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Burnout dans le secteur public : conditions

Trib. trav. Liège (div. Verviers), 28 novembre 2019, R.G. 18/213/A

Mis en ligne le mardi 15 septembre 2020


Dans un jugement du 28 novembre 2019, le tribunal du travail de Liège (division Verviers) reprend, à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour de Cassation, les conditions d’une réparation pour burnout, dans le secteur des maladies professionnelles, s’agissant d’un membre du personnel du secteur public.

Rétroactes

Une employée communale occupée dans le secteur public introduit en juin 2016 une demande de réparation pour une maladie qui ne figure pas sur la liste belge des maladies professionnelles. Il s’agit d’un burnout. L’employeur public conclut, sur la base des documents médicaux, que la maladie en cause (état anxio-dépressif chronique) ne trouve pas sa cause directe et déterminante dans l’exercice de la profession.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Liège, division de Verviers, en mars 2018.

À l’appui de son recours, l’intéressée dépose un rapport médical circonstancié, concluant à une incapacité temporaire totale du 1er mars 2016 au 1er septembre 2016, à une incapacité temporaire partielle de 50% jusqu’à la date de rédaction du rapport. L’incapacité permanente partielle est estimée à 15%.

Pour la Ville, il y a renversement de la présomption légale, l’employeur estimant d’abord que les heures de travail prestées, en comparaison avec celles de collègues, ne constituent pas une surcharge de travail. Par ailleurs, elle constate qu’aucune plainte (formelle ou informelle) n’a été déposée pour harcèlement. Elle estime qu’il y a état antérieur, auquel le burnout doit être attribué.

FEDRIS (partie intervenante volontaire) développe la thèse selon laquelle la législation relative aux maladies professionnelles n’est pas applicable en l’espèce. L’Agence fait référence au stress et au harcèlement en tant que risques psycho-sociaux, ceux-ci étant visés par la loi du 4 août 1996. À titre subsidiaire, elle conteste que les conditions d’indemnisation légale soient remplies. Cette partie conclut également sur la notion de burnout, qui ne pourrait être causé par des faits de harcèlement mais serait la conséquence d’un long processus et revient sur la légalité de la présomption d’exposition dans le secteur public, qu’elle « remet en cause » (selon le jugement) et ce eu égard à la jurisprudence récente de la Cour de Cassation. Dans l’hypothèse où cette présomption d’exposition doit être appliquée, il y aurait discrimination, justifiant d’interroger la Cour constitutionnelle.

A supposer que la discrimination ne soit pas retenue, elle pose la question de la définition de l’exposition au risque dans le secteur public.

Enfin, sur le renversement de la présomption d’exposition, elle estime que l’exposition au stress ne peut constituer l’exposition au risque professionnel de contracter une affection déterminée, la population en général étant touchée par cette pathologie en-dehors de toute influence nocive liée à l’exercice d’une profession et, sur le lien déterminant et direct, elle fait valoir que le burnout est d’origine multifactorielle (antécédents en l’espèce et état psychologique).

La décision du tribunal

Le tribunal expose le cadre légal, avec les particularités des règles valant dans le secteur public. L’arrêté royal applicable en l’espèce est celui du 21 janvier 1993 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles en faveur de certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locales. Il reprend le renvoi fait aux articles 30 et 30 bis des Lois coordonnées le 3 juin 1970 (secteur privé). Par ailleurs, sur la notion de burnout, il rappelle la définition donnée dans la doctrine médicale, le burnout désignant un syndrome d’épuisement professionnel, et étant une réponse de l’organisme au stress professionnel permanent et prolongé, phénomène qui peut toucher n’importe quel individu au travail.

Sur l’exposition au risque professionnel dans le secteur public, rappel est fait de l’arrêt de la Cour de Cassation du 4 avril 2019 (Cass., 4 avril 2016, R.G. S.14.0039.F), où l’application au secteur public de l’article 32 des lois coordonnées a été rejetée par la Cour suprême. En conséquence, pour le tribunal, la condition d’exposition au risque est régie exclusivement par l’arrêté royal d’exécution de la loi du 3 juillet 1967 applicable, soit en l’espèce l’arrêté royal du 21 janvier 1993.

La question de savoir si cette jurisprudence est applicable pour les maladies hors liste a été tranchée le 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, R.G. S.18.0001.F). Il s’agit d’un autre arrêt de principe, dont le tribunal reprend de très larges extraits. La Cour a notamment jugé que l’application de la présomption d’exposition au risque professionnel n’est pas limitée aux seules maladies professionnelles reprises sur la liste dressée par le Roi mais s’étend aux maladies qui, tout en ne figurant pas sur cette liste, trouvent leur cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession, au sens de l’article 30 bis de celles-ci.

Pour un cas d’application de cette jurisprudence, le tribunal renvoie à un jugement du tribunal du travail du Hainaut du 7 mars 2019 (Trib. trav. Hainaut (division La Louvière) 7 mars 2019, R.G. 17/31/A).

Le tribunal passe ensuite à l’examen de la légalité de cette présomption d’exposition, vu la question de l’habilitation qui aurait (ou non) été donnée au Roi par l’article 30 bis pour édicter des présomptions. Le tribunal répond par l’affirmative.

