handicapées ainsi que des contestations en matière d’examens médicaux effectués en vue de l’attribution des avantages sociaux et fiscaux prévus dans ce secteur.
La Cour de cassation a été amenée à rendre plusieurs décisions au début des années 2000, confirmant que les juridictions du travail peuvent connaître des demandes fondées sur des faits qui se sont produits après la décision administrative, la référence dans l’arrêt étant faite à la modification de l’état de santé.
La saisine du juge n’est dès lors pas, pour ce qui est de la période visée, limitée à l’application de la règle de l’année -2 ou de l’année -1 à partir du premier jour du mois qui suit la demande faite auprès de l’Etat belge.
L’arrêt est d’importance, comme on le voit, eu égard aux effets favorables pour l’assuré social du déplacement de la date de départ.
Enfin, rappelons que la compétence des juridictions vaut pour les « contestations relatives aux droits en matière d’allocations aux personnes handicapées », s’agissant d’un libellé très large, qui est susceptible de couvrir tout événement survenu après la décision administrative et susceptible d’influer sur le droit aux prestations.