Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 mai 2020, R.G. 2017/AB/1.070
Mis en ligne le lundi 16 novembre 2020
Cour du travail de Bruxelles, 8 mai 2020, R.G. 2017/AB/1.070
Terra Laboris
Décision de la Commission des dispenses de cotisations : notion de motivation suffisante
Par arrêt du 8 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, dans la matière du recours contre une décision de la Commission des dispenses de cotisations, les juridictions du travail n’ont pas de compétence de pleine juridiction, ne pouvant se substituer à la Commission, mais qu’elles peuvent, dans le cadre de leur contrôle de légalité, dire si la motivation de la décision répond aux conditions de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation des actes administratifs.
Les faits
Un travailleur indépendant vivant chez ses parents introduit une demande de dispense de cotisations pour deux trimestres d’activité (4e trimestre 2016 et 1er trimestre 2017). Il déclare, par rapport à sa situation financière, avoir eu des revenus très faibles pour les années 2016 et 2017 (3.000 euros nets imposables), alors que, l’année précédente, ceux-ci avoisinaient les 14.000 euros. Il expose également avoir une dette très élevée (15.700 euros environ) vis-à-vis de ses parents.
La dispense est accordée pour le 4e trimestre 2016 mais non pour le 1er trimestre 2017. La Commission examine la situation du ménage, étant que le père a une pension de retraite de près de 2.000 euros nets et que la dette pourra être liquidée ultérieurement (dans le cadre de l’héritage), concluant cependant que le demandeur n’a pas été en mesure de faire face à sa dette totale. C’est aux fins d’alléger celle-ci qu’une dispense partielle est accordée.
Un recours est introduit devant le Tribunal du travail du Brabant wallon, qui le déclare non fondé. La cour est saisie de l’appel du demandeur originaire.
La décision de la cour
La cour rappelle le cadre réglementaire, étant l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants. Pour ceux qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de l’état de besoin, existe la possibilité de solliciter une dispense de cotisations, et ce via la Commission des dispenses de cotisations instaurée auprès du SPF Sécurité sociale. Celle-ci va statuer sans appel sur les demandes de dispense introduites.
Le demandeur doit établir devant la Commission son état de besoin ou la situation voisine de celui-ci. Dans ses critères, la Commission tient compte (sauf exceptions) des ressources et des charges des personnes qui font partie du ménage du demandeur. Elle a un pouvoir d’appréciation discrétionnaire en ce qui concerne l’état de besoin.
La cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2013 (Cass., 8 mars 2013, n° C.12.0408.N), suite auquel la compétence des juridictions de l’Ordre judiciaire a été reconnue, en application de l’article 581, 1°, du Code judiciaire. Le tribunal du travail peut dès lors exercer un contrôle de légalité, interne comme externe, en ce compris celui de la motivation formelle.
Renvoyant à un arrêt plus récent rendu par la Cour suprême (Cass., 14 janvier 2019, n° S.18.0032.F), la cour rappelle que, vu la compétence discrétionnaire de la Commission, le contrôle de légalité ne peut donner lieu qu’à une annulation de la décision, le juge n’ayant pas de pouvoir de substitution mais pouvant inviter la Commission à prendre une nouvelle décision.
L’appelant critiquant la motivation de la décision de la Commission, la cour reprend les exigences de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, renvoyant aux exigences habituelles de motivation adéquate, pertinente et sérieuse.
En l’espèce, elle ne retient pas un manquement à cette obligation légale. La Commission tient en effet compte de la situation de revenus pendant deux années, telle que présentée par l’intéressé, ainsi que de ses charges comme il les a exposées, se référant également à ses déclarations à l’audience telles qu’actées dans un rapport figurant au dossier administratif. Celui-ci faisant grief à la Commission de ne pas avoir énuméré tous les frais dont il avait fait état, la cour considère que le fait que la décision administrative ne reprenne pas expressément l’énumération exhaustive de ceux-ci ne rend pas la motivation insuffisante. Il est avéré que la Commission a procédé à un examen correct de la situation économique du demandeur et qu’au vu de celui-ci et mettant en balance les revenus et charges pour l’ensemble de la période considérée, elle a conclu que le demandeur n’était pas en mesure de supporter la totalité de sa dette, justifiant ainsi une dispense partielle.
La motivation est suffisante, c’est-à-dire qu’elle lui a permis de comprendre en quoi les éléments sur lesquels elle se fonde ont amené à la Commission à cette conclusion de dispense partielle. Aucune violation de la loi n’est dès lors retenue.
La cour ajoute encore surabondamment que le fait que l’intéressé ait déjà obtenu des dispenses par le passé ne lui confère pas un droit automatique à une nouvelle, chaque demande étant subordonnée à la preuve d’une situation de besoin ou voisine, qui lui incombe pour chaque dispense demandée.
