Terralaboris asbl

Contrat d’artiste : conditions de validité

Trib. trav. Liège (div. Liège), 10 février 2020, R.G. 19/320/A

Mis en ligne le mardi 15 septembre 2020


Par jugement du 10 février 2020, le tribunal du travail de Liège (division Liège) annule une décision de désassujettissement de l’O.N.S.S., décision prise au motif de l’absence de lien de subordination entre le travailleur et l’asbl qui l’avait engagé.

Les faits

Le demandeur est un artiste musicien. Depuis une vingtaine d’années a été constituée une asbl en vue d’encadrer son activité. L’intéressé en est membre adhérent. De manière habituelle, il est engagé par SMart pour exécuter ses prestations, celles-ci étant commandées par l’asbl. Pour certaines de celles-ci, intervenues en 2016, l’asbl a conclu avec l’intéressé des contrats de travail a posteriori, contrats déclarés via l’UCM, SMart ayant refusé de le faire.

Une demande de réduction de cotisations de sécurité sociale pour deux trimestres 2016 a dès lors été introduite (groupe cible « premiers engagements »).

Est alors intervenue une enquête de l’O.N.S.S., qui semblait se clôturer favorablement, dans la mesure où les cotisations sociales avaient été versées et les sanctions payées. Les conséquences du refus des déclarations établies aurait, par ailleurs, été graves pour l’intéressé, qui aurait perdu son statut.

L’Office estima cependant ne pas pouvoir faire d’exception aux principes et décida de désassujettir le demandeur pour son occupation pendant deux semestres en 2016.

Un recours fut introduit contre cette décision, par l’asbl et par l’artiste.

Position des parties devant le tribunal

Les demandeurs concluent à l’existence d’un contrat de travail valable, le lien de subordination étant présent. À titre subsidiaire, ils sollicitent l’application de l’article 1bis de la loi du 27 juin 1969, même si l’intéressé ne possédait pas encore de visa d’artiste en 2016. Ils précisent que l’asbl est le donneur d’ordre, qui reçoit des commandes de prestations. En outre ils insistent sur le caractère disproportionné du non-assujettissement ou de la non-application de l’article 1bis de la loi du 27 juin 1969.

Quant à l’O.N.S.S., il sollicite la confirmation de la décision prise, faisant valoir que la présidente de l’asbl a expressément reconnu que la conclusion tardive des contrats de travail et la régularisation avaient pour but de faire conserver à l’intéressé son statut d’artiste. Pour l’Office, il n’y a pas de prestation effectuée pour compte de l’employeur, non plus que de lien de subordination. Enfin, sur l’article 1bis, il souligne que la demande de visa auprès de la commission est un préalable obligatoire et que celui-ci n’a pas été respecté. Une application rétroactive ne peut être admise.

La décision du tribunal

Le tribunal procède à l’examen du litige en reprenant les articles 331 et suivant de la loi-programme du 27 décembre 2006, relatifs à la nature de la relation de travail. Il en rappelle les principales dispositions, contenant les critères généraux d’examen, ainsi que le pouvoir du juge en cas de convention écrite.

Renvoyant à la doctrine et à des décisions de la Cour de Cassation (dont Cass., 10 juin 2013, S.12.0118.F), il explicite les notions de liberté d’organisation du temps de travail, de liberté d’organisation du travail et de possibilité d’exercice d’un contrôle hiérarchique, soulignant que lorsque les éléments soumis à son appréciation permettent d’exclure la qualification donnée par les parties à la convention qu’elles ont conclue, le juge du fond peut y substituer une qualification différente.

Il appartient, en application de ces principes, ainsi que eu égard à l’article 870 du Code judiciaire et à l’article 1315 du Code civil, à l’O.N.S.S. d’établir l’existence d’éléments incompatibles avec le statut de salarié.

De ce cadre légal, découle le pouvoir du juge de requalifier une relation de travail s’il estime que les quatre critères généraux permettent de conclure à l’incompatibilité entre la qualification conventionnelle et les modalités d’exécution.

