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Personnel de HR RAIL : réparation de la maladie professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 28 janvier 2020, R.G. 2018/AN/76

Mis en ligne le lundi 30 novembre 2020


Cour du travail de Liège (division Namur), 28 janvier 2020, R.G. 2018/AN/76

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 janvier 2020, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle que la loi du 3 juillet 1967 n’est pas applicable au personnel de HR RAIL, que ce soit pour la réparation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Les faits

Un ouvrier au service de HR RAIL (étant, à l’époque où la demande a été introduite, SNCB HOLDING) a introduit en 2013 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Il est ouvrier occupé à la maintenance des voies, en qualité d’agent statutaire. La demande a été introduite dans le système de la liste (1.605.03). L’employeur a refusé d’y faire droit par décision du 9 décembre 2013 et a concomitamment pris la décision de mise à la retraite de l’intéressé sur la base d’une inaptitude totale et définitive aux fonctions normales.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail de Namur. Celui-ci a rendu deux jugements, le premier ordonnant une mission d’expertise et le second, après expertise, disant la demande non fondée. Ce jugement fait l’objet de l’appel.

La cour a rendu un premier arrêt le 12 février 2019, aux fins notamment d’être mise en possession d’un dossier administratif complet (carrière, instruction de la demande d’indemnisation, examens médicaux), souhaitant également que les parties s’expliquent sur la loi applicable au litige et sur l’existence d’une présomption d’exposition au risque professionnel (dans les deux systèmes) et qu’elles instruisent la demande sous l’angle d’une maladie hors liste.

La position des parties devant la cour

Suite à cet arrêt, les parties ont précisé leur position respective. Le demandeur originaire considère que la loi du 3 juillet 1967 est applicable et qu’il bénéficie, en conséquence, de la présomption d’exposition au risque professionnel. Celle-ci doit être renversée par l’employeur public – ce qui n’est pas fait en l’espèce. La demande étant introduite dans le cadre du code 1.605.03, il considère également qu’elle peut être recevable dans le système hors liste (en renvoyant à la jurisprudence à cet égard).

Pour HR RAIL, ni la loi du 3 juillet 1967 (secteur public) ni celle du 3 juin 1970 (secteur privé) ne sont applicables. Il convient de se référer au « RGPS 572 ». Dans celui-ci, il est précisé que l’agent doit prouver l’exposition au risque professionnel de la maladie, aucune présomption n’existant en sa faveur. La société considère que la preuve n’est pas apportée. En outre, il estime que la demande ne peut être instruite dans le cadre du système hors liste, ce qui serait contraire au principe dispositif.

La décision de la cour

La cour constate que c’est à tort qu’il a été fait en première instance application de la loi du 3 juin 1970, qui n’est pas applicable aux personnes se trouvant dans un lien statutaire avec HR RAIL.

Elle examine ensuite la loi du 3 juillet 1967. Son article 1er/1 (introduit dans le texte par une loi du 25 décembre 2016 portant des dispositions diverses en matière sociale) dispose que cette loi n’est pas applicable aux membres du personnel de HR RAIL, mis ou non à la disposition de la SNCB ou d’INFRABEL, qu’ils soient statutaires ou contractuels. Ce texte n’est cependant en vigueur que depuis le 1er janvier 2014 (étant la date du transfert à HR RAIL des membres du personnel de la SNCB HODLING – prévu par l’arrêté royal du 11 décembre 2013 relatif au personnel des chemins de fer belges). L’entrée en vigueur est postérieure à la période d’occupation de l’intéressé et à sa demande d’indemnisation.

Cependant, même si cette disposition n’existait pas à l’époque, ceci n’implique pas que la loi était applicable, et ce sans arrêté royal (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018, n° S.18.0057.F).

