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Congé sans solde : droit aux indemnités de mutuelle ?

C. trav. Bruxelles, 28 novembre 2019, R.G. 2017/AB/918

Mis en ligne le mardi 11 août 2020


Dans un arrêt rendu le 28 novembre 2019, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions d’octroi et de maintien de l’assurabilité aux indemnités d’incapacité de travail, et ce à l’occasion d’un congé sans solde convenu entre travailleur et employeur.

Les faits

Un travailleur occupé depuis 2012 dans un établissement HORECA introduit une demande de congé sans solde en mai 2014, pour une période de près de six mois, qui va débuter le 1er décembre.

Pendant celle-ci, il tombe en incapacité de travail et introduit une demande d’indemnisation auprès de son organisme assureur. Son incapacité de travail sera prolongée.

Par décision du 28 septembre 2015, la mutualité refuse d’intervenir, au motif qu’il y a une interruption de plus de trente jours entre le dernier jour de travail (ou de chômage) et le début de l’incapacité. Il s’agit d’une application de l’article 131 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. L’employeur a en effet informé l’organisme assureur du congé sans solde depuis le 1er décembre 2014.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant Wallon (div. Wavre), qui accueille le recours par jugement du 22 septembre 2017. La décision administrative est mise à néant et le demandeur se voit confirmé dans son droit aux indemnités d’incapacité après la période couverte par le salaire garanti.

L’organisme assureur interjette appel.

Les arrêts de la Cour du travail

L’arrêt du 25 avril 2019

Il s’agit d’un arrêt interlocutoire. Une réouverture des débats a été ordonnée, vu le dépôt de pièces jointes à l’avis du Ministère public. La cour a souhaité, dans cette décision, que les parties débattent contradictoirement des pièces nouvelles.

L’arrêt du 28 novembre 2019

La cour reprend l’article 131 de la loi coordonnée, qui dispose que les indemnités d’incapacité de travail ne sont dues aux titulaires qu’à la condition qu’il ne se soit pas écoulé une période ininterrompue de plus de trente jours entre la date du début de l’incapacité et le dernier jour d’une période où ceux-ci avaient la qualité de titulaire au sens de l’article 86, §1er ou étaient reconnus incapables de travailler au sens de la loi.

La portée de cette disposition doit être comprise par un rappel des conditions générales d’intervention de l’assurance-indemnités.

Les personnes qui ont la qualité de titulaire sont définies à l’article 86, §1er, de la loi. Parmi celles-ci figurent les travailleurs assujettis à l’assurance obligatoire indemnités (loi du 27 juin 1969), c’est-à-dire ceux qui sont liés par un contrat de travail.

Le droit aux indemnités suppose une période d’attente, à savoir le stage. Les indemnités ne sont dès lors pas dues au premier jour de l’assujettissement du travailleur.

La cour rappelle les conditions du stage, qui est de six mois. Celui–ci suppose (i) une occupation minimum (totalisation d’au moins 120 jours de travail en ce compris les journées assimilées) et (ii) le paiement effectif des cotisations destinées au secteur des indemnités pendant cette période de stage. Des cotisations doivent avoir en effet avoir été prélevées à la source sur la rémunération (avec un complément éventuel si celles-ci n’atteignent pas le minimum requis par l’article 286 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996).

Le stage connaît des exceptions, étant la possibilité de suppression ou de réduction pour certaines catégories de personnes (article 205 du même arrêté). Ces conditions peuvent également être modalisées.

Une fois le stage accompli, le titulaire peut bénéficier des indemnités à la condition qu’il ne se soit pas écoulé une période ininterrompue de plus de trente jours entre le dernier jour d’une période pendant laquelle il avait la qualité de titulaire (ou était reconnu incapable de travailler) et la date de prise de cours de l’incapacité.