Quant à la question de savoir s’il y a discrimination, le tribunal rappelle que le législateur a prévu deux systèmes juridiques différents et que la Cour constitutionnelle a validé des différences de traitement entre les travailleurs des deux secteurs (secteur privé et secteur public), le tribunal renvoyant notamment à l’arrêt du 9 août 2012 (C. cons. 9 août 2012, n° 102/2012, ainsi qu’à de la jurisprudence antérieure). Le principe rappelé par la Cour constitutionnelle est que l’objectif poursuivi par le législateur est de donner au personnel du secteur public le bénéfice d’un régime comparable à celui déjà applicable dans le secteur privé, le statut des fonctionnaires comportant cependant des particularités justifiant dans certains cas l’adoption de règles propres. Il y a donc des différences objectives entre les deux catégories de travailleurs et celles-ci justifient, pour la Cour constitutionnelle, des systèmes différents.

Il n’y a dès lors pas de discrimination.

Enfin, le tribunal en vient à la notion de lien déterminant et direct. Les principes sont également rappelés, étant que le lien de causalité ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive de la maladie (une prédisposition n’étant pas exclue) et que le risque professionnel ne doit pas être la cause principale de celle-ci.

Après ce rappel complet, le tribunal en vient à l’examen des éléments de l’espèce, reprenant les éléments de preuve à charge de la partie demanderesse. Sur la question de l’interaction avec les faits de harcèlement, le tribunal rappelle qu’il est possible d’introduire une demande uniquement dans le régime du risque professionnel, la loi du 4 août 1996 n’imposant pas au travailleur qui s’estime victime de faits de harcèlement d’introduire une demande sur pied de la loi bien-être.

Dans le cadre de l’examen des éléments de preuve, le tribunal déplore l’insuffisance d’éléments apportés par la partie demanderesse, notamment quant à des demandes faites en vue de changer d’affectation, ainsi que d’autres faits à l’appui de sa demande.

Il pointe, dans la chronologie des éléments relatés, que la dégradation des relations est consécutive à des discussions tournant autour de la déclaration d’un accident de roulage, suite auquel elle aurait été accusée de faux. Cet incident avait, à l’époque, donné lieu à une période d’incapacité de travail.

L’ensemble des événements postérieurs à cet accident (notamment une instruction apparemment menée à charge) pourrait être mis en lien avec le burnout. Le tribunal renvoie en effet à un arrêt de la Cour de Cassation du 13 octobre 2003 (Cass., 13 octobre 2003, S.02.0048.F), où a été admis qu’une situation de stress lors d’une réunion pouvait constituer un événement soudain (dans le régime des accidents du travail). Il souligne également que l’état de stress n’implique pas nécessairement une agression, ni même des violences (renvoyant ici à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 26 octobre 2015 (C. trav. Brux. 26 octobre 2015, R.G. 2010/AB/89)). D’autres décisions sont citées, faisant le lien entre des situations stressantes ayant pu entraîner une lésion et la question du risque professionnel.

Force lui est cependant de constater que les éléments de preuve sont manquants pour faire droit à la demande. Le tribunal déboute dès lors la partie demanderesse de celle-ci.

Intérêt de la décision

Deux arrêts ont été rendus par la Cour de Cassation sur la présomption d’exposition au risque dans le secteur public. Ils sont très utilement rappelés par le tribunal dans sa décision, puisqu’ils constituent des jalons importants de l’analyse de la question du risque professionnel dans ce secteur.

Dans l’arrêt du 4 avril 2016 (Cass. 4 avril 2016, n° S.14.0039.F – précédemment commenté) la Cour suprême a jugé que la condition d’exposition au risque dans le secteur public ne doit pas passer par la référence traditionnelle à l’article 32 des Lois coordonnées dans le secteur privé.

Cet arrêt a fait l’objet d’un commentaire circonstancié en doctrine (B. GRAULICH et S. REMOUCHAMPS, « Condition d’exposition au risque dans le secteur public : la référence (traditionnelle) à l’article 32 des Lois coordonnées n’a pas lieu d’être », consultable sur Terra Laboris : maladies professionnelles – spécificités dans le secteur public – présomption d’exposition au risque).

Est venu préciser le champ d’application de la présomption un autre arrêt de principe, celui-ci du 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.001.F – également précédemment commenté). Dans cet arrêt, statuant dans le cadre de l’arrêté royal du 30 mars 2001 (services de police), elle a précisé que cette présomption n’est pas limitée aux maladies de la liste mais s’étend à toutes celles qui tout en ne figurant pas sur celle-ci trouvent leur cause directe et déterminante dans l’exercice de la profession au sens de l’article 30 bis des Lois coordonnées.

L’on constatera que la position de FEDRIS était en l’espèce de mettre en cause cet enseignement, position qui n’a pas été suivie par le tribunal, celui-ci ayant constaté que la jurisprudence des juges du fond se rallie à ces décisions de principe et qu’il n’y a pas lieu d’interroger la Cour constitutionnelle sur l’existence d’une éventuelle discrimination, des différences objectives existant entre les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public à cet égard, différences qui justifient des mesures spécifiques dans l’un ou l’autre de ceux-ci.


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