Elle constate ensuite qu’aucun arrêté royal n’est applicable à ce personnel. Celui du 12 juin 1970, concernant les membres du personnel des organismes d’intérêt public, les personnes morales de droit public et les entreprises publiques autonomes ne vise pas la SNCB (non plus que la SNCB HOLDING ou HR RAIL). Renvoi est ici fait à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2018 (C. const., 4 octobre 2018, n° 125/2018). La cour rappelle que, lors du transfert du personnel de la SNCB HOLDING vers HR RAIL, par l’arrêté royal du 11 décembre 2013, celui-ci est intervenu sans qu’il n’y ait de modification du statut juridique de ce personnel. Le même texte a modifié la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB HOLDING et à ses sociétés liées, introduisant une disposition selon laquelle le statut du personnel, le statut syndical et l’ensemble de la réglementation du personnel passent de plein droit à HR RAIL.

Pour la cour, il est ainsi dérogé à une extension du champ d’application de la loi à des catégories de personnel déterminées, étant les membres du personnel définitif, stagiaires temporaires, auxiliaires ou engagés (contrat de travail, contrat d’apprentissage ou contrat de formation professionnelle) des organismes d’intérêt public ou des personnes morales de droit public relevant de l’Etat, des Communautés, des Régions, de la Commission Communautaire Commune ou de la COCOF et dont la création est postérieure au 31 décembre 2004.

Doit être appliqué le « Fascicule 572 » élaboré par la commission paritaire nationale en 1970, étant le Règlement général des accidents du travail et des maladies professionnelles pour le personnel des chemins de fer belges. La règle de compétence de cette commission paritaire nationale gît dans l’article 118, 1°, de la loi du 23 juillet 1926 : elle examine toutes les questions relatives aux dispositions du statut du personnel et au contrat de travail, y compris l’indemnisation du risque professionnel.

La cour déduit, avec la doctrine (citant R. JANVIER, Arbeidsongevallen publieke sector, Bruges, Die Keure, 2017, p. 16), que c’est ce Fascicule qui est applicable. Celui-ci renvoie de manière expresse, en ce qui concerne la définition des maladies professionnelles, à la loi du 3 juin 1970 (secteur privé). Pour ce qui est de la charge de la preuve, il n’y a donc pas d’exposition au risque présumée, la victime devant prouver que le dommage subi a pour cause une maladie professionnelle et qu’il résulte de l’exposition suffisante au risque professionnel de cette maladie pendant son service au sein d’une des sociétés des chemins de fer belges.

Il s’agit en l’espèce d’une maladie définie comme syndrome mono ou poly radiculaire objectivé de type sciatique, syndrome de la queue de cheval ou syndrome du canal lombaire étroit. Ce syndrome doit répondre à des conditions précises, pouvant être consécutif à une hernie discale ou à une spondylose-spondylarthrose, toutes deux dégénératives et intervenues dans certaines conditions.

En l’espèce, l’expert a conclu que les conditions de la maladie visée par ce code ne sont pas remplies et l’intéressé n’apporte pas des éléments de contestation sérieux. La cour conclut que la demande n’est pas fondée sur cette base.

Cependant, elle aborde l’examen du dossier à partir de l’angle des maladies « hors liste ». Rappelant que ceci est autorisé, notamment suite à l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 14 avril 2005 (Cass., 14 avril 2005, n° C.03.0148.F), qui admet la possibilité de donner à la demande une qualification juridique nouvelle sans en modifier l’objet. Le juge a d’ailleurs l’obligation de relever d’office les moyens de droit dont l’application est commandée par les faits spécifiquement invoqués par les parties. Ceci est par ailleurs compatible avec l’article 807 du Code judiciaire ainsi qu’avec le principe du préalable administratif.

La cour examine en conséquence les conditions posées par l’article 30 de la loi du 3 juin 1970, étant de rechercher si la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession, la victime ayant la charge de la preuve.