En outre, si le stage a été accompli, le droit aux indemnités d’incapacité est conservé jusqu’à la fin du trimestre qui suit celui de la fin de ce stage. Pour la suite, soit à l’expiration de ce trimestre, le travailleur pourra bénéficier des indemnités si certaines conditions sont remplies pour les 2e et 3e trimestres précédant celui au cours duquel il introduit la demande.

Il doit, pour ce, établir que (i) il a conservé sa qualité de titulaire pendant 120 jours de travail (ou assimilés) pendant ce trimestre et (ii) qu’il a versé pour la période correspondante des cotisations d’un montant suffisant (avec possibilité de complément). La prise en charge reste cependant toujours conditionnée par l’article 131 (la cour renvoyant aux Guide Social Permanent, Sécurité sociale : commentaires, Partie I, Livre III, Chapitre III, 1, n° 410 et 420.

Renvoyant également à la doctrine de S. HOSTAUX (S. HOSTAUX, Le droit à l’assurance soins de santé et indemnités, Larcier, Bruxelles, 2009, p.196), la cour rappelle que l’assujettissement doit être maintenu après l’accomplissement du stage. Une période ininterrompue de non-assujettissement de plus de trente jours va en effet priver le titulaire du droit aux indemnités. Ainsi, si entre deux périodes d’incapacité, le travailleur n’a pas repris le travail ou ne s’est pas inscrit au chômage.

Il y a dès lors trois conditions régissant l’assurabilité en matière d’assurance-indemnités : (i) l’assujettissement à la sécurité sociale, (ii) le respect d’une condition de stage et (iii) une obligation de cotisation.

En l’occurrence, aucune cotisation n’a été versée pendant la période de congé sans solde. Est sans incidence le fait que le contrat était toujours en vigueur lorsque le travailleur est tombé en incapacité de travail. Il n’a pas maintenu la qualité de titulaire du droit au sens de l’article 86 et il ne peut non plus avoir retrouvé cette qualité à l’expiration d’une période d’assurance continuée. Celle-ci permet en effet dans des cas dignes d’intérêt de conserver sous certaines conditions la qualité de titulaire pendant une période déterminée et cette faculté est ouverte en cas de congé sans solde.

Or, elle n’a en l’espèce pas été sollicitée, une demande devant être faite à cette fin et des cotisations personnelles devant être payées. La cour ajoute que celle-ci n’étant autorisée qu’un maximum de trois mois par année civile, l’incapacité de travail (qui a pris cours fin avril) ne pouvait dès lors être couverte.

La cour réforme en conséquence la décision du tribunal du travail et rétablit la décision administrative.

Intérêt de la décision

Les faits en cette espèce sont simples et ne prêtent pas à discussion.

La question juridique est cependant importante – et d’ailleurs peu souvent rencontrée, s’agissant des effets en sécurité sociale d’une suspension conventionnelle du contrat de travail et particulièrement en l’espèce de la couverture dans le cadre de l’assurance-indemnités.

Dans cette hypothèse de suspension conventionnelle, qui implique l’absence de toute prestation, l’employeur n’est pas tenu de verser des cotisations de sécurité sociale. Rien n’interdirait cependant de le faire.

A défaut, s’appliquent à cette hypothèse les règles générales en matière d’octroi et de maintien de l’assurabilité, dont l’exigence que ne soit pas constaté un « trou » de plus de trente jours ininterrompus entre la situation ouvrant le droit aux indemnités et la survenance de l’incapacité de travail elle-même.

La loi cordonnée le 14 juillet 1994 a prévu, avec son arrêté royal d’exécution, la possibilité de couvrir cette période si une incapacité devait survenir pendant cette suspension contractuelle.
Il s’agit de l’assurance continuée, qui permettra le maintien de cette assurabilité.

La cour rappelle cependant que celle-ci n’est admise qu’à concurrence de trois mois par année civile, qu’elle doit faire l’objet d’une demande et que des cotisations sont à payer.

Prudence donc …


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