Intérêt de la décision
Il a régulièrement été fait grief à la Commission des dispenses de cotisations de ne pas motiver à suffisance les décisions rendues.
L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail du 13 mai 2016 (C. trav. Bruxelles, 13 mai 2016, R.G. 2015/AB/796), qui a jugé qu’une décision de la Commission des dispenses de cotisations prise sur la base d’une motivation stéréotypée ne permet pas de savoir pourquoi il y a refus de dispense pour un nombre important de trimestres, la référence à des « difficultés financières non négligeables » pouvant difficilement asseoir une décision de refus.
Le caractère inadéquat de la motivation peut également ressortir de l’absence de référence aux charges supportées par le travailleur indépendant (avec renvoi à C.E. du 24 avril 2012, n° 219.016).
De même, dans un jugement du 20 mars 2019 (Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 20 mars 2019, R.G. 19/115/A), le Tribunal du travail du Hainaut a considéré que les références aux données relatives aux revenus de la partie demanderesse, aux difficultés financières non négligeables que celle-ci éprouvait lorsque la Commission des dispenses de cotisations a adopté la décision litigieuse et la présence de « quelques autres éléments dans le dossier démontrant la situation actuelle proche de l’état de besoin » ne satisfont pas aux exigences de la loi du 29 juillet 1991. Cette motivation ne permet pas de comprendre en quoi ces éléments ont amené la Commission à considérer que la partie demanderesse était dans une situation proche de l’état de besoin justifiant que la dispense des cotisations afférentes à une partie de la période lui soit accordée mais que le bénéfice de pareille mesure ne lui soit pas reconnu pour les autres cotisations qui font l’objet de la demande.
Pour être adéquatement motivée, la Cour du travail de Bruxelles a considéré, dans un arrêt du 14 avril 2017 (C. trav. Bruxelles, 14 avril 2017, R.G. 2016/AB/320), que la décision de la Commission doit se prononcer non seulement au regard des revenus du demandeur ─ et préciser leur montant, faute de quoi on ne peut savoir, à sa lecture, pourquoi l’état de besoin ou la situation proche de l’état de besoin ne peuvent être reconnus ─, mais aussi des charges supportées par l’intéressé et les membres de son ménage. C’est, en effet, de l’insuffisance des revenus par rapport aux charges qu’est susceptible de naître un état de besoin ou proche de l’état de besoin.
Constitue, ainsi, une motivation suffisante, permettant au destinataire de la décision de comprendre en quoi les éléments sur lesquels elle se fonde ont amené la Commission des dispenses de cotisations à conclure à l’absence d’état de besoin, celle qui, bien que ne mentionnant pas de manière explicite le montant des dettes fiscales, précise que ces dernières résultent directement des revenus promérités au cours des années auxquelles elle se réfère, indiquant par là à suffisance que ces dettes pouvaient être anticipées et n’étaient pas exceptionnelles, de sorte que, à première vue, elles n’ont pu être à l’origine d’un état de besoin. Ne rend, par ailleurs, pas la motivation inadéquate le fait que la Commission évalue l’état de besoin à l’aune du montant du revenu d’intégration sociale. Même si ce dernier n’a qu’une valeur indicative, il n’en fournit pas moins une référence qui ne manque pas de pertinence (C. trav. Bruxelles, 9 juin 2017, R.G. 2016/AB/819).
Sur le plan de la compétence du juge, la matière a été examinée à deux reprises par la Cour de cassation. Dans son arrêt initial du 8 mars 2013, dont question dans l’arrêt annoté, elle a estimé que, lorsque la Commission des dispenses de cotisations décide de ne pas accorder la dispense demandée et que le travailleur indépendant conteste cette décision, il naît entre celui-ci et l’État belge une contestation sur l’obligation de payer les cotisations sociales, qui résulte des lois et règlements sur le statut social des travailleurs indépendants. En vertu de l’article 581, 1°, du Code judiciaire, cette contestation relève de la compétence matérielle du tribunal du travail et, partant, du pouvoir de juridiction des cours et tribunaux. La circonstance que la décision contestée de la Commission des dispenses de cotisations est une décision discrétionnaire n’affecte ni l’attribution de la contestation aux juridictions de l’ordre judiciaire ni la compétence, au sein de ces juridictions, du tribunal du travail. La question de l’étendue du contrôle qu’exerce le juge est étrangère à la détermination de sa compétence.
Sur l’étendue de la compétence des juridictions elle-même, son arrêt du 14 janvier 2019 (Cass., 14 janvier 2019, n° S.18.0032.F) a confirmé qu’en vertu des articles 17 et 22 de l’arrêté royal n° 38, il ne s’agit pas d’une compétence de pleine juridiction, ces dispositions réservant à la Commission des dispenses de cotisations le pouvoir discrétionnaire d’apprécier l’état de besoin du travailleur indépendant.