Ceci ne signifie pas qu’il doive prouver que l’exposition à l’influence nocive est la cause prépondérante de sa propre maladie (causalité individuelle), mais seulement que cette influence nocive constitue dans le groupe de personnes exposées la cause prépondérante de la maladie. La cause prépondérante doit se comprendre comme visant un danger éventuel ou potentiel, plutôt qu’une cause effective, la cour renvoyant ici à la doctrine de S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, p. 494). La cour renvoie encore sur la question à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 février 1998, faisant encore sienne la doctrine de S. REMOUCHAMPS selon laquelle il y a causalité lorsque la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, peu importe que coexistent d’autres causes étrangères à l’exercice de celle-ci.

La cour désigne dès lors un expert afin de vérifier si les conditions de l’indemnisation sont remplies, étant (i) une maladie, (ii) une exposition au risque professionnel de celle-ci pendant l’occupation au service de la société et (iii) le fait que cette maladie trouve sa cause déterminante et directe dans cet exercice.

Intérêt de la décision

Deux questions importantes sont abordées dans cet arrêt.

La première est la non-application de la loi du 3 juillet 1967 au personnel de HR RAIL. La cour a souligné que la loi a été expressément modifiée par une loi du 25 décembre 2016 portant des dispositions diverses en matière sociale, afin d’introduire dans la loi du 3 juillet 1967 un article 1er/1 excluant de son champ d’application les membres du personnel de HR RAIL mis ou non à la disposition de la SNCB ou d’INFRABEL, qu’ils soient statutaires ou contractuels.

La Cour de cassation a confirmé dans son arrêt du 10 décembre 2018 (n° S.18.0057.F – précédemment commenté) la non-applicabilité de la loi du 3 juillet 1967, considérant que les membres du personnel de la SNCB HOLDING (entreprise publique autonome classée à l’article 1er, § 4, de la loi du 21 mars 1991) en service le 31 décembre 2013 ont été transférés vers la société anonyme de droit public HR RAIL au 1er janvier 2014, de plein droit et sans que cela n’entraîne une modification de leur statut juridique. La loi du 25 décembre 2016 portant des dispositions diverses en matière sociale a inséré, avec effet au 1er janvier 2014, un article 1er/1 dans la loi du 3 juillet 1967. Celui-ci prévoit que ladite loi n’est pas applicable aux membres du personnel de HR RAIL. Il ne s’en déduit pas que cette loi s’appliquait jusqu’au 31 décembre 2013 aux membres du personnel de la société anonyme de droit public SNCB HOLDING sans qu’un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres le prévoie. La cour du travail ne pouvait dès lors conclure à l’application de la loi sans rechercher si un tel arrêté royal la rendait applicable aux membres du personnel de la SNCB HOLDING.

La question a déjà été abordée en jurisprudence en matière d’accident du travail. Le texte étant identique, la cour fait logiquement la même application des principes à cette affaire relative à une demande d’indemnisation d’une maladie professionnelle.

Est dès lors applicable pour ce personnel le mécanisme de preuve de la loi du 3 juin 1970. S’agissant d’une maladie hors liste, la charge de la preuve dans le camp de la victime est lourde, puisque celle-ci doit porter sur les tous éléments de la définition légale.

Ce type de travailleurs ne bénéficie dès lors pas de la présomption d’exposition au risque professionnel, qui a pourtant évolué très sensiblement, vu les deux arrêts de principe rendus récemment par la Cour de cassation sur la question (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F et Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F – tous deux précédemment commentés). L’on peut dès lors à tout le moins constater une différence de traitement des travailleurs de HR RAIL par rapport à ceux des autres organismes d’intérêt public ou personnes morales de droit public, auxquels la loi du 3 juillet 1967 est rendue applicable par son article 2bis.

Enfin, cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) a été rendu le 28 janvier 2020 et la cour ne pouvait dès lors anticiper un nouvel arrêt de principe de la Cour de cassation du 22 juin 2020 (Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0009.F – précédemment commenté), rendu sur la notion de cause déterminante et directe et qui confirme en tous points celui du 2 février 1998 auquel la cour du travail a fait ici référence.

L’on peut encore renvoyer sur la question à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2018 (n° 125/2018).


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