En l’espèce, les relations professionnelles se déroulent, selon le jugement, comme suit :

i. commande à l’asbl de prestations du musicien par un organisateur de spectacles,
ii. transmission de cette demande à SMart, qui envoie un bon de commande,
iii. envoi par l’asbl de la facture à l’organisateur,
iv. envoi par SMart de la facture à l’asbl et,
v. établissement d’un contrat de travail entre l’asbl et le musicien.

Pour le tribunal, SMart est un « employeur intermédiaire ». Le mécanisme est ainsi triangulaire, puisque cette société permet à une personne a priori indépendante de bénéficier d’un contrat de travail. La gestion de l’activité est confiée à SMart, qui assume les obligations administratives et fiscales de l’employeur. Pour le tribunal, c’est un système d’encadrement et d’hébergement d’une activité professionnelle au sein d’une « entreprise partagée » (6e feuillet).

Il n’y a cependant pas de lien de subordination dans les contrats Smart et se pose également la question de l’autorité, puisque seul est proposé un encadrement juridique et qu’aucune mission ou activité n’est confiée au travailleur. Renvoyant à la doctrine (S. GILSON, « Regards sur le portage salarial », in Le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise à disposition des travailleurs, les trente ans de la loi du 24 juillet 1987, Anthémis 2017 p. 276 et suivantes), le tribunal conclut qu’elle n’a aucune autorité sur les salariés.

Pour ce qui est de l’O.N.S.S., sa position est considérée comme présentant une « incohérence inadmissible », puisque ce statut a été accepté depuis des années lorsqu’il est fait appel à SMart et qu’il est refusé lorsque l’intéressé passe par l’asbl, le motif donné étant l’absence de lien de subordination. Cette position ne peut être admise, le tribunal rappelant que le lien de subordination est interprété de manière souple et élargie pour les artistes, et ce afin de leur permettre d’obtenir le statut et les droits sociaux correspondants via les contrats SMart.

Renvoi est fait à la loi-programme du 24 décembre 2002, qui établit une présomption d’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés pour ces artistes, quoiqu’ils ne soient pas liés par contrat de travail avec le donneur d’ordre. Cette activité professionnelle a un caractère atypique et avant l’entrée en vigueur de l’article 1bis de la loi du 27 juin 1969, beaucoup d’artistes ne pouvaient être assujettis à la sécurité sociale alors que par ailleurs ils n’étaient pas réellement des travailleurs indépendants. Le législateur a ainsi voulu améliorer leur protection sociale, le tribunal reprenant ici un extrait des travaux préparatoires de la loi (Doc. Parl., Ch., 2002-2003, doc. 50-2124/001, pp. 35-36, dont un extrait est cité : « En raison de ce que l’on appelle la liberté artistique des artistes, il est généralement admis que la condition d’autorité ou de subordination juridique peut parfois être difficilement démontrée en ce qui concerne (leurs) activités »).

En conclusion, la position de l’O.N.S.S. est rejetée et le tribunal accueille le recours.

Intérêt de la décision

L’examen de la cause procède d’une analyse rigoureuse, dont le point de départ est, comme il se doit, les critères de la loi-programme du 27 décembre 2006, en ses articles 331 et suivants, venus expliciter les conditions de qualification d’une relation de travail comme contrat de travail.

S’agissant d’artistes, la situation doit être « aménagée », étant que le législateur a constaté qu’il y avait lieu d’améliorer la protection sociale de ces artistes, ceux-ci ne pouvant s’insérer dans des statuts classiques de la sécurité sociale, d’où la création d’un statut spécifique (article 1bis de la loi du 27 juin 1969). Le lien de subordination est en conséquence plus souple, eu égard aux spécificités des prestations de travail.

Le tribunal a, enfin, bien situé le rôle de chaque partie intervenante, précisant que la société SMart n’offre qu’un encadrement juridique et administratif, sans nullement exercer un pouvoir d’autorité sur les travailleurs en cause.


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